Le site de Cap Méchant est très prisé des Réunionnais pour leurs sorties dominicales. De passage dans le coin, on s’arrête au Pinpin, l’un des trois restaurants de la place, avec l’Etoile de Mer et le célèbre « Cap Méchant » éponyme du lieu.
Comme ses deux confrères, le Pinpin est taillé pour les groupes, avec une bonne centaine de couverts possibles. Mais il a un atout supplémentaire : un joli jardin privé. La cuisine proposée est créole traditionnelle, et met à l’honneur les produits typiques du Sud Sauvage : palmiste, chou de vacoa, vanille. Ou en tout cas essaye. Nous prendrons le cari poulet au chou de vacoa, avec une salade de palmiste en entrée, pour un premier test.
Ça commence bien : la salade est très croquante, et les réminiscences de la saveur délicate du palmiste laissent supposer qu’il est frais, voire très frais. IL faut dire que le chef a taillé l’affaire comme il faut, obtenant des morceaux qui autorisent une mâche sympathique. En revanche il a eu la main un peu lourde sur le poivre, d’autant plus dommage que la vinaigrette est assez sage pour laisser le palmiste s’exprimer. Un bon point quand on sait que d’autres restaurants mettent à table des salades effilées, jolies, mais sans sensations.
Puis, patatras, le poulet déçoit. S’il semble effectivement être au moins fermier, vu la couleur de la chair, mais il baigne dans une sauce claire et n’affiche plus qu’un goût éteint, comme s’il avait bouilli avant d’être roussi, un roussi en vitesse visiblement, par-dessus la jambe. Le gallinacé aurait-il été jugé trop dur pour subir un tel traitement ? Ou bien est-ce une noyade accidentelle ? Toujours est-il que malgré le (maigre) soutien du chou de vacoa, qui a aussi un vague goût de flotte, le cari surnage dans l’à-peu-près. Le sel insuffisant n’aide pas davantage. Du gâchis.
Le riz est acceptable. Les lentilles paraissent en crème, mais manquent de consistance. Le rougail tomate à peine piquant est rance. On sent le machin qui a commencé à tourner.
On ne prendra pas de dessert. Il n’y avait que des glaces ce jour-là.
Si la qualité est aussi basse lors de la visite officielle, la fourchette en inox risque de tomber. Le Pinpin affirme ainsi son statut de restaurant « touristique », au sens péjoratif du terme.
Si bien des restaurateurs ont pris conscience de l’absurdité de la chose, l’évolution est encore trop lente. Et pourtant, ce fameux « menu enfant » réalisé avec des produits industriels, c’est de la malbouffe, et doit être purement et simplement supprimé. Qu’on laisse les steaks hachés, les frites, les nuggets et les Cordons bleus aux enseignes de restauration rapide.
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Ces produits douteux sur le plan nutritionnel n’ont rien à faire sur la carte d’un établissement qui se veut sérieux. Et puis quoi ? A quel titre proposer aux enfants, ceux là même qui ont le plus besoin d’une alimentation équilibrée, de tels produits ? Parce qu’ils le veulent ? Parce que les parents les réclament ? Est-ce vraiment la bonne raison ? Il y a déjà fort à parier que les enfants qui réclament ces « menus » consomment déjà ces produits chez eux. Plus facile pour les parents : un coup de micro-ondes, un passage à la poêle ou à la friteuse et c’est fini. Pas besoin de se casser la tête à faire une recette, pas besoin de préparation. On gagne du temps, et les enfants en raffolent ! D’autre part, trop de parents ont cédé devant leurs enfants rois, et satisfont tous leurs caprices pour avoir la paix. Quelque part, le restaurant qui sert ces produits encourage à la fainéantise et donne du crédit à la malbouffe. L’autre raison est peut-être économique. Acheter des produits industriels à bon prix et les revendre avec une marge, tout en gardant les adultes sur place, car oui, certains restaurateurs ont peur que leurs clients aillent voir ailleurs si jamais ces « menus enfants » ne sont pas proposés.
Heureusement que certains établissements ont compris. Ceux là ont adopté deux stratégies de remplacement. La première est de proposer de « vrais » menus, réalisés avec des produits de qualité, à des prix modérés, ce qui demande du temps supplémentaire. La deuxième est de ne pas proposer de menu enfant, mais des versions d’assiettes moins remplies, en cas de service à l’assiette, ou de servir des plats un peu plus généreux, le but étant que l’enfant mange la même chose que l’adulte.
Quand vous irez au restaurant, si vous le voyez à la carte ou au menu du jour, dites « non » au menu enfant, et justifiez le auprès des restaurateurs.
Avec le chef Christian Têtedoie, étoilé Michelin. Master class à l’hôtel Heritage Telfair, Bel Ombre, Maurice
Le durable en Héritage
Raoul Maurel, le Directeur des opérations du groupe hôtelier mauricien Heritage, est formel : la politique menée en cohérence avec l’esprit du groupe Rogers, « La mer, la Terre, la vie », n’est pas du simple « green washing », mais un engagement sincère et durable.
« Nous avons la chance inouïe de disposer à Bel Ombre de ressources naturelles abondantes, de produits parmi les plus raffinés du pays cultivés grâce à un savoir faire inégalé » lance Axelle Mazery, la directrice de communication de Rogers Hospitality. Force-t-elle le trait pour la galerie ? Sans doute un peu, mais ce n’est pas sans raison. Le touriste lambda, dont le Réunionnais, affectionne l’île sœur pour ses plages, mais le Sud offre des paysages et un côté « sauvage » plus prononcé, un peu comme chez nous. A ce titre Bel Ombre est réellement privilégié. En témoignent le parc national, bordé par le domaine privé de plus de 1500 hectares où s’ébattent des cerfs, et les potagers surveillés par Denis Mootegoo pour la société Agrïa, bras agricole vivrier du Groupe Rogers. En sus de cette richesse naturelle, Heritage Resorts est le premier à proposer des séjours neutres en émission carbone, selon Raoul Maurel. Un engagement appelé « Now for Tomorrow » (maintenant pour demain) initié après la réouverture des frontières post covid. Comment diable font-ils donc pour compenser les vols internationaux, dont celui du chef étoilé présent chez eux ?
Plusieurs engagements ont été pris : consolider le développement circulaire et intégré, favoriser la consommation durable, protéger la biodiversité (enfin, à Maurice, le peu qu’il reste), valoriser la culture et le patrimoine mauricien et soutenir les communautés environnantes à travers un développement impulsif. Tout ça c’est très bien, mais concrètement, qu’est-ce que cela donne ?
Production locale privilégiée
Dans les faits, Heritage a suivi la tendance générale, rare bénéfice du Covid, qui a voulu que tout le monde regarde plus attentivement ce qu’il a chez soi, avant de brouter l’herbe supposée plus verte venant de chez les autres. « Depuis janvier de cette année, tous les fruits, légumes, fruits de mer, la volaille et la viande consommée dans les établissements proviennent de fermiers et de producteurs mauriciens ou de partenaires régionaux dans l’océan indien. » lance Axelle Mazery. Et les efforts portent leurs fruits. 98% de fournisseurs locaux. 100% de volailles achetées localement ainsi que 75% des fruits de mer, 62% des viandes, 95% des légumes et 80% des fruits. Avec ou sans pesticides ? Le responsable de production chez Agrïa parle d’agriculture raisonnée, tout en évoquant les soucis ordinaires des paysans du monde entier sur les malheurs de leurs salades.
Le chef étoile Têtedoie découvre les brèdes chouchous.
Et importations revues
Les produits de Maurice ayant trouvé leur place, il fallait régler le sort des importations. Ainsi le bœuf Wagyu d’Australie sera-t-il remplacé par son cousin d’Afrique du Sud, issu d’un élevage raisonné. Les moules de Maurice prendront la place de celles venant de Nouvelle Zélande, le thon remplacera le saumon, l’ombrine demandera à la dorade Coryphène non traçable d’Asie de s’ôter de là pour qu’elle s’y mette, le crabe viendra du Mozambique, et la langouste aussi, sauvage, à la place de celle des élevage du Golfe. Vanille et chocolat viendront de Madagascar. Et de La Réunion ? A part les touristes, on ne voit pas bien. Le savoir faire peut-être, comme celui que Julien Leveneur, notre talentueux pâtissier péi, champion de France du dessert 2022, va dispenser au Telfair dimanche prochain.
Gaspillage et recyclage
Bouteille d’eau recyclable
Côté gestion des surplus et des déchets, Heritage affiche également quelques résultats. Axelle Mazery enchaîne les chiffres. « Nous visons à recycler 75% de nos déchets d’ici la fin de l’année »… demain pour ainsi dire. « Nous ambitionnons de développer une approche appliquée pour réduire le gaspillage alimentaire dans les hôtels tout en nous engageant dans un projet pilote en collaboration avec le label « The Pledge of food waste », soulignant dans la foulée que les hôtels ont été certifiés « Green Key ». Les leviers : servir la juste quantité de nourriture, travailler sur le composting, et collaborer avec Foodwise pour donner les surplus aux nécessiteux. Axelle Mazery admet que ces engagements ne sont « pas faciles, surtout dans un contexte économique compliqué ». D’ici que l’Empire du milieu aille voir à Taïwan s’il y est, et se chicane avec l’oncle Sam, ça ne va pas s’arranger.
Jusqu’ici, approbation générale dans la salle qui ne pipe mot. Mais quand la « chief communication officer » raconte que Heritage Resorts embouteille son eau (avec des contenants recyclables) ce qui contribue à éviter 30 tonnes de plastique depuis le début du projet, c’est tout juste si l’assistance ne se fend pas d’une ola ! Et nous avec. Les produits d’hygiène en chambre ne sont pas oubliés : 95% sont fait avec des substances naturelles.
Côté cuisine
Clifford Pierre-Louis, le manager de l’hôtel Heritage Awali, voisin du Telfair, fait un petit historique de l’événement, en remerciant au passage l’institut Escoffier de Maurice qui a mis son grain de sel dans le cahier des charges, et dispensé les formations nécessaires pour comprendre ce qu’était la gastronomie durable. Un « core team » de tous les chefs de cuisine et directeurs du domaine a été mis sur pied. Les cartes ont été revues pour être pensées locales et régionales, les recettes revisitées, toujours dans l’objectif de satisfaire le client. Client qu’il faut aussi éduquer au régime… flexitarien. Ce mot vous dit quelque chose ? En gros, il s’agit de diversifier son alimentation en privilégiant le végétal et en limitant le poisson et la viande. Demandez à votre (arrière) grand-mère qui a connu les privations d’après guerre, elle était flexitarienne sans le savoir, dans le meilleur des cas, végétalienne à l’insu son plein gré, plus souvent.
« La cuisine durable est innovante, fraîche, maîtrisée, instinctive, professionnelle, respectueuse de la tradition des pays, en lien avec les productions locales, intelligente et sans barrière, responsable et correspond au juste besoin nutritionnel des personne » conclut Clifford Pierre-Louis dans une envolée lyrique. En parlant de besoin nutritionnel, d’ailleurs, nous avons la jauge dans la réserve. On se rattrapera le soir au Palmier, l’un des restaurants du Telfair.
Le chef Têtedoie entouré de la « team » Rogers/Heritage : Raoul Maurel, Axelle Mazery, Alexandre Piat et Clifford Pierre-Louis.
Voici de quoi clouer provisoirement le bec des sceptiques et des soupçonneux sur l’engagement réel du Groupe Rogers et de ses entités Heritage et Agrïa à mener le combat de la « gastronomie durable ». Tout ces gens nous ont semblé sincères et impliqués, ils pourraient servir d’exemple à quelques uns chez nous, en dépit de progrès encore à faire. Ce n’est que la première année. L’avenir dira si l’élan se poursuit. Ainsi, ce nous semble, serait-il intéressant d’inclure d’une manière ou d’une autre, dans cette semaine certes déjà chargée, des enfants et adolescents des quartiers voisins, qui représentent l’avenir et sont à ce titre les réceptacles prioritaires des enseignements sur le développement durable, la culture du goût, la cuisine avec des produits frais et sains, etc. La gastronomie durable, ça commence à la cantine. Longue vie donc à cette manifestation, définitivement.
Saint-André compte quelques bonnes tables créoles. Le Velli et chez Jo, le Franciscéa aussi, si on veut, et une multitude de petits restaurants de qualité diverse, et souvent inégale selon les jours. Celui que nous visitons aujourd’hui, « vu à la télé », prend ses quartiers sur l’avenue Bourbon.
Si vous parvenez à vous garer le midi Avenue Bourbon, à proximité de chez Dam’s Caz, courez au PMU le plus proche, vous êtes en veine. Vous aurez plus de chance de trouver de la place derrière l’église, et encore. Nous débarquons de bonne heure, comme d’habitude. Les plats sont prêts. Le menu du jour, affiché à l’extérieur donne le ton : il s’agit de cuisine chinoise, essentiellement. Enfin, « chinoise » à la sauce réunionnaise ! On n’est pas non plus au Wang Fu ni au Sweet Cooking. Appelons ça de la cuisine au Karay : Sauté de crevettes à l’impériale, Riz cantonné poulet, sauté de mine porc et sauté de poulet aux oignons. Les seuls plats pur péi sont un ti salé aux gros pois et un rougail saucisses fumées. Et l’élégance d’écrire correctement « bon » appétit et pas « bonne » appétit !
L’accueil est souriant et sympathique. La jeune femme au service nous explique le fonctionnement de l’établissement. Buffet à volonté, et à emporter aussi, payable à la barquette « qui ferme ». En gros mettez-y tout ce que vous voudrez, tant que la barquette puisse être fermée. Deux originalités, peu ou pas vu ailleurs : le buffet à volonté inclus samoussas, bonbons piments et consorts, et les glaces aussi. Le premier regard sur l’ensemble des plats alignés est satisfaisant. Les couleurs sont belles, mais les délicats des artères vont avoir quelques sueurs. Un déjeuner ici et c’est deux jours de légumes vapeur derrière.
Nous entamons les hostilités avec des fritures. Samoussas, bonbons piment et feuilletés aux brèdes sont plutôt bons dans l’ensemble. Des épices pas trop agressives. Un sel correct. Le bonbon piment est plus dodu que Juliette. Puisque le buffet est à volonté, nous tâterons de tout, sauf des mines. On veut bien vivre dangereusement, mais là, c’est un peu trop « généreux » pour employer un euphémisme poli.
Le riz cantonnais est riche et bien foncé. Carottes et tout petits dés, oignons verts, œufs, avec du poulet tendre, tout ça bien sauté, font des bouchées gourmandes et odorantes. Ce riz cantonnais est un plat en soi, davantage que certains autres moins généreux et consistants. L’accompagner d’un autre plat ce n’est plus de la gourmandise, c’est de la témérité.
Le poulet aux oignons a l’élégance de se tenir malgré sa visible basse extraction. Imbibé de sauce, comme les oignons très cuits d’ailleurs, il affiche un goût prononcé, sur une danse sucrée salée. C’est assez bon.
Sucrées salées sont aussi les crevettes. Toutes rouges, elle sont charnues et ont gardé leur saveurs un peu sauvage. La sauce épaisse et glissante, ajustée au croquant des poivrons, est un délice. Les petites cacahuètes qui s’y promènent donnent aussi du croquant, et leur saveur assoie le sucré-salé d’une touche intéressante. Ce plat est presque addictif.
Le salé pour sa part a donné son sel aux gros pois dont le bain aurait pu être un peu plus épais et crémeux, ce nous semble. Malgré tout le plat est correct.
Le rougail saucisses est trop salé. Les adeptes du sel et de la saucisse mal épicée y trouveront leur compte. Nous, nous adhérons pas du tout.
Un mot sur les accompagnements : le riz blanc est bon. Ce n’est pas ce triste riz à grain sec et détaché qui joue au flipper dans les dents, comme on en trouve trop souvent ailleurs. Le rougail tomate est haché si gros qu’on ne confondrait presque avec une salade s’il n’était pimenté. Cela prend autant de temps que ça de faire un rougail tomate présentable ? Le rougail carotte envoie de belles charges chaudes. Il passe mieux avec les crevettes.
Nous terminons avec des glaces. Mais des gâteaux et des salades de fruits sont aussi disponibles. Addition : 17 euros boisson comprise. Le rapport qualité prix est bon.
Le chef du Dam’Caz est sans conteste possible un maître karay. La cuisine n’est sans doute pas le parangon du raffinement culinaire réunionnais, écriteau derrière lequel se cachent parfois certains restaurants à la cuisine sans goût ni sentiment. Mais après tout ce n’est pas ce qu’on lui demande. Si vous voulez du goût et des sensations, vous les trouverez au Dam’Caz, à la louche, à la benne ! C’est de la bonne cuisine de quartier, généreuse dans tous les sens du terme. Ceci dit elle y gagnerait en cherchant un peu plus de légèreté et de finesse, et à éliminer complètement les plats approximatifs comme ce rougail saucisse qui faisait figure de poil gras dans un bol de soupe chinoise. Pour l’heure, le Dam’Caz ne mérite pas moins qu’une fourchette en bronze d’encouragement
Aujourd’hui nous revenons au restaurant « Le Rendez-vous », 5 ans plus tard, « déjà » oui. Ce dernier avait à cette époque récolté une bien insignifiante fourchette en inox pour l’ensemble de son œuvre du jour. Il était temps de faire une mise à jour.
Les lieux n’ont guère changé. Toujours les mêmes locaux qui, de l’extérieur, se fondent parfaitement dans le paysage industriel de la cité portoise étant fait en modules type Algeco, avec le parquet qui ondule. Nous prions les saint patrons de toutes les corporations des métiers de bouche qu’il n’en soit pas de même pour le contenu des assiettes. L’accueil, pour sa part, reste aimable et professionnel. Nous nous installons, commandons les boissons, puis la patronne nous présente le menu du jour. Celui-ci est riche. 9 entrées, 17 plats de cuisine réunionnaise (à tel point que la place manque même sur l’ardoise pour les écrire), 6 plats plus « métros » et deux formules dont une végétarienne. C’est considérable, et pas fait pour nous rassurer. Pourquoi tout ça ? Ratisser large ? Contenter tout le monde ? Cette stratégie ne laisse pas de nous interroger.
Nous demandons la salade de palmiste et quelques fritures créoles pour commencer. La salade est fraîche et croquante, avec un assaisonnement correct. Le goût du palmiste a tenté de survivre. L’œuf mimosa proposé par-dessus est délicieux. Les samoussas sont bons mais maigrement remplis. Les accras de morue aussi, concernant la morue, mais ils se défendent beaucoup mieux.
Nous demandons le rougail graton, qui, dans le tas, a le mérite d’être peu courant, et le rougail chevaquine, que l’on rencontre presque aussi rarement. Le sempiternel rougail saucisses pourrait sauter, le boucané bringelle itou, et aussi la sauce sardine par exemple, pour faire de l’air, quitte a revenir le lendemain à la place d’autres plats.
La salle se remplit au fur et à mesure. L’intérieur est plus sympathique que l’extérieur en tout cas.
Deux bonbons piments font figure d’amuse-bouche. Ceux-là ne renient pas leurs origines malbar, bien au contraire. Ils le crient sur tous les toits. L’explosion de cumin, curcuma, cotomili, avec une chaleur pimentée largement supportable mais bien présente nous passe les papilles à l’essorage. Mangez une dizaine de ces choses et c’est sûr, le cumin vous sort par les aisselles pour embaumer vos collègues tout l’après-midi. En ce qui nous concerne, on adore ça.
Le rougail graton est « fait à la minute », nous informe la patronne. Tant mieux. La couleur est déjà prometteuse. Un beau rouge, sur l’orange-marron du graton, qui fait son effet. En bouche, la sauce épaisse et délicieusement épicée emballe le riz comme il faut. Ce dernier en a bien besoin : les grains, cuits mais un peu durs, refluent cette typique odeur de renfermé des riz standards, fussent-ils même basmati. Le graton lui-même donne dans le croustillant d’abord, dans le moelleux ensuite et envoie sans rechigner ses belles saveurs de cochon grillé, avec un dosage de sel en équilibre parfait et les notes douces de la sauce. Une merveille. Le rougail est proprement ratiboisé.
Les chevaquines sont encore un peu « humides » à notre goût, mais leur saveur inimitable, mélange de transpiration musquée sur un coup de chaud musclé, et d’un côté sauvage d’eaux vives, ne déçoit pas. La mâche croustille également, à sa manière, et la sauce très réussie vient maîtriser les élans brut de décoffrage des minuscules crustacés. Ces derniers font en revanche moins bien le travail que le graton avec ce riz-ci, qui n’absorbe pas ce côté humide pour laisser l’assaisonnement s’exprimer pleinement.
Les lentilles sont assez crémeuses, et très parfumées. Cela change de certains endroit où l’on les voit régulièrement nager la brasse coulée dans la flotte. Trois rougails piment sont proposés : un rougail dakatine parfait, une sauce citron oignon éclatante, et un piment vert « krasé » qui a en même temps le bonheur d’être mélangé aux chevaquines directement, pour leur donner une claque. Alors là bravo. Le choix est ainsi permis et les associations certainement plus intéressantes.
Le repas a commencé malbar, il se termine indien. Nous demandons le crémeux de patate douce à la cardamome, tiède, accompagné d’une boule de glace vanille. L’association de texture et le contraste de température sont intéressants. Nos craintes d’une cardamome gustativement expansive se révèlent infondées. Elle est présente, mais ne joue pas les gros bras pour autant. La patate n’en acquiers que davantage de patate ! A tel point que la glace vanille (notre choix) est quand même un peu éteinte. Si vous avez l’occasion de commander ce dessert, préférez un autre parfum, plus fort.
Deux boissons, deux entrées, deux plats, un dessert et deux cafés dont un accompagné de cannelés, addition : 95,50 euros pour deux personnes, soit 47 euros et des poussières par tête. Le rapport qualité prix est perfectible.
Ce retour au restaurant le Rendez-vous est une bonne surprise. 5 ans plus tard, les plats dégustés sont clairement plus conformes à ce que l’on est en droit d’attendre d’une cuisine réunionnaise de qualité. Mais quelques détails, et non des moindres, restent à peaufiner selon nous, en commençant par un choix plus judicieux du riz. Ce dernier doit être plus gourmand, offrir une meilleure mâche, mieux absorber les sauces, si tant est que le choix des riz disponibles sur le marché pour les pros le permette bien entendu. Des chevaquines un peu plus grillées et moins humides auraient donné pleinement leur potentiel. Enfin, une bonne cure d’amaigrissement du menu serait salutaire. Un menu resserré évite d’abord de solliciter les chambres froides plus que de raison, en privilégiant une cuisine du jour et des produits frais, voire ultra frais. L’excellent rougail graton en est le parfait exemple. Cela permet aussi au chef de s’investir sur des plats plus travaillés, plus aboutis. Si aujourd’hui le repas fut très correct, il pourrait être encore meilleur, et ainsi mieux faire passer l’addition.
Notre dernière visite au restaurant de la Ferme du Pommeau (qui est aussi un hôtel) remonte à 2019. Elle s’était soldée par une fourchette en plastique. Repris l’année dernière, l’établissement, qui avait bien besoin d’un renouveau, a rouvert avec une nouvelle équipe. Étant donné la misère gastronomique créole de La Plaine des Palmistes depuis que le Relais des Pitons a fermé ses portes, nous avons conçu quelque espoir de trouver à la Ferme de quoi contenter les palais réunionnais exigeants. Résultat : patatras.
Nous arrivons sous les cieux cléments d’un soleil qui s’habille pour l’hivers à la Ferme du Pommeau. L’entrée a changé. On se gare maintenant côté jardin. La piscine est en fonction. Elle a bénéficié d’un petit lifting dirait on. Les bâtiments accusent encore extérieurement le poids des années, mais cela est plus soigné que dans nos souvenirs. La salle du restaurant, avec sa cheminée centrale, paraît plus dépouillée. Le Covid et les distanciations obligatoires sont passés par là. Nous sommes accueillis fort chaleureusement par deux personnes. L’une d’elle, très sympathique, nous avoue même que c’est son premier jour. C’est bien, mais le client n’a pas à le savoir. Non plus qu’il n’a à entendre les conversations fusant depuis la cuisine, d’ailleurs. La carte nous est présentée. Des feuilles imprimées, dans des pochettes en plastique. Si c’est un détail pour certains, pour nous ça veut dire négligé. Mais passons.
6 entrées, 5 spécialités créoles, 5 spécialités « du chef ». Les spécialités du chef étant magret de canard, entrecôte de bœuf, gambas poêlées au pastis, thon mi-cuit au sésame sauce tamarin, et steak de butternut galettes de légumes croquants. Excepté les deux derniers plats, les « spécialités » sont d’un commun navrant. Mais après tout, c’est peut-être excellent et il y a toujours des clients qui se fichent de l’originalité comme de leur premier petit pot.
Nous ne sommes pas venus pour ce genre de plat. Nous tentons le rougail saucisses et le cari coq. Pas non plus des modèles d’originalité, sauf pour le touriste tout frais, mais qui font partie du paysage culinaire.
Nous demandons « La Réunion des Saveurs » en entrée, un nom un peu dithyrambique pour des fritures péi, samoussas, bouchons, bonbons piment et sarcives. Des amuses gueules qui se révèlent pas mauvais. Il manque peut-être une sauce pour les accompagner. Chinois ou prune. C’est en effet un peu sec.
Nous demandons également une salade de palmiste « Passionnée », à savoir avec une vinaigrette agrémentée au jus de la passion… La perspective nous enchante. La première fourchette nous déchante. Le palmiste présente une texture qui a quitté le croquant du frais pour autre chose, beaucoup moins croquant, bien moins frais, et zombifié par la sauce, laquelle se montre davantage agrume que fruit de la passion. Deux olives et quatre tomates pour la déco. Pourquoi faire ? Ce n’est pas une entrée, ça, c’est une erreur. Les plats de résistance arrivent assez vite. Trop.
Le service est à l’assiette. Les dressages font pitié. Un riz aux contours bizarres (du bas de gamme très probablement) et dont le moulage se casse la figure. A peine trois cuillerées de saucisses. Des morceaux de blanc de coq, et des os, tout ça posé comme une pelletée de tout-venant dans une déchetterie marron. Cela ne ressemble à rien. Nous goûtons.
Le rougail saucisse est mangeable, même si les charcuteries sont assez quelconques, avec une petite tendance grasse, qui n’est pas trop gênante. La sauce est correcte, en dépit d’un côté acidulé-sucré qui rappelle les tomates en boîte, en moins prononcé. Rien à dire de plus. Ce n’est ni le meilleur ni le pire que nous ayons mangé, il se situe dans la moyenne inférieure.
Le cari de coq fait presque mieux, si l’on peut dire. Selon la dame au service, la plupart des produits proviennent du secteur. Nous nous attendions donc à un bon vieux coq fermier palmiplainois, au moins. Les blancs sont filandreux mais pas trop secs. Les épices sont trop timides, et la saveur générale déprimante, pour un coq. En risquant une métaphore cinéphile, si un bon cari de coq la cour est James Bond, ce cari ci c’est Johnny English. Une parodie, le rire en moins.
Les accompagnements sont globalement corrects. Le riz est bien cuit, avec un goût de « vieux » discutable en revanche. Les lentilles sont plutôt dans la bonne moyenne, assez parfumées, mais la sauce est un peu claire. Le rougail tomate est acceptable.
La carte des desserts ne brille pas non plus par son originalité. Nous demandons le moelleux au chocolat et un café. Le second est servi bien avant le premier. Les deux en même temps aurait été plus indiqué. Le moelleux est à moitié froid. L’autre moitié est à température ambiante. Problème de four ? Le dressage se veut sans doute joli, mais c’est du niveau atelier de cuisine pour école primaire. Smarties en prime. Au milieu : deux raisins coupés en deux. Des raisins, alors que nous sommes dans la patrie du goyavier, en pleine saison, et qu’il y en a une quantité sous les fenêtres par-dessus le marché. Selon vous : > « Ils n’ont pas eu l’idée » > « Il reste des raisins au frigo » > « Ils n’en n’ont rien à f… » > « Les raisins c’est mieux avec le chocolat » > « Goyavier ? C’est quoi le goyavier ? »
Addition : 73,50€ pour deux personnes, boissons, entrées, plats, un dessert et un café (pas bon). Soit 36,75€ par personne. Le rapport qualité prix est très mauvais.
La Ferme du Pommeau a été reprise en août 2021. Il y a donc 10 mois. Nous ne parlerons pas de l’hôtel, qui n’est pas notre propos, même si nous supposons qu’il a dû et doit encore mobiliser des énergies. Au détriment du restaurant ? Ce dernier a eu largement le temps de prendre sa vitesse de croisière, mais montre au contraire un amateurisme parfaitement incompatible avec ce genre d’établissement et les tarifs pratiqués. Carte mal présentée, au contenu sans originalité, sans innovation, sans recherche. Des plats approximatifs, mangeables mais qui ne déclenchent aucun plaisir. A part se remplir le ventre, on ne voit pas très bien quelle raison pourrait inciter à pousser la porte de ce restaurant si les plats ressemblent tout le temps à ceux que nous avons mangés aujourd’hui. Il est grand temps pour l’équipe en cuisine de se ressaisir et de passer à la vitesse supérieure, au lieu de pédaler dans le vide. Un bon restaurant est la locomotive d’un hôtel. Des consultants professionnels peuvent proposer leurs services pour mettre du charbon dans la chaudière et faire avancer le train ! Cela a un coût, mais celui-ci est largement rentabilisé. Décidément, La Plaine des Palmistes reste bien pauvre en cuisine créole de qualité pour l’instant. Un espoir subsiste encore : le restaurant les Platanes vient de rouvrir. Sait on jamais, là bas, ils savent peut être cuisiner. On ira le vérifier.
On entend d’ici les récrimineurs en costume de troll des réseaux sociaux, zombies mono-neurone et producteurs industriels de bile : « Mais pourquoi aller manger créole dans un endroit pareil ? Il y a d’autres restaurants beaucoup mieux » et gnagnagni et gnagnagna. Et nous leur feront remarquer qu’entre Gillot et les plages de l’Ouest, si l’on se borne à emprunter la nationale, c’est quasiment le seul restaurant de Saint-Denis parfaitement repérable et visible, planté devant le Barachois.
Autant dire un spot, un emplacement en platine serti de diamants, aimant à touristes. Il est donc déjà dommage que ces derniers ne puissent y trouver que quatre caris à la carte, parmi la foultitude de plats divers qu’on a peine à imaginer frais à moins que la cuisine, plus grande dedans que dehors comme le Tardis du docteur Who, n’abrite une brigade complète. Dans le détail : 6 entrées, 4 plats végétariens, 5 poissons, 10 plats de cuisine française, 13 desserts, sans compter les glaces, et les plateaux de fromages et de charcuterie.
L’établissement est une institution du chef lieu, avec son histoire, ses personnages, ses tribulations, son décor en mode brasserie parisienne à la sauce compagnie des Indes, avec ses pierres de taille, ses tables bien mises, son bar (à choix) lustré, ses fauteuils capitonnés à ressort.
Arrivés de bonne heure, nous sommes accueillis et placés. Le personnel est professionnel et souriant, tiré à quatre épingles, ou à trois et c’est déjà bien. Que propose-t-on donc aux visiteurs de passage, fraichement débarqué ou non, souhaitant manger autre chose que ce qu’il a dans son assiette ordinaire de zoreil ? Cari crevettes aux gros piment, civet zourite, rougail saucisse et cabri massalé, avec accompagnements classiques et tout de même des brèdes et du achard. C’est peu mais déjà pas mal à condition que la qualité compense la quantité. Heureusement les « rendez-vous de la semaine », un plat par jour, complètent cette liste créole. Romazava le lundi, cari la patte le jeudi, rougail morue le vendredi et travers de porc laqué, plus asiatique donc, le dimanche.
Nous demandons le rougail saucisses, adulé des touristes, et le cabri massalé, adulé de nous même. Les assiettes arrivent sans guère d’attente. Dressage basique mais quand même plaisant à l’œil.
Le rougail saucisse est indigent. Les saucisses sont médiocres. A part un arrière goût de cochon industriel, et une texture molle, elles n’ont rien à dire, même trempées dans leur sauce de tomate en boîte claire. Alors certes les tomates sont à 10€ le kilo pour le quidam moyen au marché forain, en ce moment. Mais faire payer ce rougail saucisse de cour des miracles à 18,50€ c’est prendre le touriste pour un cochon de payeur en comptant sur son ignorance.
Le cabri massalé, réchauffé aussi, fait un peu mieux. Même si le parfum de la poudre d’épice malbar est passablement dilué, et la viande sans plus d’entrain gustatif, le plat sera apprécié des palais délicats désireux d’avoir un aperçu général de ce plat. Nous avons vu pire, mais plus souvent meilleur. Presque pas besoin de dents pour mâcher, la viande est archi cuite.
Le riz a l’urbanité d’être correctement cuit, lui, même s’il est visiblement loin d’être le meilleur du marché. Les grains blancs sortent de tôle, pourquoi n’est-on pas surpris, mais sont aussi convenablement préparés. Les brèdes existent et c’est déjà bien. Du chou-de-Chine efficace. Le hachard est croquant et plutôt bon, avec un curcuma vif sur une longueur acidulée, en dépit du fait qu’il n’est composé que de deux légumes (chou et carotte) et de gros piment. Les rougails sont servis en quantités homéopathiques, mais se défendent également.
Nous demandons des crêpes et la tarte tatin en dessert. Cette dernière, faite maison, est un vrai pavé à la vue, mais descend toute seule. La pâte, trempée dans la crème que nous avons choisie au lieu de la boule de glace, est un délice. Les gros quartiers de pommes au four fondent en bouche, sans laisser de sucre autoritaire sur la langue. Nous terminons avec un café et réglons une addition de 65,80€ pour deux boissons, deux plats, deux desserts et un café, soit presque 33 euros par personne. Le rapport qualité-prix est mauvais.
Vous voulez déjeuner sur le front de mer à Saint-Denis en étant confortablement installés ? Le Roland Garros est une bonne adresse, à condition de choisir autre chose que des plats réunionnais, et surtout pas le rougail saucisse, si celui-ci ressemble à celui que nous avons mangé aujourd’hui. Les plats créoles, noyés dans la carte, sont ici la dernière roue de la charrette, ce qui est bien dommage compte tenu de l’emplacement privilégié dont jouit l’établissement.
Un autre restaurant, réputé pour sa cuisine locale celui-ci, avait pour projet de s’installer à un jet d’ail de là, du côté de l’entrée du Bas de la Rivière. Pas de nouvelles depuis des années. Il est vrai qu’à La Réunion, entre l’administration poussive et des élus intéressés (ou pas), ce n’est plus de la patience qu’il faut pour faire aboutir un projet d’ampleur, c’est de l’abnégation associée à la longévité de Mathusalem. Son ouverture aurait fait bougé les lignes au niveau de la qualité des plats créoles du Roland Garros, ou peut-être retiré ceux-ci de la carte, ce qui ne ferait que peu de différence avec la situation actuelle. Allez, on garde le sourire : « rougail saucisses ! ».
Le village de Terre Sainte, « waterfront » comme disent les cousins Mauriciens, a gardé un cachet certain, auquel quelques constructions anciennes et malmenées par les ans et les éléments ne sont pas étrangères. On y respire le bon air marin, et ce d’autant plus quand la houle fait son show. C’est dans ce cadre pittoresque que OBM est installé. O Bord’Mer « by » Leveneur.
Notre première visite date de deux ans, et nous avions été charmés par les lieux, le service et la qualité des plats. Qu’en est-il aujourd’hui, après les vicissitudes sanitaires et météorologiques ? O Bord’Mer a gardé sa philosophie : une cuisine créole, mais pas seulement dans le sens où on l’entend communément. Cette créolité s’exprime surtout dans le choix des produits et la manière de les travailler. Des produits de la mer, surtout, poissons et crustacés. Les amateurs de barbaque ne sont pas oubliés. Aujourd’hui du kangourou, du filet mignon, de l’agneau, de l’entrecôte et du canard. Côté mer : caris de thon et d’espadon frais, du Ti jaune rôti, filet de bar, thon mi cuit, tartares… Soit 19 plats en tout à l’ardoise, sans compter les desserts. Aucune entrée proposée. C’est sans doute beaucoup, peut-être trop. Ne vaudrait-il pas mieux se concentrer sur cinq plats principaux et deux entrées par exemple ?
Nous demandons quand même une entrée, et avons la bonne surprise de recevoir une réponse positive. Samoussas ou fritures d’éperlans ? Les samoussas n’étant pas de la maison, va pour les fritures. Après cela nous souhaitons tenter la fricassée de zourite et camarons citronnée, pour changer un peu des caris. Cette fois la surprise est mauvaise : il n’y en a plus. Pas plus qu’il n’y aura de glace tamarin au dessert. Attention à bien afficher les plats disponibles avant d’accueillir les clients. Nous nous rabattons sur le rizotto aux gambas au curry vert.
Un Ti-punch plus tard, voici venir les éperlans. Les petits poissons croustillants, bien égouttés, nous envoient une claque puissante teintée d’un fumet grillé tout à fait appétissant. C’est salé, mais le sel n’est pas si autoritaire que ça. Il invite plutôt à l’enrobage de mayonnaise. Celle qui est sur l’assiette en guise de décoration n’est pas su!sante. Une bonne dose de mayonnaise maison, nature, épaisse, celle qui colle, aurait très bien fait l’affaire.
Le risotto remplace l’entrée, proprement nettoyée. Il a tout pour plaire. Une texture crémeuse, avec une mâche agréable, juste assez résistante sous la dent pour avoir des sensations. Une saveur prononcée, assez marine, mais nous avons un peu de mal à reconnaître le curry dans l’histoire. C’est ce qui arrive quand on a le palais portant les souvenirs des tsunamis gustatifs des cuisines indiennes. Les gambas sont bons, quoique peu salés toutefois, et manquant de ce côté roussi des attaches au fond de poêle, qui donne une couleur gustative particulière aux crustacés. Mais sans doute n’était-ce pas l’effet désiré. Pour ajouter au thème indien voulu par le curry, des sortes de papadums sont fichés dans la garniture. Pour résumer le plat est joli, plutôt bon, mais le chef aurait pu aller un peu plus loin dans l’exercice, en épiçant davantage le risotto et en donnant plus de pêche aux gambas.
Nous terminons par deux boules de glace artisanale et un café avant de régler la note : 45 euros pour une boisson, une entrée, un plat et un (petit) dessert. Le rapport qualité prix est acceptable.
Petite plage à proximité du restaurant.
O Bord’mer a connu quelques aléas, à l’instar de ses confrères du coin et d’ailleurs, et semble soffrir d’une structure qui n’a d’avantage que son emplacement royal, les pieds dans l’eau. Le bâtiment est fatigué, la proximité océanique est intraitable avec les constructions humaines et nous ne sommes pas sûrs que les locaux soient pleinement fonctionnels pour travailler dans les meilleures conditions. Malgré tout, le chef et l’équipe du restaurant « i tienbo », en proposant une cuisine généreuse et joyeuse, à l’image du personnel qui nous a servi aujourd’hui. Nous notons quand même un léger tassement dans la qualité globale, par rapport aux plats que nous avons dégustés voici deux ans. Mettons cela sur le compte des di!cultés du métier et peut-être aussi de cette fatigue mentale ambiante qui touche tout le monde, entre la crise sanitaire qui continue en dépit du fait qu’on regarde ailleurs, les problèmes liés au fret, la guerre, les intempéries, et tutti quanti. Les bons restaurants ne sont pas légion, il est important de « tenir bo » encore pour ne pas constater un jour que la salle est vide, face à l’amer. Heureusement, pour le moment, aucune raison de ne pas revenir chez le chef Leveneur.
Notre dernière visite chez Moustache date de 2019. Avant la chienlit. Depuis la configuration des lieux a notablement changé. Toute la partie restauration a été basculée vers l’arrière, la petite case créole étant dévolue au rôle d’épicerie de quartier, autant pratique que touristique, avec des produits de consommation courante ou artisanaux. La collection de rhum arrangé est toujours là, avec le fameux rhum couleuvre.
Les tables sont disposées de manière à respecter une certaine distanciation. Au fond à droite, le feu de bois crépite, à gauche une paillasse carrelée accueille quelques ustensiles. Entre les deux, une porte donne vers l’arrière cuisine d’où fusent quelques réflexions cinglantes. Il faut dire qu’aujourd’hui, le chef doit se démultiplier. Deux employés sont portés pâles. La patronne nous accueille poliment mais semble un peu tendue. Elle inscrit le menu à l’ardoise et commence doucement la valse entre les tables qui se remplissent au fur et à mesure, pour prendre les commandes. Le fonctionnement du restaurant est assez atypique comparé à la grande majorité des établissements de cuisine réunionnaise : la cuisine se fait au feu de bois, devant le client. Et la dextérité du chef, Speedy Gonzalès de la poêle et du couteau, laisse pantois. Tandis que nous sirotons l’un des cinq cocktail proposés, le « Ti vanille Moustache » (rhum, jus de banane, sirop de vanille), le chef dépiaute un tronc de palmiste et entreprend un découpage pour la salade au menu du jour. Les plats de résistance : cari canard à la vanille, cari porc palmiste, cari camarons, filet de perroquet, cari poulet aux 4 épices. Nous commandons ce dernier, plus le cari porc à emporter.
La salade est servie par le chef lui-même, à l’assiette. La quantité est correcte sauf peut-être pour les grands mangeurs. Nous nous enquerrons sur le saupoudrage vert très visible sur le blanc cassé du palmiste. Il s’agit de bigarade. L’agrume nous laissera sur la longueur une légère amertume râpeuse. Elle donne une touche fraîche supplémentaire au plat, lequel est assaisonné avec précision pour permettre au délicat palmiste de s’exprimer, dans la mesure du possible. Cette croquante entrée est nettoyée.
Il faut lever son fondement, invité par le chef qui se saisit d’une assiette et fait le service, derrière les marmites. Riz jaune, riz chauffé etriz blanc, un choix royal, accompagnent les caris. Une cuillerée de zambériques d’abord, puis le poulet. Un petit piment oignons bigarades. Et nous repartons avec notre assiette, puis lui faire un sort. Le poulet frais vient du grossiste local, D&G, pour changer. La couleur est appétissante, la sauce est convenablement épaisse et ne laisse plus voir les ingrédients qui la composent. L’odeur laisse poindre quelques accents chauds et fumés du quatre épices, qui se retrouvent en bouche en donnant du corps à la chair. La texture est acceptable même si on est loin de celle d’un poulet la cour, que les formatés à la bouffe industrielle trouvent « trop dur ». Dans 20 ans, le cari poulet sera servi dans un verre avec une paille à ce train là. Nous nous retrouvons vite à sucer les os et à finir le riz jaune imprégné de sauce. L’excellent riz, cuit comme il faut, n’avance aucune humeur curcumatée exagérée, tout en laissant dans le nez son parfum. Son cousin riz chauffé fait tout aussi bien, avec des bouchées ni trop sèches, ni trop collantes, et cette note salée, délicate en fin de bouche. Les zambériques, arrangées avec du caloupilé, sont fondantes et veloutées. Un délice. Un touriste non local se lève et dit quelques mots au chef. « Non, ici c’est cari de poisson, pas de snackage, ni de poêlage », lance ce dernier, avec un sourire amusé. L’autre a dû se méprendre sur la nature des filets.
Le porc palmiste est un ton en dessous nous semble-t-il. La faute sans doute à des morceaux un peu trop charnus et secs, mais dont le travail ne souffre d’aucun reproche par ailleurs. Le palmiste de ce cari est encore légèrement croquant, tout en envoyant ses salves aromatiques. La sauce est arrondie par sa saveur transformée à la cuisson. Le piment à la bigarade est efficace. Le rougail margoze lui dame quand même le pion. Rien de tel que cette amertume typique pour fouetter un poulet ou domestiquer un cari plus gras que d’ordinaire. L’assiette de poulet est sifflée.
Nous demandons le gâteau de banane du dessert, plus un café. La pâtisserie nous surprend. Nous nous attendions à mordre dans une pâte plutôt épaisse et consistante. Que nenni. Le gâteau est léger, spongieux même, et sans doute trop car nous avons l’impression qu’il a perdu en goût de banane au passage. La sauce de grenadelle, acidulée, répond aux lichettes de chocolat qui habillent le dessert, redonnant un peu d’éclat gustatif au gâteau. Le café est excellent. Le vrai café parfumé des familles créoles d’autrefois.
Le chef Sydney a gagné en assurance, et a fait montre aujourd’hui de sa capacité à gérer tout le menu presque tout seul. Même si plusieurs jours à ce régime semble difficilement tenable. Sa cuisine, traditionnelle et teintée d’une certaine originalité, d’un coup de patte particulier pourrait on dire, ne déçoit toujours pas. Elle pourrait même se bonifier encore, ce nous semble, ce qui montre une capacité à s’améliorer pour peu qu’il soit moins bousculé. La maîtrise du sel, des roussis, des assaisonnements, du feu de bois, bref, des fondamentaux de la cuisine locale se ressent dans l’assiette qu’on ne peut faire autrement que de nettoyer scrupuleusement. Les clients ne s’y trompent pas, il est prudent de réserver si l’on veut avoir de la place. Attention toutefois a ne pas se laisser submerger par le succès. D’autres s’y sont cassé les râteliers, à trop vouloir embrasser pour mal étreindre et se laisser tenter à utiliser des produits bons marchés et à bâcler le travail pour faire du chiffre. La fourchette d’or n’est pas éternelle. Pour le moment, du moins, elle est toujours méritée et nous la décernons à Chez Moustache avec plaisir.