Richard Corré, pour l’amour des vaches

Une mer d’herbe sur des pentes vallonnées. Ici et là quelques étables et des engins agricoles. Plus haut la couverture forestière. Nous sommes au Tampon. Au beau milieu de ce tableau, Richard Corré respire à pleins poumons l’air frais où se mélangent les odeurs végétales et animales. Rencontre avec un éleveur militant et passionné.

Kalou rumine dans son coin. Il ne boude pas, il n’est pas puni. De toute façon, allez essayer de punir un bestiau de plus d’une tonne, tout en muscles ! En effet, Kalou est un taureau de 7 ans, dont la tâche principale, en dehors d’impressionner son monde, est d’honorer les vaches Limousines de Richard Corré.

« J’aurais préféré avoir des Limousines à quatre roues mais pas à quatre pattes » plaisante l’éleveur. Une boutade qui est l’exact opposé de la vérité. Ce « Richard » là aime ses vaches, au point de leur consacrer l’essentiel de ses journées, en dehors de quelques autres obligations professionnelles auprès du Groupement de Défense Sanitaire et de la Sica Revia.
Cette passion bovine ne date pas d’hier. En 1974, quand il n’est pas à l’école, il suit son paternel Alex qui travaille sur l’exploitation de la Sedael (Société d’Etudes de Développement et d’Amélioration de l’Élevage Océan Indien) alors vieille d’une année. Exploitation qu’Alex Corré reprend à son propre compte en 1990. Il passe le relais à Richard en 2003.
«  A l’époque, on avait 13 races différentes, de la Brahmane, de la Drakensberg, et de la Jersiaise. Aujourd’hui il en reste une : la Limousine » raconte Richard en regardant son cheptel avec un sourire satisfait. Un choix réfléchi qui s’est imposé suite à une visite du côté de Limoges où il voit ces vaches paître paisiblement dans une région vallonnée. Il en déduit qu’elles s’adapteraient parfaitement à La Réunion. « Les Limousines ont une ossature fine, si l’on compare à la Blonde d’Aquitaine par exemple, le rendement en viande est donc meilleur. De plus, elles ont des qualités maternelles, elle vêlent en toute saison et allaitent leurs veaux. » explique l’éleveur.
Aujourd’hui, l’exploitation compte 56 vaches adultes, 2 taureaux et 18 veaux, divisés en deux lots que Richard a appelé « Banane » et « Filaos ».

Kalou, l’air débonnaire, s’agite un peu quand Alex Corré libère les vaches du cornadis (dispositif d’entrave) après leur repas, et leur inspection matinale et quotidienne, où Richard vérifie leur état de santé, en particulier celui des vaches promises à un prochain vêlage.
Les installations sont étudiées de manière à ce que chaque animal puisse se nourrir et s’abreuver aisément, sans être enquiquiné par plus fort ou plus âgé que lui. Au menu : les céréales provenant de l’Urcoopa, et l’herbe verte, qui, bien que peu nourrissante en terme d’Unité Fourragère, apporte les indispensables fibres utiles à la bonne digestion des ruminants. A cela s’ajoutent des compléments alimentaires en minéraux. Objectif final : répondre au cahier des charges de la coopérative et obtenir un rendement satisfaisant.
« Autrefois, du temps de mon père, on était des « sonyeur d’bèf », aujourd’hui on est des chefs d’entreprise. Nous avons augmenté la productivité. Une vache d’aujourd’hui vaut deux d’avant. Une Jersiaise fait au mieux 400 kilos, une belle Limousine ici en pèse 700», déclare Richard Corré, en regrettant tout de même la perte de la rusticité qui faisait auparavant des animaux plus résistants aux maladies. Un chef d’entreprise un peu diététicien, un peu vétérinaire, qui doit rester au fait de l’actualité y compris scientifique sur son activité et qui se plie aux obligations régulières de contrôle des animaux. Il est aussi inscrit en tant de producteur de reproducteurs : « L’année dernière j’ai eu 44 vêlages. 70% de mes veaux de 7 ou 8 mois vont partir dans différents élevages pour devenir de futures vaches et taureaux. » déclare Richard.

Richard et Alex Corré

L’intérêt de consommer local
Nous suivons les vaches tout en haut d’un coteau. Kalou rumine dans son coin et lâche un « gâteau d’anniversaire » où poser le pied droit porterait bonheur. Le pépère fait bien son travail. Quelques vaches sont pleines. Richard les reconnaît tout de suite, aux pis détachés et à la « cassure » du dos qui permet de positionner le veau en droite ligne de la vulve. Les vaches étant choisies aussi pour leurs amples hanches, les vêlages se font tout seuls, et l’assistance d’un vétérinaire est exceptionnelle.
« Ce sont les animaux et le ciel qui décident comment sera la journée, confie Richard. Chaque jour apporte son lot de surprises. Aujourd’hui je peux par exemple choisir de faire de l’ensilage, mais si la pluie tombe, il faut reporter de quinze jours pour laisser la parcelle sécher. »
Les journées se suivent sans se ressembler et dessinent un avenir auquel Richard Corré veut croire. « Nous avons eu des années noires, mais nous avons retrouvé une relative sérénité et regagné la confiance des consommateurs. La crise du Covid a eu le mérite de leur rappeler l’intérêt de consommer local. L’objectif est maintenant à la production. Il faut y aller, le marché est là ! » s’exclame -t-il avec ferveur. Ce passionné, qui plébiscite les mérites de la transmission des savoirs et savoir faire, pourra peut-être compter sur ses enfants pour reprendre le flambeau, quand le temps viendra. En attendant, il peut encore compter sur le coup de main de son père. « Je ne suis pas riche mais je n’échangerai ma qualité de vie pour rien au monde » lance-t-il, avec une caresse affectueuse à Kalou. Chez les Corré, la vie, c’est vachement bien.


Traçabilité exemplaire

Chaque animal, dès sa naissance, est identifié. L’éleveur a sept jours pour le déclarer. « Je pose la boucle le troisième jour puis je notifie sur un document le numéro, la date de naissance, le poids, la race, qui sont les père et mère, comment s’est déroulé le vêlage, et quelques renseignements complémentaires. La procédure est la même quand un animal arrive chez moi : je dois noter la date d’arrivée, la provenance. » explique Richard Corré. De quoi retrouver l’arbre généalogique du steak qui est dans votre assiette.

Le kikuyu, l’herbe à vache

« Un bon producteur de bœuf est d’abord un bon producteur d’herbe » indique Richard Corré. Les quelques 37 hectares de surface agricole utile lui appartenant en sont recouverts. Il y fait tourner ses vaches de manière à ce qu’elles paissent avant que l’herbe ne soit trop haute et perde complétement tout intérêt nutritif. Ce dernier est évalué en UF (Unité Fourragère) qui détermine la valeur énergétique d’un fourrage. Cette unité prends pour référence la valeur énergétique d’un kilo de grain mûr d’orge. Elle se divise en deux sous catégories : l’UFL pour le lait (quantité nette d’énergie absorbable pendant la lactation. 1 UFL = 1700 kcal) et l’UFV pour la viande (quantité nette d’énergie absorbable pendant l’engraissement. 1UFV = 1820 kcal). L’été les rotations sont plus fréquentes. « Le Kikuyu est adapté à cette altitude. Plus haut, il grille avec le froid ». Richard n’est pas prêt de manquer d’herbe, mais, en cas de nécessité, quelques bottes d’ensilage sont gardées en réserve.

La viande de qualité impossible à La Réunion ?

Si Richard Corré l’appelle de ses vœux, la tension présente du marché n’aide pas. La loi de l’offre et de la demande prévaut, et les élevages locaux ont pour le moment bien du mal à satisfaire une demande soutenue. Comment donc, dans un tel contexte, réserver des animaux pour un engraissement plus poussé, avec le concours d’une alimentation riche et locale (maïs, luzerne), qui favoriserait une qualité de viande supérieure, persillée, appréciée des chefs cuisiniers et des gourmets. Il faudrait déjà augmenter la production mais l’île n’étant pas extensible, cela passe par une intensification des élevages. « En principe, il faut un hectare de terrain par vache, indique Richard. Si on augmente l’intensification, il faudra trouver un substitut à l’herbe pour l’apport en fibre. » Le fantasme de l’éleveur : « finir » quelques animaux au persil et à la bière, comme il l’a vu faire en Allemagne.

Elles adorent leur bloc de sel

Résistance aux cyclones

« Cela fait 37 ans que nous sommes là, nous n’avons jamais eu de bâtiment. Quand la météo se détériore nous rassemblons les animaux sur une parcelle dédiée. Nous n’avons jamais eu à déplorer de décès, même chez des jeunes veaux » raconte Richard Corré. Un « miracle » que l’éleveur explique le plus logiquement du monde par la robustesse de ses vaches, résultat d’une attention soutenue et d’un entretien quotidien.

Et le beurre ?

Le marché mondial a vu le prix du beurre exploser ces dernière années, conséquence d’une demande en hausse, de la Chine notamment. Pourquoi La Réunion ne se mettrait elle donc pas à faire du beurre ? Ne serait-ce que pour la consommation locale ?
Les raisons sont d’abord historiques et politiques. La filière lait, bien installée, peine à fournir le laitier local, la Cilam, lequel doit compléter avec du lait en poudre importé. Changer le fusil d’épaule, sachant qu’un kilo de beurre nécessite 22 litres de lait en moyenne, paraît très compliqué aujourd’hui.