L’Anse des cocos

S’il est bien un lieu où l’on bucole dans le presque sud sauvage, prisé des campeurs et pique-niqueurs du week-end, c’est Grand-Anse. L’attrait de l’endroit y a fait pousser ces dernières années un hôtel de grand luxe et attiré les bungalows et autres chambre d’hôtes. L’Anse des cocos, installé au bord de la route descendant au site de Grand-Anse en fait partie. Et nous avons décidé de tester son restaurant. Ce dernier est logé dans le bâtiment principal sous l’aspect d’une grande maison créole comportant une salle et une terrasse ombragée ouverte sur le jardin et les bungalows. La déco, créole chic mais sans chichis, et la disposition des lieux, vous invitent à la détente et aux vacances.

Côté menu, aujourd’hui, nous avons droit à une formule unique à 25 euros, composée d’une entrée, d’un plat de résistance au choix et d’un dessert. Six plats sont proposés : rougail zandouille, camarons persillés, civet de coq, sauté de poisson, civet de boucané et porc trois merveilles, plus crêpe à la banane et coupe de glace en dessert.

Après quelques apéritifs communs, l’entrée, unique, nous est servie. Il s’agit d’une salade « fraîcheur » sous un oeuf-mayonnaise. La salade porte bien son nom. Les légumes sont en effet frais, assaisonnés d’une vinaigrette légère. C’est sans prétention mais tout à fait efficace pour nous éveiller les papilles. L’entrée est expédiée sans formalités et nous attendons la suite avec impatience. Et dans ce cadre magnifique et accueillant, par un temps superbe, voici la grande descente de notre estime.

Cela commence pourtant pas mal avec des camarons qui présentent bien et « font le job ». Leur saveur de crustacé toute concentrée par le passage à la poêle, aidée de la persillade, reste tout à fait dans les canons du plat. Encore heureux. Les camarons étant intrinsèquement un produit goûteux, pas besoin d’avoir été apprenti chez Robuchon pour savoir les cuisiner, surtout de cette façon-là.

Nous passons au rougail zandouille, qui, au nez, fleure bon l’oignon et les tomates… Et c’est à peu près tout. En bouche ce n’est guère mieux. La charcuterie a perdu de son sel, au sens propre comme au figuré, car il semblerait que toutes ses saveurs de poivre et de tripes soient parties avec le bouillon à la fosse, ce qui nous laisse, comme cette dernière, sceptiques.

Sus donc au porc trois merveilles. Une merveille d’insignifiance. La viande est sèche comme coco de pain rassis oublié au soleil, avec les champignons chinois et les pousses de bambous qui se battent en duel. Le plat présente un arrière-goût désagréable. C’est mangeable mais tout juste. 

Avec un espoir désespéré nous goûtons au sauté de poisson. Celui-ci est un peu mieux que le plat précédent, mais à peine. Forcément, c’est du poisson surgelé en cubes dont la nullité gustative n’est pas dissimulée par l’assaisonnement à la chinoise façon « Grand-mère », qui a davantage profité aux légumes trop cuits.

Et voilà le dessert : la crêpe à la banane. C’est le pompon ! La crêpe est froide. La banane aussi. Des rondelles de banane pas assez mûre sans aucun doute, au goût de Frigidaire, posées telles quelles dans la crêpe, avec deux noix de chantilly, pour dire. Pas de réchauffage, pas un semblant de je ne sais quoi pour habiller les bananes. Rien. Ce dessert est à la limite du « foutant ». 

La vraie insulte vient avec l’addition si on considère la médiocrité globale de ce repas : 152 euros pour cinq personnes, boissons et cafés compris, soit une trentaine d’euros par tête de touriste. 

Aller dans un restaurant qui présente des dehors agréables et mal manger cela peut arriver. Mais si par dessus le marché le repas ressemble à une vaste farce dont nous nous sentons les dindons, là ça devient compliqué. Nous osons espérer que nous sommes mal tombés et que ce samedi-là était un jour « sans ». Quand même, nous étions les seuls clients, alors que d’autres établissements du coin semblaient avoir du monde. Il est clair que ce n’est pas avec ce genre de cuisine qu’on appâte le créole. Seuls les touristes ignorants peuvent se laisser prendre. Rien de plus à dire. Aujourd’hui, pour l’Anse des coco à Grand-Anse, la fourchette en plastique est de rigueur.

Pour résumer : 
Accueil : bien • Cadre : très bien • Présentation des plats : moyen
Service : bien • Qualité des plats : très médiocre
Impression globale : médiocre
Fourchette en plastique

Le Corail

Aujourd’hui nous prenons la route en direction de Piton-Sainte-Rose où à 200 mètres de l’église de Notre-Dame-des-Laves, le restaurant Le Corail propose une cuisine « tradition kréol » avec « saveurs d’antan ». Il n’en faut pas plus que que nous décidions d’y mettre le nez, et le reste.

L’établissement consiste en une terrasse agréable, abritée, d’une quarantaine de couverts, adossée à une boutique à touristes dans le genre de celles qu’on peut voir dans l’Ouest, proposant à la vente cartes postales, savates deux doigts, divers piments confits et autres babioles. Une jolie collection de rhums arrangés est également exposée et offerte à la dégustation. En revanche la route est très proche, et les véhicules bruyants qui y circulent deviennent vite insupportables.

La carte est essentiellement créole, avec quelques plats métros. Les rougails traditionnels sont là, les caris aussi, avec deux ou trois plats moins courants comme le canard à la vanille et les pieds de porc flambés au Cognac. En suggestion du chef, du porc caramel, mais nous décidons de nous en tenir au menu du jour, avec un cari zourite et un boucané bringelles.

Pas d’entrées. L’apéritif est suivi très vite des plats, servis à l’assiette, et fort joliment d’ailleurs. Nous attaquons sans tambours ni trompettes. 

Le boucané-bringelles présente plûtot bien. Le légume à la teinte verte est quasi en purée, avec quelques morceaux de peau par-ci par-là, entourant peu de boucané. C’est plûtot un bringelles-boucané on va dire. En bouche la bringelle est discrète. Cela conviendrait parfaitement à ceux qui fuient l’arôme particulièrement prononcé de certaines variétés de ce légume. Souci : le boucané suit le même chemin, tout en étant trop cuit. Les morceaux n’ont aucune espèce de consistance. Dans l’ensemble le plat est correct, mais manque singulièrement de fumet.

Le zourite est un cran en dessous. Le céphalopode, du surgelé bien entendu, est bien cuit. Pas de sensation caoutchouteuse sous la dent, mais ses saveurs sont aux abonnés absents. Seule la sauce bien poivrée donne un soupçon d’intérêt au plat qui de toute façon est beaucoup trop salé. Du sel pour cacher l’ennui sans doute. Seul le rougail zoignons sauve un peu l’affaire assisté par des grains blancs de conserve pas trop mauvais. La maigre salade posée là en guise de garniture est elle aussi trop assaisonnée et trop salée.

Bref, déjà qu’en regardant les tarifs affichés nous nous sentions pousser des plumes, vu la qualité globale des plats, nous commençons maintenant à roucouler. Ce n’est pas le dessert, un gâteau de 

patate douce, qui nous fera changer d’avis. Ce gâteau servi chaud est du « comblage » sans goût ni sentiment. La patate est passée au mixeur apparemment, avant le frigo, avec un coulis caramélisé aux humeurs de confiture de papaye, pathétique tentative pour sauver la face.

Nous partons en réglant l’addition : 41 euros tout compris, avec l’apéro, soit plus de 20 euros par tête de touriste. Franchement cher au regard de ce que nous avons dégusté.

Créer une boutique dans le genre balnéaire dans un endroit pareil, après tout pourquoi pas. Lui adjoindre un restaurant en communiquant sur des plats « kréol » de « tradition » est une bonne idée, encore faut-il que cela se vérifie dans les faits. Or c’est survendu, si nous nous fions à ce que nous avons mangé ce jour. De la tradition créole pour le visiteur étranger ignorant ça oui, qui va acheter des souvenirs et avoir l’impression de manger authentique. En ce qui nous concerne, nous avons plutôt l’impression d’être tombés dans un piège à touristes. 15 euros le cari zourite tout-venant, 17 euros le cabri massalé… des prix un peu exagérés pour une qualité globale moyenne bien loin des promesses affichées. Résultat logique : peut mieux faire.  Fourchette en inox.

Pour résumer : 
Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats : très bien
Service : bien • Qualité des plats : moyens
Impression globale : moyen et cher
Fourchette en inox

Le Ptit Bambou

Aujourd’hui nous faisons escale au P’tit Bambou, restaurant plus chinois que créole, comme son nom le suggère, stratégiquement posté depuis vingt ans dans une petite case pile en face de l’église de Salazie et juste à côté de la mairie. La situation de l’établissement permet de surcroît d’avoir une plaisante vue sur le village. 

Vous pouvez déjeuner dedans, la salle d’une cinquantaine de couverts est décorée simplement mais avec goût, ou sur la terrasse. Une petite surface gazonnée permet aux enfants de jouer.

Au menu ce midi : assiette de boudin accompagnée de salade, sauté de poulet aux chouchous, rougail saucisses ou rougail de morue au chouchous, puis gâteau. La carte est typique des restaurants chinois : poulet, porc et boeuf sont proposés sous diverses déclinaisons, sautés ou en shop-suey, avec quelques originalités comme le « sauté de boeuf sur lit de cresson ». Quelques plats créoles sont présents, comme l’irremplaçable rougail saucisses ou le cari de camarons. Nous choisissons le menu, avec la morue, plus un gratin de chouchou et un sauté de poulet aux gros piments. C’est parti !

Le gratin de chouchou est un modèle du genre. Toutes les saveurs s’y combinent sans se marcher dessus permettant d’apprécier la fraîcheur d’un chouchou superbement parfumé, visiblement trié sur le volet, et de se délecter du fromage fondu qui ne vous agresse pas les gencives. Le légume y figure en morceaux assez gros pour pouvoir libérer ses arômes subtils quand on y mord. Les épices, thym et poivre subliment tout ça avec un sel bien dosé, en s’aidant de la béchamel onctueuse pour glisser sous le palais. Le boudin quant à lui est du matin. Sa texture fondante et veloutée qui exhale son fumet de sang cuit ne laisse aucun doute. S’il a été réchauffé, c’est fort modérément car la peau n’a pas rétréci sur les bord. Et le bougre est sacrément pimenté, ce qui ne nous dérange guère. La petite salade verte croquante vient à propos pour apaiser ce coup de sang, avec une vinaigrette discrète. Un seul bémol : les portions sont quelque peu homéopathiques.

Le service, réalisé à deux, est un modèle d’efficacité. Le temps que l’odeur de boudin prenne la tangente et les plats de résistance font leur apparition. Le rougail morue aux chouchous nous paraît d’entrée un peu clair. Nous nous attendions à le voir plus coloré que ça. En bouche, le plat n’est pas désagréable intrinsèquement. L’équilibre gustatif entre la salaison et le chouchou est correct, laissant les deux parties s’exprimer, et le sel aussi. La morue a semble-t-il évité l’huile chaude, elle semble plutôt être passée au hamam, ce qui lui confère une texture plus tendre en raccord avec celle du chouchou, ce qui aboutit à une homogénéité du plat. Le mariage du chouchou avec la viande ou le poisson peut être délicat. Le légume étant gorgé d’eau, il est susceptible de noyer son partenaire. Ce n’est pas vraiment le cas ici mais nous déplorons tout de même un certain manque de punch gustatif. Le piment « crasé » aux oignons aide un peu quand même.

Le sauté de poulet en comparaison est une explosion tonitruante, faisant passer nos papilles d’une atmosphère éthérée de moines zen en méditation à la folie débridée d’une avenue de Rio en plein carnaval. Macérés dans une sauce d’huître rappelant la sauce grand-mère avec des lointaines humeurs musquées, les émincés sont tendres et savoureux. Les morceaux de gros piments sont en nombre, avec quelques poivrons verts, mais ne sont pas là « pour faire le tas » comme dit le créole. Ils envoient sans ménagement leur puissance et leur saveur sitôt que les dents les ont croqués, au travers d’une humidité poivrée qui fait la révolution dans nos glandes salivaires. Le résultat est cousu de fil blanc : « encore, encore ! » Un mot sur les pois du Cap : très bons, avec un respectable fumet, mais à la sauce un peu liquide.

Une bonne carafe d’eau là-dessus, et ces émois ne sont plus qu’un doux souvenir, ce qui laisse la place nette pour le gâteau : un « ti-son ». Ce dessert créole traditionnel a été souvent l’objet de notre courroux. Et pour cause : secs comme un coco de pain rassis, étouffes-chrétien en plein carême, sans plus de goût qu’un vieux pop-corn lyophilisé.

Pas aujourd’hui. C’est la première fois depuis on ne sait plus quand que nous dégustons avec plaisir un bon gâteau ti-son des familles, moelleux, délicatement sucré, avec son arôme de vanille en finale et qui, ventre-saint-gris, a un goût de maïs ! Ce qui est quand même un minimum. Le petit coulis de fraise par dessus lui apporte une acidité sensuelle qui clôt le repas avec bonheur.

Addition : 37 euros pour deux personnes hors boissons. Assez correct compte tenu de la qualité globale.

Le P’tit Bambou a été, il y a bientôt quatre ans, notre restaurant test avant le lancement de cette rubrique. Vous pouvez d’ailleurs retrouver cette critique sur notre blog. Il avait à l’époque récolté d’une fourchette en inox, note qui se voulait moyenne.  De l’eau a coulé dans la Rivière du mât et on peut dire qu’aujourd’hui, la qualité de ce que nous avons dégusté est bien au dessus de la moyenne, malgré un mariage chouchou-morue qui ne nous semble pas heureux, de notre point de vue. Cadre agréable, accueil sympathique, service impeccable, quelques produits frais et un chef qui assure en cuisine, que demande le peuple ? L’établissement est une bonne escale avant de pousser plus loin voir les merveilles du cirque. Pour ce bon repas nous lui attribuons donc une fourchette en argent, avec recommandation de l’équipe.

Pour résumer :
Accueil : bien • Cadre : très bien • Présentation des plats : bien
Service : très bien • Qualité des plats : bons
Impression globale : bonne table
Fourchette en argent

Chez Jacky

 

Pour cette deuxième critique de l’année, nous allons à la Possession, afin de tester la cuisine de « Chez Jacky », restaurant situé à la Rivière des galets plus exactement, et réputé dans le secteur.

Si le parking est un peu « casse-cassé » et poussiéreux, le restaurant consiste en une vaste salle ouverte sur un jardin luxuriant avec piscine. Dès l’entrée, des plants de Caloupilé vous disent bonjour. Hélas, il ne sera pas question de massalé au menu aujourd’hui. En effet, les caris sont programmés la semaine et changent tous les jours. Ce vendredi c’est le buffet paella-moules-frites qui est proposé aux clients, avec trois plats à la carte : une entrecôte, du poisson grillé et un magret de canard. Nous décidons de rester.

L’accueil est sympathique et souriant. Nous nous installons au fond, près de la pelouse, afin d’avoir une vue panoramique sur la salle, qui va se remplir assez vite. Aussitôt rafraîchis par l’apéritif, nous entamons les hostilités par une simple salade verte avec des tranches de chorizo pour entrer tout de suite dans l’ibère. La salade est fraîche et a de la tenue. Point de morceaux blancs et durs de la feuille. La vinaigrette est totalement satisfaisante car ni trop salée ni trop acide. Rien à signaler concernant le chorizo.

La salade ayant disparue de nos assiettes nous fonçons vers les moules. Celles-ci sont excellentes. Les tatillons du sel, dont nous sommes, les trouveront peut-être un peu relevées, mais la sensation passe assez vite pour laisser la place à la légère amertume de la sauce au vin blanc, toute parfumée de laurier et de persil, quoique pas assez abondante. Il y en avait certainement tout au fond du présentoir mais avec le tas de moules, c’eut été un périlleux exercice d’aller la chercher. Les moules sont de bons gabarit, bien charnues et dodues en ventre gravide, et grandes ouvertes, comme nos mâchoires d’amateurs avides de mytiloïdes, et très parfumées.

Les frites en revanche feraient hurler à la mort les Ch’tis, et leurs voisins belges, plus d’une fois. Elles sont flasques, farineuses, et pâles en goût comme en couleur. Des spectres de patates. Aucun intérêt. 

La paella pour sa part assure. Ce n’est certes pas la meilleure paella que nous ayons dégustée mais elle est loin d’être la pire non plus. Dans ce commentaire de normand, il faut comprendre que le riz grain court et bombé réglementaire était excellemment cuit. Aucun grain ferme ennemi des plombages à l’horizon, et une souplesse suffisante pour pouvoir en apprécier les épices imprégnées.  Aucun reproche à faire sur les fruits de mer, notamment sur leur texture, et qui ne faisaient pas que de la figuration quantitativement parlant. Le poulet était peut-être un peu sec, avec un électro-gustativogramme plat, dommage collatéral de ses origines industrielles et bon marché. L’ensemble est correctement salé, et, alléluia, pas gras pour un sou. 

Nous terminons le repas par une crème brûlée standard, qui a l’avantage de calmer le goût safrané persistant de la paella.

Addition : 38 euros pour deux personnes, boissons comprises. Soit 19 euros par tête pour un buffet à volonté. Un tarif courant dans la plupart des établissements proposant ce genre de formule.

Chez Jacky on vous accueille bien. Et dans un cadre pareil, au frais, on passe un moment agréable. Même si nous eussions aimé déguster la créolité préparée par le chef, nous sommes repartis relativement satisfaits de ce repas, nonobstant quelques détails. L’établissement peut recevoir jusqu’à 300 personnes. Et si on se fie à la qualité très correcte de la paëlla, on peut supposer que ce ne sont pas les groupes qui leur font peur. Nous reviendrons très certainement afin d’avoir un aperçu de leurs caris, et en attendant nous leur décernons une fourchette en argent, juste.


Pour résumer : 

Accueil : bien • Cadre : très bien • Présentation des plats : buffet
Service : buffet • Qualité des plats : bons
Impression globale : bonne table
Fourchette en argent