Un « bel » bertel !

Ca bouge un peu à Sainte-Rose, où l’offre de restauration grimpe en qualité, sauf une ou deux exceptions notables. Nous avions naguère découvert la Rivière des Saveurs, avant l’entrée du village quand on vient du Nord, et qui propose une cuisine simple et familiale avec des gâteaux péi extraordinaires. Aujourd’hui nous allons mettre les pieds sous la table du Bertel des Laves, situé à l’autre extrémité de la commune.

Le Bertel des Laves se situe à Bois Blanc, petit quartier de Sainte-Rose, qu’on aurait dit un peu oublié ces dernières années. L’ouverture de l’antenne de ProVanille et celle du restaurant, presque en face, dynamisent un peu le lieu, où les cases semblent emmitouflées dans la verdure luxuriante.
Nous débarquons un « gros » dimanche post-cyclonique. La bâtisse en dur est assez grande et un peu froide aussi. Il manque de la déco pour réchauffer tout ça. Mais la terrasse à l’arrière est plus agréable. Nous nous y installons.

Au menu aujourd’hui, que de bonnes choses : Massalé Cabri, Rôti de porc, Cari coq la cour, canard fumé à la vanille, rougail saucisse et sauté de mines au poulet. Les prix s’étagent entre 12 et 18 euros. En plus, pour ceux qui déjeunent sur place : bol renversé, sautés de poulet, porc ou crevettes au chou de coco, aux légumes ou aux brèdes. Magrets de canard à l’ananas ou aux letchis. Nous demandons le coq, le rôti et le massalé, plus le rougail saucisses pour voir. Pas d’entrées.

Les saucisses du rougail ont la particularité d’être tranchées finement. Cinq ou six millimètres d’épaisseur. Surprenant pour ceux qui sont habitués à des portions plus épaisses, coupées à angle droit ou de travers. L’avantage est que les tranches ont parfaitement bu la sauce. Il en résulte une saveur agréable qui finit sur une finale un peu suave, équilibrée par le poivre de la saucisse. La mâche est certes moins ample qu’avec des tranches plus grosses, mais l’on peu ainsi en prendre deux ou trois à la fois.

Le massalé fait mieux encore. La viande garde un peu de tenue tout en gardant de la moelleusité. La poudre qui s’y colle est du genre assez puissante. Avec les feuilles de caloupilé, on est dans le registre du cabri de caractère, que le piment la pâte… cabri, sublime très bien. Nous avons mangé des massalés bien plus goûteux et complexes, mais largement plus qui étaient inintéressants. Celui-ci se situe dans une très bonne moyenne.

Le coq « la cour » n’a aucun mal à chanter dans notre assiette. Voilà de la belle viande ferme, toute imprégnée d’une sauce de cari peu étendue mais excellente, celle qui vous fait écarter les trous de nez quand vous arpentez la campagne au détour de la petite case d’une grand-mère surveillant sa marmite sur le feu de bois. Le léger fumet se déploie en bouche. Le chef a été si généreux que nous pouvons partager sans crainte de manquer. A la fin, un petit bout de peau luisant nous met à l’épreuve. C’est insoutenable. Hop ! Le moyen le plus efficace de se débarrasser d’une tentation est d’y céder.

Nous terminons par le cochon. C’est encore trop rare de déguster des rôtis dans les restaurants. Celui-ci est divin. Une jolie chair qui fond presque sous la dent, la peau qui colle juste ce qu’il fait avant de céder. Cette belle pellicule où subsiste quelques épices avec ces effluves roussies magnifiques, poussées jusqu’à la limite qui attache au fond de la marmite. Nous aurions bien vu ce rôti accompagné de quelques petites patates, et d’un rougail tomate arbuste bien pimenté.

A la place nous avons un rougail tomate classique, bon, mais trop salé. Un accident. Le riz est parfait. Il boit les sauces et fait de belles bouchées. Les grains blancs sont très corrects aussi.

Le dessert, un petit gâteau péi, est passablement compact. La boule de glace arrange l’affaire.
Le moelleux au chocolat est du même acabit. Un petit effort serait à faire pour améliorer tout ça.

Addition une soixantaine d’euros pour trois boissons, trois repas, deux desserts et deux café. Le rapport qualité prix est très bon.

Yannick Vienne touche sa bille. Le chef du Bertel des Laves a lancé son affaire peu avant l’arrivée du Covid et malgré cela, et des débuts hésitants (nous avions pris des barquettes), il a su faire de son restaurant une bonne adresse. Sa cuisine est maîtrisée, parfaitement exécutée, reste authentique et savoureuse. Le service est aimable et professionnel. Il ne manque au lieu qu’un peu plus d’attention au niveau du confort et de la décoration pour le rendre plus attractif. Une visite qui nous a assez contentés pour qu’on y revienne ! Bien d’autres adresses ont eu la fourchette d’or pour moins que ça.

Le Warren Hasting doit éviter les écueils

Pour cette première visite de l’année, nous reprenons la route du Sud Sauvage, où nous trouvons un beau soleil et un vent modéré qui tempère quelque peu la chaleur.
Longeant les falaises noires battues par l’océan et les pimpins, les tronçons de route droite du Baril nous amènent au Warren Hasting, non point le navire bien sûr, et encore moins l’administrateur colonial sujet de sa majesté le roi Georges, paix sur ses os, mais au restaurant éponyme du bateau anglais échoué voilà 124 ans presque jour pour jour.

Le bâtiment de petite taille est propre. Une trentaine de couverts à l’intérieur, quelques tables dehors, accueillent les clients. L’accueil humain, lui, est poli, un poil distant, avec le sourire en cale sèche (même masqué, un sourire se voit). Cela se détend par la suite. Nous nous posons à l’intérieur. Il y fait très chaud. Un brasseur d’air n’aurait pas été du luxe, en sus de la brise de mer. Au menu du jour : rougail saucisse, Salmi poulet (recette mauricienne), saucisses palmistes, carri coq, et de l’espadon frais à la plancha. Nous testons le coq et les saucisses, qu’il est assez peu courant de voir associées au palmiste. Aucune entrée n’est proposée. Les assiettes arrivent assez rapidement, avec un dressage basique comprenant quelques crudités, qui prennent de la place et qui auraient été plus appréciées à part. On nous propose de l’eau. O miracle !

Les saucisses sont discrètes à l’odeur, un petit peu moins au goût, ce qui semble quelque peu étrange pour des saucisses fumées. En mettant le nez dessus, l’on perçoit ses atours, qui laissent en bouche une petite acidité. La peau fine craque sous la dent avant de lâcher une chair très moulue dont nous n’avons pas l’heur d’apprécier à cette heure. La sauce est minime. Les morceaux de palmiste l’ont bue, mais sans y perdre leur saveur diffusée par un beau moelleux. C’est bien, mais cela en devient frustrant, car les-dit morceaux sont coupés trop petits pour fournir des sensations généreuses en bouche.

De son côté le coq chante à l’heure. Lui aussi est découpé pour le rendement, et c’est une belle partie de suçage qui s’en suit, avec les doigts, d’autant qu’à la proposition de la serveuse nous acceptons une patte !
Le mâle galliforme dégage une odeur forte issue de ses sucs, sans doute, du poivre visuellement présent, peut-être, et d’un assaut de curcuma puissant, celui qui fait les doigts jaunes. En bouche, le coq ressemble à Cambronne jurant à Waterloo sous les assauts des rosbifs, tiens, encore eux. Il a beau hurler, le curcuma n’en a cure. Les os sont sucés, les morceaux de blanc mâchouillés, et le riz teinté avalé, mais ce coq-ci, qui n’a certes pas pataugé dans la cour d’un moun des hauts certifié à l’Amexa, ne nous laissera pas de souvenir impérissable.

Heureusement que le riz est correct, et les lentilles aussi, dans leur sauce épaisse, avec leurs humeurs rocailleuses. Le rougail tomate fait en revanche un peu pitié. Pimenté trop sagement pour un Réunionnais au palais galvanisé, il laisse poindre les relents fatigués des tomates d’âge avancé conservées au frigo quand il faudrait abréger leur souffrance.

Nous finissons par les bananes flambées proposées avec glace chocolat ou mangue. Nous laissons les glaces, mais commandons les bananes. Celles-ci sont amenées bien chaudes, et baignant dans le jus succulent de leur transpiration alcoolisée. Petit couac de percolateur : le café est clair comme le jus de chaussette d’un bidasse, anglais ou non. Il repart donc et se fait remplacer par un noir de chez noir, qui ressusciterait sir Hastings himself ! Nous quittons le restaurant en réglant une note de 55 euros, pour deux boissons, deux plats, un dessert et un café. Le rapport qualité-prix est perfectible.

Nous l’avons souvent entendu, ici et là, et lu dans les commentaires sur les réseaux sociaux : « Pourquoi aller payer pour manger dans un restaurant ? Chez « monmon » (ou la case) lé meilleur. » Notre repas au Warren Hasting ne pourrait hélas pas donner d’argument pour contrer ce genre de réflexion oiseuse. Fort heureusement, des restaurants proposent autre chose que de la pitance convenue, bonne, mais sans intérêt notable.
Le Warren Hasting semble toutefois vouloir sortir des grands classiques. Un plat mauricien, que nous n’avons jamais vu auparavant dans un restaurant, des saucisses avec du palmiste, sont des initiatives intéressantes, mais côté goût, tout cela reste approximatif, aujourd’hui en tout cas. Une nouvelle visite sera sans doute nécessaire pour valider la présence de ce restaurant sur une pleine page du guide 2022. Concernant l’accueil, un peu plus de sourire et d’enthousiasme serait bienvenu. Le service, lui, est efficace et professionnel. Bon dimanche !

O’QG ! Toujours une bonne table à Bourg-Murat

Il a été le premier restaurant à être testé, inaugurant la rubrique du dimanche. Il a obtenu la fourchette d’or en 2013. Avec ces horaires étendus il a fait le bonheur des randonneurs et des visiteurs du volcan. Fondé par André Béton, il est géré en salle et en cuisine par deux frères d’origine sénégalaise, qui vous font aussi profiter de la cuisine africaine, rejoints dernièrement par un troisième comparse, Daniel. Si vous n’avez pas reconnu le QG, rebaptisé O’QG avec la nouvelle gérance, c’est que vous ne sortez pas le dimanche !


Le moins qu’on puisse dire est que ce restaurant de la Plaine-des-Cafres revient de très loin. Cyclone, tracasseries administratives, des hauts et des bas en cuisine, l’établissement en a vu de toutes les couleurs, autant qu’il y en a sur les tenues exotiques portées par Abdou, illuminées par son sourire. Et maintenant le Covid.
La salle, elle, n’est pas vide. Loin de là. Les clients ont fait leur retour, à commencer par les fidèles des fidèles, ceux qui ont connu cet « esprit du QG », avec ses tables en bois de goyavier, sa cheminée où pendouillaient les charcuteries, et cette cuisine réunionnaise du terroir. Des signatures du sieur Béton que nous visitâmes tantôt dans son atelier tout proche.
Aujourd’hui, que reste-t-il de cet esprit du QG ? Derrière la salle rénovée, la nouvelle cave, le comptoir plus classique et moins « roots », et cette carte qui privilégie les recettes métro et les grillades, réalisées avec des produits « premium », et dont les tarifs ont pris un sacré coup de chaud.
Pour répondre à cette question, nous allons y déjeuner. Ça fait longtemps.

Nous débarquons masqués à midi tapante. La salle est déjà pleine et certains convives attaquent leurs salades. La serveuse nous désigne notre table, réservée nécessairement, et nous porte la carte des boissons. On est déjà dans le coup de feu, et les serveuses esquivent les balles avec souplesse et professionnalisme, malgré un léger couac : une entrée qui arrive avant les amuses-bouches, habitude culinaire pratiquée depuis longtemps par le père Cheikh. Aujourd’hui, c’est un velouté champêtre de chou, carottes et patates, vivifié par une petite crème fouettée toute douce et acidulée à la fois.
Si les plats locaux ont vu leur quantité réduite, les caris restants sont de bons ambassadeurs de notre gastronomie : massalé cabri, cari la patte, cari coq et rougail saucisses.
Va pour le cari la patte et le coq. L’entrée, déjà sur la table, est une salade de chèvre chaud.

Cette dernière est un bonheur croquant et frais, assaisonné avec maîtrise de l’acidité d’une vinaigrette magnifique. Un moment, comme une humeur d’estragon nous traverse les gencives. C’est extra bon. Les petits croutons appuient les tartines où le chèvre se prélasse. Nous le prenons pleine face. Il est enjoué, le fromage de biquette, remonté comme un syndicaliste recevant son insulte mensuelle. Il ne nous laissera en paix qu’après une gorgée de ti-punch et trois verres d’eau.
Les caris sont déjà servis, dans une jolie vaisselle. C’est parti.

Le coq est marquetté « la kour », une expression un peu exagérée si nous nous en tenons strictement à la texture de l’emplumé. Les morceaux de chair blanche et un peu sèche ne sont pas les caractéristiques d’un « terroir certifié » mais plutôt d’un « poulet fermier industriel » confirmé. Au maximum. Il a dû trop tâter de la marmite, à feu fort, ce que le roussi d’épices confirme, avec un côté grillé qui remonte aux sinus, sans que ce ne soit rédhibitoire fort heureusement. La sauce emballe bien la viande, fait quelques remontées de poivre et de thym, et nous trouvons notre bonheur dans l’écorchage méthodique de la patte du coq, obligeamment proposée à notre palais réunionnais de nettoyeur « d’zo ».

Le cari la patte est plus sage, et envoie ses effluves gras avec timidité. Il semble aussi avoir séjourné un poil trop longtemps dans la marmite. Le Relais des Pitons, à l’autre Plaine, nous a chanté dernièrement la même chanson, comme disait un type au courant. La sauce est belle aussi, elle aide le riz à s’assembler malgré ses grains indisciplinés de basmati juste bon pour les bryanis.
Sur la longueur, nous reste une légère acidité, comme si le cochon s’était envoyé une rasade de vin blanc sec pour la route.  La patte disparaît sans nous coller les dents.

La carte des desserts est gourmande : vacherin mangue-letchi, banane flambée, fraises melba, entre autres. Le plus gourmand est le baba au rhum, qualifié de « fameux ». Nous confirmons : il l’est.
Le beau baba imbibé bat le rappel de nos papilles. Cette chose énorme se déguste, se boit, se suce, se tête, se lèche, s’aspire, on ne sait plus quoi lui faire tellement il nous tourne la tête. Il a le sucre juste, sa texture spongieuse est une drogue. On pourrait faire des kilomètres pour lui, la modération sans doute conseillée devenant une vue de l’esprit pour junkie diabétique. Les bananes flambées sont bonnes, rien d’autre à ajouter.

Deux cafés serrés plus tard, nous déboursons à la caisse un peu plus de 100 euros, pour une entrée, deux boissons, deux repas et deux desserts. Soit grosso-modo 50 euros par personne. Le rapport qualité prix est … perfectible.

Alors ? Que reste-t-il de l’esprit du QG ?
Le restaurant a opéré une mue, une montée en gamme assumée, et qui fonctionne, si l’on en juge par la fréquentation du lieu. Les pièces de viandes qui défilaient sous notre nez ne sont pas faites pour les petits appétits. Des « joyeux anniversaires » ont résonné, applaudis par tout le monde. Le service est efficace, souriant, aimable, et prévenant. Abdou, toujours égal à lui-même, avec son « karo » dans la main, semble mener la salle comme un Monsieur Loyal, entraînant, joyeux, toujours en plusieurs endroits en même temps comme une sorte de farfadet. La cuisine… subit un peu l’affluence pourrait-on penser à la dégustation de nos plats, et fait de mauvais choix en matière de riz, cédant à cette détestable mode du basmati. Pas bon, le riz. N’absorbe pas les sauces. Mais la cuisine continue d’assurer quand même et c’est le plus important.
Plus important encore sont les femmes et les hommes du QG. En eux demeure et doit demeurer l’esprit du QG, devenu O QG. Cet esprit d’accueil, de convivialité, d’hospitalité qui caractérise les familles réunionnaises des hauts. C’est à cette condition qu’on peut envoyer valdinguer la nostalgie dans les près, et savoir profiter de ces instants, près du feu, à s’entendre simplement digérer.