La cuisine créole du Roland Garros au ras des pâquerettes

On entend d’ici les récrimineurs en costume de troll des réseaux sociaux, zombies mono-neurone et producteurs industriels de bile : « Mais pourquoi aller manger créole dans un endroit pareil ? Il y a d’autres restaurants beaucoup mieux » et gnagnagni et gnagnagna. Et nous leur feront remarquer qu’entre Gillot et les plages de l’Ouest, si l’on se borne à emprunter la nationale, c’est quasiment le seul restaurant de Saint-Denis parfaitement repérable et visible, planté devant le Barachois.

Autant dire un spot, un emplacement en platine serti de diamants, aimant à touristes. Il est donc déjà dommage que ces derniers ne puissent y trouver que quatre caris à la carte, parmi la foultitude de plats divers qu’on a peine à imaginer frais à moins que la cuisine, plus grande dedans que dehors comme le Tardis du docteur Who, n’abrite une brigade complète. Dans le détail : 6 entrées, 4 plats végétariens, 5 poissons, 10 plats de cuisine française, 13 desserts, sans compter les glaces, et les plateaux de fromages et de charcuterie.

L’établissement est une institution du chef lieu, avec son histoire, ses personnages, ses tribulations, son décor en mode brasserie parisienne à la sauce compagnie des Indes, avec ses pierres de taille, ses tables bien mises, son bar (à choix) lustré, ses fauteuils capitonnés à ressort.


Arrivés de bonne heure, nous sommes accueillis et placés. Le personnel est professionnel et souriant, tiré à quatre épingles, ou à trois et c’est déjà bien. Que propose-t-on donc aux visiteurs de passage, fraichement débarqué ou non, souhaitant manger autre chose que ce qu’il a dans son assiette ordinaire de zoreil ? Cari crevettes aux gros piment, civet zourite, rougail saucisse et cabri massalé, avec accompagnements classiques et tout de même des brèdes et du achard. C’est peu mais déjà pas mal à condition que la qualité compense la quantité. Heureusement les « rendez-vous de la semaine », un plat par jour, complètent cette liste créole. Romazava le lundi, cari la patte le jeudi, rougail morue le vendredi et travers de porc laqué, plus asiatique donc, le dimanche.

Nous demandons le rougail saucisses, adulé des touristes, et le cabri massalé, adulé de nous même.
Les assiettes arrivent sans guère d’attente. Dressage basique mais quand même plaisant à l’œil.


Le rougail saucisse est indigent. Les saucisses sont médiocres. A part un arrière goût de cochon industriel, et une texture molle, elles n’ont rien à dire, même trempées dans leur sauce de tomate en boîte claire. Alors certes les tomates sont à 10€ le kilo pour le quidam moyen au marché forain, en ce moment. Mais faire payer ce rougail saucisse de cour des miracles à 18,50€ c’est prendre le touriste pour un cochon de payeur en comptant sur son ignorance.


Le cabri massalé, réchauffé aussi, fait un peu mieux. Même si le parfum de la poudre d’épice malbar est passablement dilué, et la viande sans plus d’entrain gustatif, le plat sera apprécié des palais délicats désireux d’avoir un aperçu général de ce plat. Nous avons vu pire, mais plus souvent meilleur. Presque pas besoin de dents pour mâcher, la viande est archi cuite.

Le riz a l’urbanité d’être correctement cuit, lui, même s’il est visiblement loin d’être le meilleur du marché. Les grains blancs sortent de tôle, pourquoi n’est-on pas surpris, mais sont aussi convenablement préparés. Les brèdes existent et c’est déjà bien. Du chou-de-Chine efficace. Le hachard est croquant et plutôt bon, avec un curcuma vif sur une longueur acidulée, en dépit du fait qu’il n’est composé que de deux légumes (chou et carotte) et de gros piment. Les rougails sont servis en quantités homéopathiques, mais se défendent également.

Nous demandons des crêpes et la tarte tatin en dessert. Cette dernière, faite maison, est un vrai pavé à la vue, mais descend toute seule. La pâte, trempée dans la crème que nous avons choisie au lieu de la boule de glace, est un délice. Les gros quartiers de pommes au four fondent en bouche, sans laisser de sucre autoritaire sur la langue. Nous terminons avec un café et réglons une addition de 65,80€ pour deux boissons, deux plats, deux desserts et un café, soit presque 33 euros par personne. Le rapport qualité-prix est mauvais.

Vous voulez déjeuner sur le front de mer à Saint-Denis en étant confortablement installés ? Le Roland Garros est une bonne adresse, à condition de choisir autre chose que des plats réunionnais, et surtout pas le rougail saucisse, si celui-ci ressemble à celui que nous avons mangé aujourd’hui. Les plats créoles, noyés dans la carte, sont ici la dernière roue de la charrette, ce qui est bien dommage compte tenu de l’emplacement privilégié dont jouit l’établissement.

Un autre restaurant, réputé pour sa cuisine locale celui-ci, avait pour projet de s’installer à un jet d’ail de là, du côté de l’entrée du Bas de la Rivière. Pas de nouvelles depuis des années. Il est vrai qu’à La Réunion, entre l’administration poussive et des élus intéressés (ou pas), ce n’est plus de la patience qu’il faut pour faire aboutir un projet d’ampleur, c’est de l’abnégation associée à la longévité de Mathusalem. Son ouverture aurait fait bougé les lignes au niveau de la qualité des plats créoles du Roland Garros, ou peut-être retiré ceux-ci de la carte, ce qui ne ferait que peu de différence avec la situation actuelle. Allez, on garde le sourire : « rougail saucisses ! ».