La Case de l’Oncle Tom Carrèrement bon !

Mai 1989, quelque part dans la foule qui accueille le pape face à l’église de la Trinité, Irène Grondin, 75 ans pomponnés, fait sa check-list. Bouteille d’eau, missel, chapelet, bonbon « fondante », chaise pliante… Tout est là. Jean-Paul peut venir. En posant son séant à côté de celui de sa voisine de Je-vous-salue-Marie, elle est très loin de se douter que 32 ans plus tard, à l’endroit même où elle se trouve, le petit Jésus va descendre dans le ventre des gourmets, à la Case de l’Oncle Tom.

Nous arrivons peu avant midi en ayant réservé par téléphone, démarche conseillée sur la page Facebook du restaurant. Cette visite ofcielle fait suite à notre passage voici presque trois ans, où nous étions repartis avec des barquettes. Cette fois nous faisons comme Irène, nous y posons nos séants pour déguster le menu du jour en son entier : poulet massalé, cari porc au petit pois frais,
et rougail ti-salé. Ici, en efet, pas de carte longue comme le bras, pour essayer de contenter tout le monde. Si le menu ne convient pas, on revient, épice c’est tout !

L’endroit est toujours aussi sympathique, sous les arbres, dont un magnifique banian qui se remet doucement d’un vieil élagage gros doigts, selon nos informations. La patronne nous accueille avec le sourire masqué et nous lui montrons le QR code obligatoire. Elle nous propose les rafraîchissements et repart avec la commande. Les plats arrivent quelques minutes plus tard.

Nous entamons le cochon. L’aspect est déjà très appétissant, avec cette belle couleur orangée des caris bien nés. Ici et là, de jolis
morceaux étagés proprement en peau, gras, maigre, transpirent encore. Les petits pois ronds chantent du « mangez-moi », mais pas assez fort. Ils auraient pu faire une chorale plus imposante. On s’en contentera, mais avec un peu de frustration, étant donné qu’ils sont croquants et excellents. La viande de porc est cuite ferme, pour une mâche souple tout de même, qui envoie en bouche ses propres vocalises gustatives. Le charcutier est connu, et reconnu. Le plat est nettoyé plus vite qu’il ne faut pour l’écrire, ou presque. C’est délicieux.

Le poulet est sorti des élevages d’un gros producteur local. Du poulet jaune d’extraction moyenne. L’odeur de massalé est présente, mais peut-être trop discrète pour un mangeur de massalé fort tendance malbar, dont nous sommes. Quelques bouchées plus tard, la chair cuite avec précision étale ses attributs relevés de la poudre d’épices et s’ensuit une mastication lente où faveurs et « flavours » de silon et vindion nous chatouillent les narines, nous charment les gencives, nous arrangent la luette…

Du côté des accompagnements, la qualité suit le mouvement. Le riz est bon, même si les grains longs ne sont pas notre tasse de thé. Les gros pois veloutés affichent un côté poivré-fumé tout à fait séduisant. Les brèdes épinars, en vert foncé, donnent
dans l’épaisseur en emballant le porc. Gros coup de cœur pour le petit piment « krazé » tout juste prêt, où les efuves d’un délicat gingembre mangue fait danser les saveurs du duo piment zoizo – piment cabri. Une pure merveille sado-masochiste pour
junkie de la capsaïcine.

Le dessert, boules de glace vanille et gingembre-miel, est parfait pour finir ce repas, accompagné du café, et « arrange la bouche » comme le « fondante » de la (depuis le temps au paradis) mère Grondin. Addition : 46 euros pour trois repas (dont un à emporter), deux boissons, un dessert et deux cafés. Le rapport qualité-prix est très bon.

« Heureux celui qui croit sans avoir vu« , s’est fait dire Saint-Thomas. Le Thomas qui œuvre aux fourneaux de la Case de l’Oncle Tom nous propose de voir et de goûter aussi, pour être convaincu. Thomas Carrère a connu les galères, sautant de branche en branche pendant quelques années entre restaurants divers, Ehpads et la cuisine d’une association pour les sans abris, depuis son CAP-BEP au Centhor. Mais cela lui a forgé le caractère. Aujourd’hui il est son propre maître à la Case de l’Oncle Tom, qu’il dirige en compagnie de son épouse. Il applique consciencieusement les méthodes de nos aïeux pour proposer à ses clients une cuisine réunionnaise expressive, précise et savoureuse : l’amour sans compter et la gestion du temps. Certains devraient en prendre de la graine. L’inscription sur la liste des meilleurs restaurants de cuisine réunionnaise ne fait aucun doute.

Le Kréolita pourrait mieux faire

Aujourd’hui nous faisons la pause déjeuner du côté de Saint-Gilles les Hauts, à l’entrée du patelin, au restaurant le Kréolita, signalé par une de nos antennes comme intéressant. Nous débarquons peu avant midi. Du monde fait la queue pour les barquettes. La déco de la salle est simple et accueillante, le mobilier est basique, mais en bon état et propre. Une serveuse nous reçoit avec le sourire et nous donne le menu du jour. Rougail salé, canard à la vanille, cari poisson, rougail chevaquines et poulet braisé sont afchés. À l’extérieur, pas moins de 15 plats sont proposés, dont des caris peu courants au restaurant, comme la corrée massalé. Voilà qui aiguise l’appétit, mais n’est-ce pas un peu trop ?


Nous demandons le civet de lapin, et le rougail chevaquines en barquette, pour plus tard. Le plat arrive assez vite. Notons d’abord qu’on aimerait voir du lapin plus souvent au restaurant. Pour promouvoir le lapin péi, des chefs devraient donner des idées de recettes pour sortir du sempiternel civet créole. Celui qui nous est présenté est un peu clair de couleur, et plutôt avare en odeur.
Il baigne aussi dans une sauce trop liquide. Si la viande est cuite, trop peut-être, elle ne semble pas avoir assez tâté du fond de marmite bien huileux. Le goût est correct, mais manque d’éclat, ce qui est dommage pour un civet. La présence des
nombreux petits os, normale pour ce plat, nous incite à les nettoyer, et nous prenons d’autant plus la mesure d’une cuisson faite à la flotte. Heureusement le persil apporte sa fraîcheur, compensant le vin éteint.

Le rougail chevaquines pèche un peu de la même manière : c’est trop humide. Heureusement les petits crustacés ont suffisamment de caractère pour se suffire à eux-mêmes, avec leur doux parfum de dessous de bras de randonneur après le Grand Raid. Le rougail est mangeable et devient plus intéressant après un passage à la poêle et l’ajout de deux piments verts écrasés.

Le riz est insignifiant. C’est du riz grain long, sec et acariâtre, avec des grains détachés, et sans saveur. Les lentilles ne sont pas mauvaises. Elles dégagent comme une odeur de cumin plutôt agréable. Grosse bonne surprise avec le rougail zoignons. C’est du vrai, du bon, qui fait activer la fourchette en mettant des claques au lapin !

Addition : 22 euros et des poussières pour deux repas, une bière et un café clair. Le rapport qualité-prix est acceptable.

Le Kréolita est un restaurant de quartier sérieux, à n’en pas douter, mais il peut aussi tomber dans les travers de la facilité et de la cuisine vite faite. Pourquoi autant de plats au menu ? Ne vaudrait il pas mieux s’appliquer à en faire moitié moins comme il faut, qu’une quinzaine dont certains sont bâclés, sous prétexte de ratisser large? Un meilleur choix de riz nous paraît également essentiel. Le potentiel existe en tout cas pour réaliser une très bonne cuisine réunionnaise, celle qui déplace les clients de loin, d’autant que le cadre est sympathique et le service aimable et professionnel.

La Table d’Emma, créole et éclectique

L’arrière de la case créole peinte de toutes les couleurs a été aménagé en terrasse couverte, avec assez de distance entre les tables pour se protéger des miasmes des voisins. Au fond, on devine une cuisine ouverte, où deux personnes s’activent. Il n’est pas tout à fait midi, il n’y a pas foule, mais les clients vont arriver au fur et à mesure.

Aujourd’hui, au menu : agneau rôti au fumoir, sauce romarin et olives, pintade rôtie aux raisins, rougail morue, blanquette de veau et salade de saumon. L’accueil est poli. Nous choisissons la table du fond, pour la vue d’ensemble. On oublie de nous proposer de l’eau. Le souvenir d’une « à peu près » blanquette datant de quelques mois, gustativement éteinte avec une texture de carton, nous dissuade de renouveler l’expérience. Nous optons plutôt pour l’agneau et la morue, en version barquette pour cette dernière. Trois toasts aux rillettes de poisson, ou de crustacés, nous sont proposées en guise de mise en bouche. Ils sont croquant et plutôt bons.

Nous n’attendons pas très longtemps l’agneau. Voilà une viande que l’on a peu l’occasion de trouver dans les restaurants de cuisine réunionnaise, ce que la Table d’Emma n’est pas totalement. L’agneau est en effet peu ou pas représenté dans notre culture culinaire. C’est sans doute dommage. 

Cet agneau n’est donc pas un cari, mais un lointain cousin issu de la cuisine méditerranéenne et nous lui sommes gré de nous offrir cet exotisme, ce d’autant plus qu’il est bon. La viande, légèrement résistante sous la dent, affiche une cuisson presque à point, juste assez pour rester juteuse. Elle est même croquante par endroit. Si cela peu effrayer les carencés des dents, nous nous en satisfaisons parfaitement. La sauce épaisse, un chouïa gélatineuse, magnifie la semoule fine et bien cuite pour de belles sensations en bouche. Elle porte les beaux arômes de romarin et la saveur exquise des olives qui se marient parfaitement à la viande. 

Le rougail morue, plus local, est à ranger dans la catégorie des bons, sans que nous soyons tout à fait sûr que ce soit bien un rougail morue. Nous sommes un peu étonnés d’y voir quelques morceaux de patates s’y promener. Celles-ci épaississent la texture, pas désagréablement d’ailleurs. 

La morue elle même se pare d’atours très gingembre, avec un côté fumé et grillé. Le sel est maîtrisé, le roussi des épices aussi, mais le poisson aurait été plus présentable, et délectable, s’il avait été émietté avec davantage de soin. Les gros morceaux ont sans doute l’intérêt d’offrir de la mâche, mais tout cela n’est pas très harmonieux. Ce détail mis à part, ce rougail morue pommes de terre se défend suffisamment pour être mangé sans grimace.
Les gros pois sont veloutés, et tout empreints d’un fumet prononcé. Le feu de bois revendiqué n’est donc pas du flanc!Le riz grain long n’est pas très absorbant mais il a la politesse d’être bien cuit et se fait tolérer. Le rougail bringelles est correct, et surprenant. Nous y détectons une humeur de gingembre mangue, ce qui est assez inhabituel.

En dessert, nous demandons la tatin de pommes présente avec une panacotta aux fruits rouges, un crumble pommes ananas et framboises, et un croustillant au chocolat, entre autres. La tarte est très gourmande, pas trop sucrée, avec une pâte délicieuse, un appareil réussi où se glisse la glace. Nous nous régalons.

Addition : 32,50 euros pour deux plats dont un à emporter, un apéritif, un dessert et un café. Le rapport qualité prix est assez correct.

Disons le tout net, si nous nous étions arrêtés à notre première impression, lors de notre visite de début d’année, avant les fermetures préfectorales, la Table d’Emma serait passée aux oubliettes. La cuisine, très éclectique, surfe sur une tendance fusion avec la créolité, et celle-ci n’est pas oubliée, certains jours nos bons caris sont même privilégiés, tels que le poulet dakatine, le cari crevettes, le civet canard ou le zandouilles bringelles. Le moins que l’on puisse dire est que la Table d’Emma propose de l’originalité et de la surprise. Pour autant, même si notre repas du jour nous a donné globalement satisfaction, il manque un je-ne-sais-quoi de finesse à tout cela. Il nous reste comme une frustration, un manque. Ce manque d’un « petit quelque chose » qui pourrait donner à cette cuisine un éclat supplémentaire. Une nouvelle visite, un jour où les caris seront majoritaires, sera nécessaire pour valider l’inscription de la Table d’Emma sur la liste des meilleurs restaurants créoles, et peut-être obtenir la plus belle des fourchettes.

L’oiseau de bon augure

Nous voilà partis du côté de Grande Anse, dont le bord de mer est pris d’assaut par les pique-niqueurs dominicaux. Nous descendons à l’Oiseau Blanc, restaurant situé en bord de route, avec vue imprenable sur la côte verte et l’océan. L’endroit fut jadis occupé par un autre établissement, Le Vacoas. Nous le retrouvons rafraîchi, propre et confortable.

L’accueil est masqué et professionnel, nous sommes placés contre le garde-corps en béton. La proximité immédiate et bruyante de la route se fait doucement oublier. Le menu du jour est riche : confit de canard, camaron au combava, sauté de boeuf, poulet au palmiste, civet zourite, canard à la vanille, côte de porc à la créole, andouillette à l’ananas, boucané gros piment, rougail saucisse aux oignons verts, cari de poisson rouge et friture de guêpes. Le choix des
plats est difficile, et c’est bon signe. Les guêpes sont de Mada, et un peu chères quand même, nous leur préférons le cari de poisson rouge. Nous goûterons aussi au poulet palmiste, histoire d’oublier une récente mésaventure. Des tempuras de crevettes feront notre entrée. Les apéritifs sont servis, un cocktail de fruits frais et un virgin malibu, sans alcool donc. Les deux sont délicieux, rafraîchissants, et sucrés juste ce qu’il faut.

Les crevettes arrivent, présentées avec quelques crudités, et une sauce aigre-douce gélatineuse orange toute faite qu’on trouve un peu partout, mais sans une goutte de vinaigrette, ce qui nous fait nous demander si la verdure est là pour la déco ou pour être mangée. Les crevettes, pour leur part, sont excellentes, croustillantes sur le dessus, parfumées dedans. Elles disparaissent complètement en laissant un goût de pas assez. On se calme. Nous n’attendons pas si longtemps avant de voir débarquer le poulet et le poisson.

Le poulet, signalé fermier, a effectivement de la tenue, à l’exception de la cuisse qui se délite un peu. Cuisson trop avancée ? En tout cas, le roussi est parfaitement exécuté. Il fait remonter de belles humeurs fumées rappelant la cuisine au feu de bois qui vous fait saliver rien qu’à sentir. En bouche tout va bien. Même les parties blanches ne sont pas trop sèches et aisément masticables. La sauce, ni trop liquide ni trop épaisse, imbibe le riz comme il faut.
Le palmiste, la base du chou dirait-on, affiche quelques contours filandreux mais suffisamment tendres pour ne pas servir de fils dentaires improvisés. Il a bien bu la sauce, vu la couleur, et celle-ci lui donne une saveur plus franche que s’il était cru, bien entendu.

Le poisson rouge nous avait interpellé par son tarif, 22 euros, ce n’est pas donné, mais ce plat flirte plus fréquemment avec les 30 euros voire davantage. Nous comprenons aussitôt qu’il est présenté.
C’est du petit poiscaille, juste assez gros pour boucher la dent creuse d’un amateur de poisson rouge certifié devant le Créateur et ses pêcheurs, mais sans doute suffisant pour les autres. L’animal n’a certes pas eu le temps d’aller traîner ses ouïes suffisamment dans les coraux et les grandes eaux de l’océan Indien, et sa chair manque de saveur intrinsèque. Fort heureusement pour lui, la préparation est experte. La sauce épaisse, plus marron clair que rouge, semble être constituée non seulement de tomates mais également d’oignon concassé en quantité respectable. La cuisson les a fait fondre jusqu’à rendre leur texture indétectable sous la dent. C’est une préparation qui se voit assez rarement, une technique utilisée autrefois. Notre intuition sera confirmée par la cheffe. La sauce est très bonne et le petit piment vert opportunément proposé se charge de lui claquer les sangs, procurant des montées de plaisir qu’un poisson rouge plus costaud aurait davantage magnifié, selon nous.

Rien à dire sur le riz, qui boit correctement la sauce, et qui est moelleux en bouche. Les pois sont en crème, et respirent également d’un joli fumet avec un poivre et un thym joyeux, sur des sensations veloutées. Nous terminons le repas avec des bananes flambées, chaudes et gourmandes, baignant dans un jus caramélisé addictif que nous évitons
de téter par égard pour notre glycémie.

Sandrine Hoarau, cheffe et gérante de l’Oiseau Blanc, a fait ses classes au Centhor. Elle cuisine comme sa grand-mère le lui a appris, en appliquant aussi les techniques acquises en formation. La jeune femme s’attache à respecter la tradition culinaire locale et à proposer des plats de qualité pour satis faire ses clients. Elle sait aussi sortir des mets plus
« exotiques » ou originaux comme les tempuras de crevettes du jour ou les andouillettes à l’ananas. Le résultat est sans appel aujourd’hui : nous repartons satisfaits, quoique délestés de 86 euros, soit plus de 40 euros par personnes pour deux cocktails, deux entrées, deux plats, un pichet de rouge, un dessert et deux cafés, ce qui paraît peut-être cher au premier abord. D’autres plats sont plus abordables, et des barquettes sont proposées sur certains caris uniquement. N’importe comment, quand on mange bien, on souffre moins de l’addition. L’Oiseau Blanc est une très bonne adresse du coin, avec les Badamiers, situés un peu plus haut, et dotés d’une vue plus superbe encore, moins cher mais fermé le weekend. Après cela, une promenade digestive s’impose sur la plage de Grande Anse. Pour éviter la foule, allez-y les jours de semaine.

Réveil difficile au Relais des Plaines

Notre dernière visite au Relais des Plaines ne date pas d’hier mais de huit ans exactement, avec une fourchette en argent en récompense. De l’eau a coulé sous les platanes. Le Covid est passé. La disposition des lieux
a changé, forcément. Les écarts entre les tables sont conséquents. La grande salle le permet.

Du côté carte, changement aussi puisqu’il nous est proposé de la cuisine française classique – magret de canard, cuisse de grenouilles, escargots, côtelette d’agneau – deux plats créoles, et des originalités comme le gratiné de crevettes au palmiste que nous commandons, avec un cari de poulet. L’accueil est avenant. On nous propose de l’eau. Le chef passe voir les clients. Rien à dire sur le service, aimable et efficace. Les plats en revanche…
Un jus de goyavier nous est proposé avec une lichette d’alcool. Nous sentons à peine l’alcool, ce qui n’est pas bien grave. Mais nous sentons à peine le goyavier aussi. L’apéritif a un goût de flotte. Ça commence mal.

Le Gratin de Palmiste, qui a un goût de gratin, et pas de palmiste.

Nous attaquons avec un gratin de palmiste, il fait frais, préféré à la salade du même tronc et à l’assiette créole classique. Le gratin est dressé le plus simplement du monde, avec une salade verte fraîche. Présentation kitsch. C’est chaud. Pas besoin de plusieurs bouchées pour en avoir le coeur net, la première suffit. Nous ne nous faisions pas beaucoup d’illusion au départ, tout en espérant un miracle, mais le palmiste peut difficilement garder sa saveur délicate et fragile sous les assauts de la béchamel et du fromage. Il ne peut prêter au plat que son nom, sa texture et son croquant, quand toutefois les morceaux sont assez gros pour qu’on ressente quelque chose sous la dent, ce qui est loin d’être le cas ici. Nous avons donc un gratin, plutôt bon, mais dire qu’il est au palmiste relève de la rhétorique, au mieux. Il faudrait arrêter avec ce genre de plat comme les beignets par exemple, à ceci ou à cela, qui n’ont la plupart du temps qu’un goût de pâte au bain d’huile. Aujourd’hui c’est le produit qui compte, et la mise en valeur de son goût. Si on mange un gratin et qu’on ne sent pas le produit, quel intérêt ?

Quelques crevettes se battent en duel au milieu d’un autre… gratin de palmiste !

Nous restons dans le gratiné, et dans le palmiste. «Gratiné de crevettes palmiste» est le nom du plat. Le nom « crevettes » étant placé avant, c’est donc cela que nous nous attendons à déguster principalement,
en imaginant par exemple des crevettes sautées à l’ail prises en sandwich entre des tranches de palmiste, le tout passé au four sous une couche de fromage. Que nenni. A la place nous avons… un gratin de palmiste aux crevettes, enfin, à la
demi-douzaine de misérables crevettes vapeur qui se tapent une belote en s’emmerdant à cent sous de l’heure au beau milieu de palmiste effiloché, pas plus goûtu donc que l’entrée. Ce plat est au mieux une erreur, au pis un attrape-couillon.

Le Cari poulet manque de punch

Passons au cari. Bizarre ce poulet. Ses origines industrielles ne font pas mystère, et pour autant sa tenue est bonne. Mais il nous paraît assez pâlichon. Nous goûtons la sauce. C’est fade, le roussi est indigent, et la viande n’a pas tâté assez le fond de marmite pour exalter sa saveur. On dirait un cari fait en vitesse au micro-ondes. Le plat est mangeable,
mais quand on fait des kilomètres pour savourer un cari de poulet à la Plaine, on s’attend à autre chose qu’à cet ersatz de ration de l’armée pour bidasse affligé d’agueusie. Le riz est à l’image du reste : pauvre en goût, sec et sans intérêt. Les gros pois suivent le mouvement. Le rougail de concombre est bon, bien pimenté, croquant, et essaie de sauver
le cari mais n’y parvient pas. Il aurait plutôt fallu un rougail tomate arbuste ou bringelle, bien grillée, pour apporter un peu de fumet et d’éclat à cette volaille gustativement étique.

Nous terminons par un fromage des Plaines au coulis de goyavier, rajouté à la main sur la carte des desserts, comme un oubli. Il devrait être imprimé comme les autres, et en haut de la liste. Quand on est implanté dans un lieu, on essaie de mettre à l’honneur le terroir, un tant soit peu. Le fromage est frais et plutôt bon, le coulis est très caramélisé, trop sans doute pour qu’on profite pleinement du bel éclat gustatif du petit fruit rouge emblématique de la région. Ce dessert pourrait d’ailleurs être plus travaillé, et décliné en différentes versions, avec d’autres fruits locaux. Quelques baies de goyavier bien mûres en décoration avec leurs feuilles n’auraient pas été de trop, surtout en saison. D’une manière générale il est rare que les restaurateurs mettent des fruits de saison à leur table, ne serait-ce qu’en clin d’oeil, et c’est très dommage. Coût supplémentaire ? Manque d’idée, d’intérêt ou de temps ? La raison nous échappe. Addition : 49,50 euros pour une boisson, une entrée, deux plats et un dessert. Le rapport qualité-prix est perfectible.

Il est quand même navrant de constater que ce genre de cuisine existe encore. Le Covid a fait beaucoup de mal, les restaurateurs en ont souffert, et il nous est donc pénible d’en rajouter une couche mais si certains s’imaginent qu’ils peuvent compter sur la mansuétude des clients pour accepter les à-peu-près, ils se fichent le doigt dans l’oeil à se gratter l’omoplate par l’intérieur. Les clients restent exigeants, et le sont de plus en plus. Il est grand temps de proposer de la vraie bonne cuisine réunionnaise authentique à la Plaine-des-Palmistes, en plus de la gastronomie française, pourquoi pas, l’un n’empêchant pas l’autre. Dans un cadre comme celui du Relais des Plaines, c’est le moins qu’on puisse attendre.

Chez Philo inspire confiance

Aujourd’hui nous empruntons la route des Plaines, à quelques encablures de Saint-Benoît dans le quartier de la Confiance, pour tester les plats de chez Philo. La Confiance est le dernier patelin de Saint-Benoît avant d’attaquer les rampes des Plaines, et écrin du domaine du même nom aujourd’hui fermé, hélas. Le radar du coin ne doit pas être la seule raison de lever le pied. Ce quartier verdoyant, ou les champs de cannes sont entrecoupés de pieds de letchis, recèle quelques arrêts gourmands, de la pâtisserie de quartier au vendeurs d’ananas, en passant par le petit restaurant « Au Bon Mangeur » référencé dans le guide « 45 » des bonnes tables de cuisine réunionnaise. C’est là que commence le Chemin de Ceinture qui vous rapprochera notamment de l’un des meilleurs établissements hôteliers de l’île, le Diana Dea Lodge.

Chez Philo est posé en bord de route dans le sens montant, vous ne pouvez pas le rater. La salle étant fermée pour cause de rigueur préfectorale, nous repartons avec trois barquettes : poulet au citron, civet canard et civet zourite, avec un petit temps d’attente pour le poulet pas encore prêt. Rougail morue, Shop suey poisson, Porc gros piment, Sauté boeuf étaient également au menu du jour. Au comptoir nous notons un service poli mais qui pourrait être un peu plus souriant. Voyons où les plats de Philo mènent.

Civet Zourite

Le civet zourite est assez bon dans l’ensemble. La sauce au vin épaisse l’enrobe dans une gangue tomatée qui renifle un roussi appétissant, le girofle et le poivre, mais imprègne mal la chair de l’octopus d’origine congelée fort probablement. Ce dernier a bien perdu de sa consistance de gomme pneumatique à la cuisson sans pour autant devenir vraiment moelleux. Visiblement le temps de marmite a eu un léger souci, mais c’est sans gravité. Les bouchées sont appréciées à leur juste de valeur. Nous avons tout de même déjà trouvé mieux.

Civet Canard avec zembrocal

Son cousin civet de canard nous a été servi avec le riz zembrocal du jour, à notre demande. La couleur est déjà engageante et la chair tient assez bien aux os. Gustativement parlant le palmipède s’en sort un peu mieux que le zourite, avec une saveur intrinsèque plus présente qui donne la réplique au vin cuit efficacement. Les épices du civet lui vont comme un gant, avec un roussi qui leur a bien profité. Le riz zembrocal gros pois est un bon partenaire du canard. En bouche, il apparaît plus épais que le riz blanc respirant le curcuma, avec un côté soyeux qui aurait mérité une humidification de sauce plus importante.

Nous apprécions le persil hâché saupoudré par-dessus avant la livraison des barquettes.

Poulet au citron

Le poulet citron nous mène à des horizons plus asiatiques. Les morceaux de viande ne sont pas secs, et font des avances douces et parfumées qui calment les élans acidulés du citron. Les tranches de peau de l’agrume sont d’autant plus vives en goût, comme elles le sont dans les vindayes. Mais le poulet revêt ici un caractère plus rond qu’un poisson et les bouchées mêlent la tendreté de la viande et le croquant des bouts de citron et de poivron, que la sauce de piment vert finit d’arranger. Un plat doux-acidulé-salé très réussi.

Rien à signaler au sujet des gros pois, à part peut-être une sauce qui aurait pu être plus crémeuse. Le riz blanc ne fait pas d’étincelles mais joue son rôle honnêtement. Le rougail Dakatine assure aussi, même s’il est un peu « mastic » sur les bords. Une petite tomate grillée dedans quand on est arrivé à la case, et le tour est joué.

Le restaurant « Chez Philo », qui est le diminutif du nom du gérant et non le prénom de la gérante, apparaît à première vue comme une bonne adresse de cuisine locale à Saint-Benoît, qui compte par ailleurs plusieurs excellentes tables. La salle a l’air confortable, même si on ne peut pas en profiter tout de suite, et on peut y déguster un large panel de plats typiques réunionnais, et aussi « créole chinois » comme le porc sauce grand-mère, le riz cantonnais et poulet croustillant et les shop-sueys.
La cuisine semble respecter les standards gustatifs que les clients sont en droit d’attendre, mais il manque un je ne sais quoi pour qu’elle soit plus éclatante, plus goûteuse. Les raisons sont peut-être à chercher davantage dans les temps de préparation que du côté de la qualité des matières premières car nous avons rencontré à d’autres tables des plats plus « punchy » réalisés avec des produits pas chers. Nous devront y retourner pour juger plus avant de la qualité du service dans une configuration normale.
En attendant nous inscrivons tout de même « Chez Philo » sur la liste des restaurants à fréquenter.

L’Orangerie, La nouvelle table tendance du Nord

Tout en bas de la ZI du Chaudron, rue Gabriel de Kerveguen, une nouvelle table vient tout juste d’ouvrir ses portes, et, déjà, affiche une fréquentation record, signe qu’elle est déjà la nouvelle coqueluche du Nord. Ses atouts sont nombreux, et son chef n’en est pas le moindre. Visite de l’Orangerie.

Pierrot Prugnières, chef lui même et patron du restaurant voisin La Fourchette depuis 2014, affiche le sourire satisfait de l’homme arrivé au bout de son projet, malgré les difficultés, tracas, et autres enquiquinades qui parsèment le sentier classique de tout projet d’envergure, sans compter La Covid, il va sans dire. En plein début de pandémie l’année dernière, il fallait quand même un optimisme en acier trempé serti de platine et une paire de « cojones » à faire verdir de jalousie un taureau normand pour oser réaliser ce rêve aujourd’hui partagé avec une clientèle conquise.

Écrin de verre

«  A la Fourchette, j’avais observé un accroissement de la demande sur de l’événementiel. On s’est dit pourquoi ne pas créer un lieu pouvant accueillir davantage de personnes, plus qualitatif, et inédit » raconte Pierrot. Inédit est le mot. L’idée d’une verrière lui a été inspirée par les orangeries qu’on trouve en métropole, près des châteaux. « C’est la première orangerie de La Réunion » déclare le patron, qui a préféré réaliser sur place la structure plutôt que d’en importer une qui aurait souffert du climat local. 400 m2 dont la moitié est modulable à volonté pour répondre à tous les besoins de la clientèle : salon privé, salle de conférence ou espace événementiel, avec climatisation possible, et une immense terrasse donnant sur un espace vert sympathique, aménagé par un paysagiste avec force transpiration pour remplacer une « quasi-déchetterie » ainsi que l’appelait le taulier. Tout cela complété d’un spa privatisable, n’est-ce pas, pour aller au bout de la philosophie « bien être » du lieu. « Nous avons également intégré de nombreux luminaires et spots, de couleur personnalisable en fonction des événements et du désir des clients » ajoute Pierrot.

L’ensemble évoque l’architecture industrielle du XIXe siècle, mais épurée. Les rideaux et le mobilier en bois réchauffent l’ambiance. L’effet est immédiat : dépaysement, sérénité, détente, surtout quand le personnel au petit soin vient vous cueillir sur le pas de la porte. 16 emplois ont d’ailleurs été créés, d’autres sont susceptibles de l’être en fonction de la suite des événements.

Le choix du chef

Tout cela est bien joli, mais sans chef à la barre, l’Orangerie est une coquille vide. Pierrot a donc pris grand soin dans le recrutement de son cuisinier, qu’il est allé pécher du côté de la Haute Normandie, pays de la teurgoule et des tripes à la mode de Caen (voir par ailleurs). Le patron a porté une attention particulière à la personnalité de sa recrue Jonathan en suivant son parcours et en échangeant avec lui pour mieux le connaître. Pierrot ne souhaitait pas avoir à faire à un ego enflé comme une montgolfière, et du genre gueulard comme nous en connaissons deux ou trois dans le landernau. « Je laisse Jonathan libre de s’exprimer. Il a les clés de la cuisine» affirme-t-il, tout en conservant son droit de regard. Une bonne attitude quand on sait que d’autres, dans d’autres lieux, se sont « frités » avec leur chef, clash à la clé. Une capacité à la confiance qu’il explique : « Ma force est peut-être mon parcours dans toutes les étapes du métier, de chef de partie à directeur de restauration en passant par second puis chef de cuisine». Pierrot Prugnières a notamment officié pendant 14 ans au Baccara, la table du casino de Saint-Denis.

Signature d’épices

« L’Orangerie propose une cuisine fusion et bien être. Je ne prétend pas faire de la gastronomie, mais je souhaitais une cuisine différente et complémentaire de celle de la Fourchette (qui est une brasserie, ndlr). » Jonathan Michel débarque donc sous nos cieux et passe derrière le piano qui se joue debout. Et ce n’est pas un détail pour nous : les assiettes que nous avons dégustées ne mentent pas, de l’entrée au dessert, ce fut un moment délicieux dans tout le champ sémantique que peut générer le terme.

Au menu du jour : œuf parfait, sabayon yuzu et légumes croquants. Variation de textures sur sublimation des saveurs et sans sel superfétatoire. Un filet de maquereau aux accents saumonés, iodés et de corail, moelleux comme un amoureux transi. Un demi magret de canard tendre, avec ce petit fumet caractéristique qui va jouer avec la purée de carotte arrangée à l’orange et au cumin, pour un plaisir gustatif sans égal, sur des atours raffinés. « En tant que chef, j’ai eu l’habitude de ne pas multiplier les épices, déclare Pierrot Prugnières. Pour moi, c’est le produit avant tout. Travailler avec plus de deux ou trois épices, c’est prendre des risques. Jonathan y arrive, il maîtrise sa signature d’épices. Aujourd’hui, la carte de l’Orangerie propose des saveurs dont on a peu l’habitude à La Réunion».

Au dessert nous avons opté pour une marmelade de pruneau au vin chaud, poire confite au bissap, bonbon de noisette et sa crème glacée feuilletée. Une bombe du chef armée avec le concours du pâtissier Etienne, qui a joué du rouleau notamment chez les rosbifs, et amené à prendre de plus en plus ses marques avec le temps.
Pour le moment en phase de rodage, l’Orangerie proposera une carte spécifique et restreinte le midi, une autre le soir. « Notre objectif est de garder certains soirs pour de l’événementiel, mais nous souhaitons organiser aussi, en semaine, une soirée avec l’animation musicale d’un groupe, sur une ambiance lounge et campagnarde»… Un concept à lancer, dans un esprit « à la bonne franquette » que nous devinons quand le patron cite les « Pattes Jaunes » en guise d’exemple. Nous avons hâte de retourner chez l’ami Pierrot, au clair de Lune ou pas.

Le Cap Est réussit l’épreuve

Ce ne sont pas les lieux de restauration qui manquent sur la ligne Cambuston – Champ Borne, du snack de quartier aux tables reconnues. Entre le Colosse et l’église en ruine, et plus loin encore vers Rivière-du-Mât-les-bas, les endroits où déguster tranquillement sa barquette foisonnent aussi, face à la mer, comme dit la chanson, et sous les pimpins. Au delà des plaisirs du palais, le coin a gardé un je ne sais quoi d’authentique, même si la modernité a fait son œuvre.

Aujourd’hui nous allons descendons au Cap Est. Nous serions bien restés sur place, mais la terrasse est encore en travaux. Nous repartons donc avec trois barquettes, correspondant à trois des quatre plats au menu du jour. Le quatrième, du steak de thon, ne nous tente pas aujourd’hui.

L’accueil est très poli. Et la personne au service encline à répondre à quelques questions anodines. Nous apprenons que le Cap Est a ouvert ses portes voici déjà deux ans. Aussitôt rentrés, nous ouvrons les barquettes, et la dégustation peut commencer.

Ce riz safrané est un cousin par alliance du neveu à la mode de Bretagne du briani mauricien, avec un aïeul cantonnais. Nous déterminons mal sa généalogie mais parfaitement ses saveurs, où le fameux « safran » local joue en tandem avec le silon. C’est un vrai festival, avec ici et là des éclats de cotomili.
Le riz grains long est bien cuit, et sert de lien entre les petits morceaux de légumes croquants : carotte, haricot vert, petits pois, et moins croquants comme le chou et des effilochages de champignons noirs. Les bouchées sont joyeuses et finissent la barquette généreusement remplie.

Les saucisses aux bringelles se défendent bien également. Le soulier verni est coupé en lamelles assez grosses pour offrir une bonne mâche et montrer sans détour ses qualités gustatives dont ce côté un peu piquant propre à de la belle bringelle fraîche qui a poussé sans gonflette. Il faut tenir tête aux saucisses. Celles-ci sont maigres, mais non sèches, denses et assez relevées en poivre. La consistance résistante de la viande procure une sensation appréciable. Le charcutier est à garder. Le plat est proprement nettoyé et une petite acidité finale en bouche laisse poindre comme des arrangements de combava. La sauce est aussi maigre que les saucisses, et cela nous convient très bien.

Le civet de poulet sent peu, mais se ressent mieux. Le girofle cause tout de même, avec une réserve que nous apprécions. En effet, quand on lui lâche la bride, il transforme un civet en tintamarre gustatif hardcore. Le poulet de ce côté n’a pas été conçu pour vivre jusqu’à l’âge sénile, loin s’en faut. Sa chair est trop moelleuse. Malgré cette jeunesse industrielle, la viande tient quand même, sauve les apparences, toute imbibée qu’elle est de la sauce au vin. Le riz, blanc cette fois, est imbibé aussi, ce qui ne lui fait pas de mal d’ailleurs car nous avons là un représentant des grains longs, comme des doigts de pianistes liliputiens qui font des gammes sur les dents et les gencives en se foutant éperdument de devoir se rassembler pour donner un tant soi peu de mâche agréable.

Pas de persil hâché par dessus. Ce qui est dommage. Un oubli peut-être mais c’est plus probablement la rareté de la fine herbe ces temps-ci (les pluies sans doute) qui en est la cause. Les haricots ont passé le stade d’être utilisés comme munitions dans du calibre 12, tout juste. Cela manque d’épaisseur et de velouté. Le rougail piment est délicieux.

Nous repartons en réglant une notre de 19 euros pour 3 plats à emporter plus une bouteille d’eau. Le rapport qualité prix est très correct.

Sur la grande ligne droite après le Colosse, dans le sens Saint-Denis – Saint-Benoît, il vous faudra lever un peu le pied pour lire le menu du jour du Cap Est, posé sur la chaussée. La halte, normalement, ne vous décevra pas. La cuisine est bien faite, simple et colorée. La future terrasse devra permettre de donner un cachet supplémentaire au lieu en plus de déguster des plats sur place, et peut-être aussi des salades et des desserts, que nous n’avons pas vus. Nous y reviendrons.

Labrèz, la tradition culinaire aux portes de l’aérogare

Aujourd’hui nous allons fureter du côté de la zone aéroportuaire de Gillot, pour acheter des barquette au restaurant « La Breiz », un cabanon posé à côté du rond point ouest, côté aérogare donc. L’affaire est une émanation de la célèbre auberge de campagne des Robert du Piton Fougère, pour l’instant sans activité vous devinez pourquoi.

Labrèz, nom qui évoque les feux de bois et les caris qui cuisent dessus, propose un menu quotidien éclectique, fait de plats courants et moins courants. Ce midi, nous avons droit à du riz-maïs, très rare dans les restaurants, et à tort, qui accompagne un civet de sanglier, un cari coq fermier ou un cari de dorade gros piment, au choix. Un taboulé menthe citron et des brochettes yakitori contentera les client(e)s souhaitant déjeuner autrement que local.

L’accueil est poli, et un peu brouillon. On parle fort, on s’interpelle, et le client regarde tout ça le sourcil en l’air. Le service est jeune, et vu sa tête, aurait envie d’être ailleurs. Aucune importance en la circonstance puisque nous repartons avec les barquettes plus un dessert. Home sweet home. Cari sweet cari. Nous débouchons le coq, et attaquons.

L’estampillé « fermier » a bien l’air de l’être. Les premiers coups de dents dans la viande révèle une texture ferme, presque croquante, mais souple, qui participe efficacement à la diffusion du fumet du réveil matin des basses-cours. Ce dernier peut faire l’intéressant. Il l’est. Et la sauce cari qui l’embaume de ses réminiscences épicées, se joint au riz maïs avec bonheur, comme l’aurait fait le traditionnel cari « canor ». Le bouchées sont délicieuses, et évoquent ces vrais caris des hauts, ou la viande a confit sans tomate dans la marmite au feu de bois.

Il a suffit de quelques morceaux de fond de bac pour nous donner ce plaisir, le cari ayant été largement commandé. Le coq la gaign’ in’ kok. Jugez plutôt si nous avions pu mordre à pleines dents la cuisse de l’emplumé.

Nous poursuivons avec le poisson. La Dorade n’est point fade. Bien au contraire. Elle s’installe en bouche après le coq et prend ses aises. Une odeur un peu musquée suinte de sa chair tendre qui offre une mâche plaisante. Ça sent le fond de corail à marée basse, quand le lagon a les fesses à l’air. C’est fort probablement du poisson frais, en cas contraire, c’est bien imité. Et bien cuisiné. Le « gros piment » annoncé est en revanche aux abonnés absents, excepté un morceau ou deux qui traînent ici et là, trop cuits, comme des misères. Cela n’apporte pas grand chose au plat de toute manière, d’autant qu’avant de trouver la variété de gros piment qui est fort et qui a du goût, faut se lever de bonne heure, à moins d’en avoir dans sa cour. Un petit piment vert « crasé » avec du sel et du combava et c’est nous qui aurions bavé.

Nous finissons avec le sanglier. Voilà un civet fort intéressant. Il n’en faudrait pas beaucoup plus pour nous donner des raisons d’aligner ici des compliments dithyrambiques. La viande toute imprégnée de vin cuit, envoie des charges gustatives équilibrées, où le girofle bat la mesure en arrière plan, aidée d’un laurier discret mais efficace. Les morceaux du sanglier se donnent tantôt durs sous la molaire, tantôt moelleux, avec des morceaux de peau luisante, couleur bronze, qui résistent juste assez avant de coller légèrement, envoyant une deuxième salve fumée qui laisse en avalant un soupçon acidulé. Ce civet est succulent.

Nous avons évoqué le riz. C’est très bien de proposer cela pour rappeler aux Réunionnais leur tradition culinaire. Et du maïs pur aussi pourquoi pas, même si gramoune i dit qui fé monte son tension. Le rougail « zognon » fait son travail, tout comme les haricots veloutés et fondants. Tout de même, avec des plats aussi « feu de bois » compatibles, d’autres auraient fait plus d’effet, comme un rougail tomate arbuste par exemple, le fruit est disponible en ce moment sur les marchés, ou des piments verts confits entiers, ceux qui arrachent les larmes quand on y croque.

Le flan au chocolat fait maison, à la texture soyeuse, vient clore agréablement le repas.

Pas de malaise à Labrez, asteur nout’ ventre i pèse ! Les caris de ce jour étaient très bons, ce qui confirme les avis divers qui nous sont remontés. Même sur le littoral, presque sous le nez des avions, on peut déguster une cuisine fidèle à la tradition : goûteuse, généreuse, bien exécutée, avec ce côté fumé et feu de bois qui ouvre l’appétit, comme si on était perché sur le piton, à déjeuner sur l’herbe, avec la braise qui finit de cuire de gâteau manioc, le brouillard qui descend, et le bon air frais qui rend les siestes heureuses et crapuleuses. Les touristes, quand il y en a, n’ont finalement pas besoin d’aller très loin pour avoir un bon aperçu de nos caris. Vivement les pique-niques foutor ! Bon dimanche à toutes et tous.

Qualité stable au Resto de la Bretagne

Aujourd’hui, nous allons chercher nos barquettes à la Bretagne, dans le restaurant du même nom, placé pile dans le premier tournant avant d’arriver au centre du patelin. Si vous avez du mal à trouver de la place pour vous garer, un grand parking est disponible 50 mètres plus haut sur votre droite, à côté de l’école. Ce restaurant a été testé en 2013, déjà, et avec un bon résultat puisque nous lui avions attribué une fourchette en argent.

Depuis, des travaux ont embelli la salle et le jardin de la villa. C’est coquet. Au menu du jour : civet bœuf, poisson aigre-doux, massalé poulet, sauté de poulet aux brèdes, riz cantonnais avec manchons de poulet frits et sauté de porc au gingembre. Nous aurions aimé déguster le rougail chevaquines au piment cabri de la veille, tant pis. Un rougail bringelles vient accompagner tout cela. Nous entrons à 11h00 pile, heure d’ouverture. Le service est poli mais “speed”. Demi tour gauche, nous constatons que la queue est déjà faite. A croire que les gens sont sur dans les starting-blocks avant l’ouverture des portes. Un succès certain donc. Ce n’est certes pas en vendant des repas médiocres que les rénovations ont pu se faire.

Nous repartons avec des barquettes bien pleines de poulet massalé, de bœuf et de sauté de porc.

Le poulet massalé, imbibé, reflue la bonne odeur de la poudre d’épices, mais la première bouchée est décevante. La chair est sèche et archi-sèche, duchesse, blanche et assez carton pâte, signe reconnaissable du poulet “de lo” pas cher. C’est dommage car le cari lui même est correct, encore que nous avons apporté un complément en sel, ce qui nous arrive rarement. La sauce compense un peu, en mouillant le riz. Le Kaloupilé relève le tout agréablement avec sa saveur fumée et musquée.

Le porc fleure bon les assaisonnements chinois, siave, sauce d’huître, avec des remontées nettes degingembre. La couleur est belle et appétissante, toute luisante avec des aspects plus marqués de fond de karay. Pas de mauvaise surprise en bouche cette fois. La viande est tendre, bien enduite d’une pellicule de sauce épaisse, très bonne. Les morceaux d’oignons qui se promènent manquent de croquant, mais les tranches de gros piments, pas forts, rattrapent l’afaire pour fournir des cuillerées équilibrées en terme de texture. La barquette se termine sans grimace.

Le meilleur est pour la fin. Le civet de bœuf envoie au nez des charges giroflées et un peu acidulées, avec un fond sauvage qui rappelle un peu l’odeur caractéristique du foie cuit. La viande elle même est d’une tendreté agréable, avec tout de même un léger croquant qui apporte du plaisir à la mastication. La finale acidulée et salée met en avant la saveur du bœuf qui reste un peu dans les narines. Le girofle, qui semblait rouler des mécaniques, est finalement
moins velléitaire qu’on aurait pu le craindre, et fait son travail avec justesse. Davantage de persil aurait conféré à ce civet un “peps” frais qui fait défaut, si vous aimez les fines herbes fraîches. Là aussi, la viande profite de la sauce au vin réduite qui l’imprègne à cœur.

Rien à dire au sujet du riz grain long, qui, bien qu’avec des grains détachés, ofre des bouchées convenables. La cuisson sans doute. De leur côté, les lentilles sont bonnes, mais sont-elles justifiées avec le bœuf et le sauté de porc à la chinoise ? Chacun appréciera. Pas de bon point en revanche pour le rougail bringelles, et pourtant nous sommes
bons clients ordinairement. C’est acide. Pas de remontées d’odeurs grillées qui font saliver. La bringelle plus bouillie que grillée a sans doute ses adeptes, mais nous n’en sommes pas.

Les barquettes sont tout de même terminées sans gros incident, avec peut-être une frustration sur le poulet massalé et le rougail bringelles. Le Resto de la Bretagne semble tenir le niveau de qualité que nous avons constaté voici maintenant 8 ans. Ce qui est plutôt bien. Sa cuisine respecte les fondamentaux de la tradition culinaire réunionnaise, autant que les produits le permettent. Les menus changent tous les jours et sont variés : la patte cochon, rôti de canard, rougail “sounouk”, rougail boudins, camarons au combava figuraient dans le menu des jours précédents. Nous sommes tombés sur un jour où seul le bœuf tire vraiment son épingle du jeu. La fréquentation confirme notre sentiment, mais nous reviendrons plus tard pour essayer de déguster des plats moins classiques, et cette fois-ci sur place, si bon Dieu na pitié.