Les tribulations de la vanille fraîche

Point de discorde principal lors de l’élaboration du cahier des charges de l’IGP, la vanille fraîche a gagné sa place aux côtés des vanilles sèche et givrée. Une belle victoire pour deux frères Leichnig, qui l’ont défendue bec et ongle, en dépit des oppositions, hostilités et croche-pattes.

Derrière ses faux airs de missionnaire belge du « temps béni des colonies », Louis Leichnig est loin d’être givré, comme sa vanille. C’est au contraire un puits de science, l’esprit toujours aussi curieux et avide de savoir que celui d’un étudiant encore boutonneux qui hante les amphis. Nous le trouvons en plein rangement et classement dans son bel atelier de la rue Labourdonnais, qui traverse Basse Vallée au dessus des restaurants. S’il maîtrise les trois sortes de transformation, la fraîche est sa vanille historique à lui.

“La vanille fraîche a été notre activité principale pendant un bon moment. On a commencé, comme beaucoup d’autres, à la vendre en bord de route, raconte Louis. Cette vanille est née à Saint-Philippe. Beaucoup de gens ont dit que ce n’était pas de la vanille à vendre.” Un dénigrement qui s’est poursuivi longtemps, en dépit d’une technicité sans cesse améliorée pour stabiliser les gousses et leur donner de plus en plus d’arôme. “Autrefois c’était les grosse entreprises qui tiraient profit. Nous n’avions pas trop le droit de faire de la vanille nous-mêmes. Parfois il y avait des descentes de gendarmes. Légalement la vanille devait passer par un professionnel. Un jour sur le marché forain, on est venu nous dire qu’on n’avait pas le droit de vendre de la vanille, nous avons demandé à la personne de produire l’arrêté ministériel qui interdisait à un agriculteur de vendre ses produits !” Le temps passe, les mentalités restent. Nouveau dénigrement lors d’un Salon de l’agriculture, mais les choses bougent : des visiteurs réclament la “grosse vanille”.

Puis vient le moment où, face à la concurrence malgache, les acteurs du secteur se décident d’agir au travers de l’association A2VR. Le label IGP est choisi. Les producteurs sont conviés dont ceux de Saint-Philippe, Leichnig en tête, sabre au clair, vanille fraîche sous le bras. “ Nous avons mis en avant notre technicité et notre antériorité de plusieurs décennies, ainsi que la satisfaction de la clientèle. Ce n’était pas suffisant. Nous avons dû aller chercher les témoignages de chefs étoilés comme Jean Sulpice (Auberge du Père La Bise, Annecy). Nous devions nous justifier alors que les producteurs de vanille sèche, non”, raconte Louis, sans plus d’animosité visible.

Mais rien à faire. “Le pti couillon de Saint-Philippe, même si lu fait de la vanille depuis trente ans, lu compte pas”, ironise notre missionnaire de la gousse fraîche. “Les réunions ont duré très longtemps. Mais à un moment donné où tout le monde était contre, j’ai posé une question : la vanille givrée était-elle IGP ? On m’a répondu “bien sûr”, ce qui était logique étant donné que la givrée c’est le stade suprême de qualité. J’ai sorti deux tubes de vanille givrée, en disant que voilà, c’était de la fraîche ! Donc de qualité, sinon elle n’aurait pas givré. Si la givrée était dans l’IGP, la fraîche aussi !”.

Bataille de brevets. Les convictions sont quelque peu ébranlées, même si certains continuent à être contre. Voici donc une vanille de Saint-Philippe, fraîche, qui se conserve, qui est vendable (et d’autant mieux qu’elle flatte l’oeil) et qui givre ! Une richesse supplémentaire selon Louis.

Cela devient sans doute plus difficile pour les deux Leichnig quand un troisième leur coupe l’herbe sous le pied en déposant un brevet, celui de la vanille « Bleue », s’opposant à l’entrée de la vanille fraîche dans l’IGP. Louis et Harry doivent revoir le cahier des charges pour ne plus marcher sur des plates-bandes désormais jalousement gardées. Mais il ne sont pas nés de la dernière fleur de vanille, et, point par point ils créent leur propre cahier des charges. “Nous avons fait en sorte d’établir des bases, avec assez de souplesse pour que les personnes qui voudraient faire de la vanille fraîche puissent le faire”. Echaudage ou pas, blocage 7 mois, taux de vanilline supérieure à la sèche de 0.2%, pourcentage d’humidité entre 60 et 80%, à chacun de faire comme il sent pour respecter ces bases, quitte à aller plus loin encore si ça leur chante. “Quand la commission est passée chez moi, j’ai montré deux tubes de vanille fraîche vieille de deux ans. Elle a contrôlé le conditionnement, a constaté la technicité.” L’affaire était entendue. Le rôle de médiateur de ProVanille a fait le reste.

Louis est aujourd’hui plus que satisfait de l’inscription de la vanille fraîche aux côtés de ses historiques soeurs dans une IGP qui vient à point nommé aider le secteur de la vanille. Aujourd’hui, il souhaite aller un peu plus loin dans l’expertise et le savoir-faire de la vanille givrée, le haut de gamme de cette épice, le plus aromatique. Qui sait, on pourrait voir un jour arriver une AOC “Vanille givrée” by Louis Leichnig. Il est bien capable de le faire.