Ti piment doux

Aujourd’hui nous sommes de retour du côté de Bras-Panon, au restaurant le Ti Piment, établissement jusqu’ici bien noté et prisé de chefs d’entreprise et des cadres du secteur. Le portillon est ouvert à midi moins le quart. A midi et demi de nombreuses tables sont occupées. L’indice de fréquentation est le premier indice de la bonne santé d’un établissement, et conséquemment de la qualité de sa cuisine.

Le menu est toujours « métissé », métro et créole. Magret, truite, burger et brochettes côtoient aujourd’hui un cari de poisson rouge (certainement du vieil ananas « de l’océan indien », vu le prix), un rougail saucisses, un boucané pomme de terre, un sauté de porc ananas, plus deux plats moins courants : un jarret de porc rôti au miel romarin et un un snoek margoze, que nous choisissons, avec un cari de poulet fumé à emporter.

En entrée, nous hésitons un moment entre ne gratin de papaye et le beignet de bringelles farcie au poulet, avant d’opter pour ce dernier, qui nous rappelle des excellents beignets bringelles farcis du point chaud de l’ancien « Score » Bellepierre.
L’affaire est servie rapidement, toute chaude. L’aspect est luisant et gras, pour un beignet, c’est normal, et c’est découpé en plusieurs tranches. En bouche, nous notons le croquant de la pâte, dont l’huile superfétatoire a été bien épongée. La farce est bonne. Nous sentons moins le poulet que la bringelle dont on retrouve le côté « liant », lequel véhicule la saveur particulière du légume, teintée de son subtil piquant. L’exercice pourrait être poussé plus loin, en terme de quantité d’abord, ce qui aurait un impact positif sur le goût. D’autre part, un ou deux piments verts « zoizo » et du persil concassé donneraient une claque à la viande, pour l’aligner avec la bringelle. Enfin, que la pâte croustille c’est bien, mais elle pourrait être encore plus fine, avec un trempage à l’huile chaude moins appuyé pour laisser la bringelle s’exprimer davantage encore.

L’assiette est vidée avec plaisir et remplacée par le « sounouk » dans sa petite marmite. Si elle est vue et revue à de nombreuses autres tables, cette présentation a tout de même l’avantage de convenir à nos caris et rougails, en soulignant le côté traditionnel. Il en résulte une assiette simplement mais joliment présentée, où la couleur du poisson émietté attire l’œil et met un pied au derrière des glandes salivaires, si tant est qu’elles dormaient.
Quand on dit « sounouk », on s’attend à avoir l’odeur puis le goût de chaussette de randonneur macérée ajoutée au reflux cuit des aisselles de voyageurs des transports urbains. Tout ce qu’on aime. Eh ben là, non. Il faut plonger le pif dans la marmite pour avoir l’odeur, et le goût est contenu, comme le sel d’ailleurs. Dès lors, on se dit que la margoze a une belle carte à jouer, mais il n’en reste en définitive qu’une petite amertume sur le dessus de la langue. En bouche, le snoek joue du sec et du moelleux entre la consistance des morceaux plus gros et ceux qui sont bien imbibés de sauce épaisse, d’où des atours fumés intéressants ressortent. On pourrait dire que la qualité du plat est son principal défaut : il est trop bien exécuté, formaté impeccablement pour les palais rétifs aux expériences différentes, comme il en existe hélas de plus en plus.
Nous attendions un snoek plus revendicatif, soutenu par des margozes encore vertes et croquantes.

De son côté le poulet fumé, dégusté plus tard, offre autant de satisfaction, sans plus de surprise. Voilà un « cari » simplissime dont la qualité s’appuie essentiellement sur celle de sa matière première principale. Un bon poulet fumé, bien assaisonné, est très satisfaisant à déguster car riche en saveur fumée et grillée. Dès lors, rater un tel plat est peu probable, à moins que le poulet lui-même soit infâme, comme celui que nous avions goûté voici quelques années dans un restaurant dyonisien, et qui respirait le caoutchouc et le pétrole.
La barquette est proprement vidée, et le rougail « zognon » coloré y a contribué en ajoutant son croquant acidulé au délicieux poulet.

Les accompagnements sont globalement corrects. Les lentilles sont standard. Le riz est collant par endroit, ça peut gêner ceux qui le préfèrent en grain. Le rougail d’oignon est bon, même si c’est ciselé assez gros. Le piment vert écrasé et confit est un bon adjoint aussi.

Nous terminons avec une mousse de patate douce, préférée à la crème brûlée, au café gourmand, à la cabosse au chocolat, au flan coco et à la banane flambée. Peut-être qu’on n’aurait pas dû.
En effet, la « mousse » tient davantage du mastic que de ce à quoi on s’attendait, de la légèreté et de l’éclat gustatif. Du goût, il en reste peu. Pas assez douce la patate. Le froid n’a rien arrangé. Le dessert est un peu frustrant, mais pas rébarbatif et se laisse manger quand même.

Nous repartons en réglant une note de 47€ pour un cocktail sans alcool, une boisson gazeuse, une entrée, deux repas dont un à emporter, et un dessert. La carafe d’eau filtrée est facturée 1€. Le rapport qualité prix est juste correct.

Rien de vraiment nouveau au Ti piment, dont la qualité de la cuisine semble relativement stable et régulière. Si l’on doit se fier à notre expérience du jour, on pourrait constater un léger fléchissement, mais ce n’est pas vraiment signifiant sur un mois ou même une semaine. Après tout, tant qu’un minimum syndical est respecté, le client n’a pas matière à se plaindre, sauf à être extrêmement tatillon. Pour autant, quand une minuscule voie d’eau apparaît dans la cale du bateau, il est bon de garder un œil dessus, et d’intervenir rapidement en cas de nécessité.
Pour l’heure, aucune raison de quitter le navire. Le Ti piment est toujours une bonne adresse de l’Est, et nous nous ferons un plaisir de la recommander dans le prochain guide des restaurants de cuisine réunionnaise

Le Ti Piment, fort, fort…

Bras-Panon, sur la grande ligne droite en direction de la Rivière des Roches, avant d’arriver à la charcuterie Marianne, qui a le boudin fier et la saucisse exquise, vous trouverez le Ti Piment.
Le restaurant est plus précisément sur la rue Roberto, parallèle à la traversante. Nous débarquons là presque à notre propre surprise, sur une envie soudaine. Notre dernière visite date de 2017, et la fourchette en argent était tombée, même s’il nous était resté comme une insatisfaction.

Le cadre est le même que dans notre souvenir : confortable, joli, avec son plancher de caillebottis, ses mûrs recouverts de pierres de décoration, ses plantes qui égayent le tout.
Nous arrivons de bonne heure. Il n’y a pas un chat. Une serveuse nous prend en charge. Nous nous posons dans un coin et le tableau du menu est posé avec nous.
Quelques viandes et poissons : magret de canard, entrecôtes, kangourou, côtes d’agneau, espadon. Les plats locaux sont majoritaires, et certains sortent des grands standards du genre, toujours au programme un peu partout, signe que le chef est bien éveillé à la tradition culinaire réunionnaise. Citons, par exemple, le rougail boudin, le poulet au curry et lait de coco, le cari de bœuf chouchous et la morue aux brèdes lastron.

Nous faisons une très légère entorse à nos habitudes chauvines pour goûter le plat aux couleurs indiennes : le poulet curry au lait de coco. En préambule, une salade de poisson moutarde et mayonnaise fera l’affaire. La salle se remplit peu à peu.
Le service est efficace et agréable, on devine le sourire malgré le masque. « Carafe ou bouteille ? » s’enquit la jeune femme à notre grand plaisir, tant il est rare dans les restaurants créoles qu’on propose de l’eau aux clients.

Une gazeuse citron plus tard, nous sautons sur la salade qui vient d’arriver.
Fraîche et croquante, feuille, l’es-tu ? Elle l’est, elles le sont toutes. Les tranches de patates sont encore chaudes, croquantes dehors, fondantes dedans. La betterave, avec son caractère bien terrien, kitabwèt, donne le « la » au poisson fort en goût, un peu musqué, de la dorade, elle-même arrangée à la moutarde à l’ancienne que la mayonnaise retient un peu pour ne pas qu’on se reçoive des claques. La chair affiche assez de résistance pour une mâche plaisante, ce qui incite tout ce petit monde à se manifester davantage encore. La salade est sifflée.

Le poulet suit. Nous nous rinçons les amygdales pour calmer le poiscaille. Place au curry, sapristi.
La vue, l’odeur, tout nous va pour l’instant. Nous notons tout de même que du persil est haché par-dessus, c’est bien, mais tant qu’à faire, le chef aurait pu pousser le bouchon jusqu’à y adjoindre des feuilles de cotomili odorantes, pour peu qu’il en disposât il va sans dire.

Chargeons. Mordant gourmand, façon Obélix dans son sanglier, sur un des morceaux de viande tout enrobé de lait de coco coloré. Ah ça glisse, c’est un délice, même sans cuisse. La viande n’a pas le sang bleu, palsambleu, mais elle se défend honorablement en s’offrant sans filasse ni sécheresse, ni paresse, comtesse. La sérénade du coco, doucereux, paré d’un curry délicat, nous monte au nez par vagues de plaisir. L’épaisseur de la sauce en rajoute une couche, plein la bouche. Oui décidément, il ne manque que le cotomoli. Le très frais et bien bon rougail tomate donne un petit « peps » fort et acidulé qui équilibre un peu le lait de coco entreprenant. Ajoutez à la fourchette un riz élégant et des vouèmes vivaces, tout en velouté subtil, et vous obtenez des bouchées magnifiques.

L’assiette est si généreuse que nous avons peine à finir. Refusant des desserts classiques mais non moins tentants, nous nous dirigeons vers la caisse, régler une note de 31 euros pour une boisson, une entrée, un plat, plus une barquette de rougail graton (très odorant aussi) pour le soir, et un café. Le rapport qualité prix est très bon. Certains devraient en prendre de la graine.

Le Chef Agathe, et son second Arside, nous ont régalé aujourd’hui. Proposer de la viande, quelques mets d’ailleurs, et un menu créole traditionnel teinté de plats originaux est une très bonne stratégie. Rien n’est plus triste que de débarquer dans un restaurant et se voir proposer les sempiternels rougails et caris, surtout si ceux-ci sont très moyens. On aime aller au restaurant pour la surprise, la nouveauté et la qualité qu’on ne trouve pas chez soi. D’autre part, le touriste qui découvre appréciera un choix éclectique représentatif de notre culture culinaire dans son sens le plus riche. Le Ti piment fait bien ce travail.
Le service aimable et efficace ajoute à l’attrait de l’établissement. Nous sommes heureux de pouvoir désormais le compter dans la liste des meilleures adresses de notre île.

Le Beauvallon

[visite en octobre 2011]
 

Ce dimanche, nous sommes allés nous promener du côté des berges de la Rivière des Roches, à l’ombre des pimpins, tandis que quelques pêcheurs, au loin, cuisaient littéralement au soleil, assis sur les galets, gaulette en main. Nous nous sustenterons au restaurant du coin, le Beau Vallon, qui propose outre la cuisine créole et chinoise, quelques plats métros, et affiche à sa carte pas moins d’une dizaine de spécialités de la mer, pour tous les goûts et tous les portefeuilles.

Nous sommes accueillis avec entrain et placés sur une table pas loin de la baie vitrée du fond. La salle, immense, toute de bois décorée, abrite une soixantaine de couverts éparpillés. La carte est assez exhaustive, et affiche quelques plats très traditionnels comme le cari de porc au bois de songe, le bouillon coquilles-la-rivière et le poulet fumé au baba-figue. A quelques mètres, le personnel s’affaire à l’installation d’un buffet à dominante chinoise. 

Avec la rivière des Roches à côté, il serait presque un crime de lèse-majesté de ne pas faire honneur au cari bichiques, pour peu qu’on ait calculé l’affaire et qu’on n’ait pas d’oursins dans les poches : 27 euros tout de même…  Nous finirons par passer commande d’un porc au bois de songes et d’un cari bichiques, donc, et entamons le repas avec une entrée baptisée «assiette de Bourbon», comportant achards de légumes, farce créole, salade de palmiste, fricassée de brèdes chou-de-Chine et gratin de chouchou. Un mélange que ne renierait pas notre diététicienne.
La vue de l’entrée nous met déjà en appétit, joliment présentée dans une assiette carrée. Et nous ne sommes pas déçus, si on excepte le fait qu’à la place de la farce annoncée, on découvre un (petit) morceau de boudin. Ce dernier s’avère assez bon, léger et pimenté à bonne dose, du genre qu’on peut trouver chez les charcutiers de quartier qui mettent un soin composé à la préparation de ce mets. De la bonne vieille recette de boudin créole, avec une juste mesure de mie de pain. Le gratin de chouchou ne se défend pas mal, goûteux et crêmeux
L’achard suit le boudin dans la qualité. Le palmiste émincé sur la longueur est légèrement résistant sous la dent, ce qui n’est pas désagréable d’autant que les sensations gustatives sont plus franches qu’avec des salades taillées davantage au cœur. Mention spéciale pour les brèdes qui sentent bon le gingembre et l’oignon fondu, et qui, bien que cuites à point, restent croquantes. L’entrée est expédiée. Les caris arrivent, accompagnés de lentilles parfumées au coriandre et d’un rougail citron.
Les bichiques sont présentés dans une jolie petite marmite, en quantité anorexique. A tout prendre, il doit y en avoir 150 grammes. Et ce n’est certes pas le meilleur cari bichiques que nous ayons dégusté. Cela manque de «croûtage», et la dose de curcuma est un peu forte : on ressent encore l’amertume caractéristique de l’épice orange. Un peu trop salé aussi. Toutefois le plat est correctement relevé, les bichiques ont un bel aspect, et dans l’ensemble, tout cela tient assez la route pour avoir un goût de «pas assez». Le porc s’en sort presque mieux. La saveur de la viande est très agréablement complétée par celle du songe, très fondant, aux accents lointains de poivre et d’ail transpirés dans une sauce onctueuse. Seule la présentation pèche un peu. Le plat ne ressemble pas à grand chose et la petite déco réalisée n’y change rien. La vaisselle vide est enlevée et nous optons pour finir sur la note sucrée d’un gâteau maison. Ce sera mousse de fruits et nougatine, qui remplissent correctement leur office. Addition : 73 euros et des arêtes de bichiques, pour deux personnes. Pas trop exagéré par rapport à la qualité globale, mais nous avons encore un peu faim. Pourrait mieux faire.
Le Beau Vallon est une bonne idée de sortie en famille, si vous n’avez pas envie de vous casser la tête à cuisiner et si belle-mère est tatillonne des papilles. L’endroit est agréable et vous pourrez à loisir y reconstituer l’ambiance «repas créole» comme à la maison, tout en dégustant des plats bien composés et d’un niveau acceptable. Si vous avez des bons mangeurs comme invités, le genre qui disparaissent derrière leur butte de riz et qui n’ont pas peur d’un coq entier, ou si votre grand-mère est du style : «reprend encore un peu mon enfant, vous lé blème», optez plutôt pour le buffet du dimanche. Et demandez l’assiette Bourbon, c’est toute la tradition familiale créole qui s’y retrouve, il ne manque plus que la tranche de rôti de porc (avec la peau bien entendu).
Quoiqu’il en soit, si le Beau Vallon propose une dégustation un cran au dessus de son voisin bénédictin le Vieux domaine, testé ici, il n’est quand même pas encore à la hauteur d’une fourchette en argent, même s’il n’en est pas loin. Nous lui attribuons par conséquent une fourchette en inox à considérer comme un encouragement à travailler la qualité de sa cuisine et de son service. Et un peu plus de bichiques dans la marmite!

 

Pour résumer
Accueil : bien • Cadre : bien • Plats : moyens/bons • Rapport qualité/prix: passable
Notre impression globale : moyen
Fourchette en inox