Le trou était vide. Titango était passé à proximité, et y avait mis le museau, comme d’habitude, pour saluer son ami Tangou. Mais Tangou était parti depuis plusieurs jours déjà.
« Les hommes se rapprochent de plus en plus. Mon cousin en a vu du côté des grandes fougères, là-bas, ils avaient leurs chiens. Ça devient dangereux par ici, viens avec nous » lui avait-il dit. Mais Titango aimait son trou. Il avait eu tant de mal à en trouver un aussi sec et confortable, avec son tapis de feuilles, et la grosse racine du vieux Tamarin qui le cachait bien. La nourriture ne manquait pas aux alentours. Pourquoi partir ? A cause des humains ? Ils sont trop grands et trop gros pour approcher assez près, pensait-il. La végétation était dense. Mais Tangou avait insisté, et Titango était parti, un peu agacé que son ami soit aussi crédule et peureux.
Tangou et quelques autres, dont deux femelles, étaient sans doute loin maintenant, là-bas, au plus profond de la forêt, près du rempart. Titango rentra chez lui en trottinant sur la mousse et les racines, que les rayons du soleil réchauffaient un peu, à midi, chatoyant au travers de la frondaison épaisse et humide de la forêt de Bélouve.
« Bélouve », ainsi les hommes appelaient-il le sanctuaire du petit peuple. A la clairière des joncs, Titango trouva quelques framboises, qui poussaient et prospéraient sous le couvert d’une dizaine de Tamarins tordus. Il les dégusta rapidement, puis il se faufila parmi les joncs et poursuivit son chemin.
Il s’arrêta net, à quelques mètres de son logis. Il reconnût les reniflements sonores des chiens. La première fois qu’il en avait vu un, il n’était encore qu’un petit tangue, et suivait sa mère au milieu d’une touffe d’arums, pas très loin de la route. Ce chien-là jouait avec des humains, installés sur l’herbe pour manger.
Ces chiens-ci étaient plus dangereux, ils étaient utilisés pour débusquer ses congénères, avant le coup fatal, asséné par leur maître. Mais Titango était malin, plus malin que la plupart des autres tangues. Il contourna son trou en restant à distance, pour se mettre sous le vent, évitant ainsi aux chiens de renifler son odeur.
Les humains ne tardèrent pas à se montrer. Ils étaient deux. Un grand et un petit, plus jeune, tout mouillés sous la pluie fine qui s’était mise à tomber.
– Là, déyère, ou vwa le trou ? Demanda le plus grand en désignant la racine du tamarin.
– Ben, mi vwa li… ou crwa li lé là ?
– Mmmh… lo chien i di a mwin non… Par cont’ i doi awar in pé dan’coin.
– S’ra dur trouv’ a zot dans caro d’bwa là… lé tro épais.
– Oui, faudra nou arvien avec dé trwa dalons et ban’ bons sab’, mwin lé sur lé pas le seul trou nou sa trouvé ter là…
Ils firent demi-tour et repartirent par le sillon qu’ils avaient fait avec leurs grosses bottes dans les herbes hautes. Titango était tétanisé. Que fallait-il faire ? Tangou avait raison, non seulement les humains se rapprochaient, mais en plus ils avaient trouvé son trou !
Il passa la nuit chez lui, mais il ne s’y sentait plus en sécurité.
Le lendemain, le brouillard céda la place au ciel bleu et au soleil. Titango mit le museau dehors, observa un instant le vieux tamarin au-dessus, puis les plantes autour, un joli coin auquel il s’était habitué. Puis il prit sa décision : pas question de rester. Il lui fallait retrouver la trace de son ami, et le rejoindre. Il prit une grande inspiration et se mit en route, filant au travers de la forêt comme si tous les chiens de La Réunion étaient à ses trousses.
