Coup de bol pour Piton Sainte-Rose

Nous retrouvons deux vieilles connaissances : le chef Jean-Philippe, décoincé de son cabanon des Orangers et heureux de l’être, et le citoyen Maugis, grand mufti de la pomme-en-l’air, actif défenseur du terroir réunionnais et des produits lontan à travers son association Ecologie Environnement, et dont le Bol Renversé est devenu le nouveau quartier général.

Samoussas aux brèdes chouchou

Le nom de l’établissement n’est pas choisi au hasard. Le bol renversé du père JP est en effet devenu une référence réunionnaise, adulé des connaisseurs pour sa qualité, demandé par les estomacs sans fond pour la quantité, recherché par les curieux qui en ont entendu parler comme une légende. Ce mets qui fait partie de notre culture culinaire au même titre que le riz cantonnais et le sauté de mines, est proposé sur une petite carte à part, c’est dire.

Nous débarquons avec une réservation faite le matin même. Il reste de la place mais de justesse. Un groupe de motards, estampillé d’une marque teutonne connue, va arriver.

Aujourd’hui, nous ne goûterons pas aux bols renversés, mais préférons le cari poulet au chou de coco et le cari ti jacques boucané.

En guise d’entrée, on nous propose les fameux samoussas aux brèdes chouchous qui nous ont régalés la fois précédente. Ils sont bien plus remplis que dans nos souvenirs, et toujours succulents. La pâte fine et croustillante, comme savent les faire les “zarabs”, laisse pleinement les brèdes fricassées s’exprimer, portées par un piment déluré.
Le bon punch coco, épais juste ce qu’il faut, arrose tout ça très bien, modérément bien sûr.

Les assiettes dressées ne tardent pas. Que dit le ti jacques ?

Ti jacques

Le Ti-Jacques dit qu’il est servi suffisamment pour ne pas laisser trop de place au boucané. Il dit que ce dernier lui a bien imbibé la chair hachée. Il dit que le boucané se la ramène aussi, avec son goût fumé un peu spécial, et appétissant. Il ajoute qu’en bouche il va offrir une belle moelleusité même si ça n’existe pas dans le dictionnaire, et sans être mouillé comme un mimite sous la pluie.
Et il ne ment pas ! Le bouchées sont non seulement moelleuses mais magnifiquement parfumées, même si, en ce qui nous concerne, on aime bien aussi quand il reste du croquant.

Poulet au chou de coco

Le poulet ne déçoit pas non plus.
Ce n’est déjà pas du poulet “de lo”, il est fier comme un coq, et ne rougit pas de la comparaison, avec une chair assez ferme, aux reflets violets dans la cuisse, qui a bien pris de la saveur de la sauce où remontent des éclats d’épices avec un joli curcuma en arrière plan. C’est du cari d’expert, où le choux de coco est très goûtu, tout autant que son cousin palmiste, voire davantage car il ne négocie pas avec la sauce, lui. Il revendique sa personnalité fraîche et croquante.

Le riz est très bon. Il donne de belles bouchées gourmandes, tout jauni du cari, avec des grains gonflés dans être collants. Nous boudons le rougail tomate, pas pour son goût, mais pour une envie de piment la pâte.
La petite salade à côté est fraîche et équilibre la générosité grasse des sauces avec son croquant. Un achard de légume coloré aurait été bienvenu à la place, mais cela aurait peut-être changé le tarif.

Nous terminons avec des desserts, cabosse de chocolat et chocolat moelleux, plus un café gourmand. Le moelleux est puissant, il enrobe la cavité buccale pour la mitrailler de sensations. La cabosse est une mousse sculptée, plus raffinée, et plus dangereuse aussi : on en veut encore !

Nous réglons l’addition : 96 euros, cafés compris pour trois personnes, soit 32 euros par tête. Le rapport qualité-prix est correct.

Jean-Philippe, le chef

L’équipe de l’ex-5 orangers n’a rien changé à ses habitudes. Toujours bon accueil, ainsi qu’une carte étudiée qui contente tous les goûts. Et toujours hélas une route bien droite où les moteurs et pots d’échappement se font bien entendre en terrasse ! Si les autorités compétentes pouvaient faire installer des ralentisseurs dans le coin, ça calmerait certaines ardeurs et réjouirait quelques tympans. Le principal, la cuisine du chef, ne change pas non plus sauf pour se bonifier. Quand on travaille dans de meilleures conditions, les résultats sont là : les assiettes, généreusement servies, sont dressées avec une belle démonstration de toutes les qualités de notre art culinaire, pour les touristes notamment, assez nombreux dans la zone. Un grand soin est toujours apporté aux desserts, ce qui est quand même assez rare par ailleurs pour être noté.
Que manque-t-il au Bol Renversé ? Un décor intérieur plus accueillant ? L’équipe vient d’entrer dans les murs, laissons lui le temps. François Maugis pourrait y installer une treille de pomme-en-l’air, pourquoi pas ! A part ça, on ne voit pas bien quoi souhaiter de plus qu’une belle longévité et une constance dans la qualité sur le long terme, qui construit la réputation d’un restaurant.
Si vous voulez mettre les pieds sous la table du Bol Renversé, n’attendez pas d’en avoir, du bol, réservez plutôt, nous vous le conseillons fortement.

A la bonne cuisine du Boucanier

Après le Warren Hasting voici quinze jours, nous restons dans l’univers de la marine. Le Boucanier, l’un des noms donné aux pirates écumeurs des mers, se présente de l’extérieur comme une brasserie classique avec ses tables en terrasse, plus quelques autres à l’intérieur. Lequel intérieur, décoré sur le thème de la marine du sol au plafond, de manière un peu surchargée, avec son bar en forme de navire, est un plaisir des yeux en même temps qu’une invitation à la Charles Aznavour de nous emmener au bout de la Terre.
Nous sommes accueillis poliment sur le pas de la porte et choisissons notre table. Au menu du jour : rougail saucisses, rougail morue, shop-suey poulet, ti-Jacques Boucané, steak de thon. Aucune entrée n’est proposée. Le ti-Jacques et la morue rejoignent notre table quelques minutes plus tard, après une mousse bien fraîche pour faire descendre la température. L’eau sera absente tout le long du repas. Nous avons l’habitude.

Le ti-Jacques semble servi en quantité équilibrée entre le fruit vert et la viande. Cette dernière est également bien proportionnée en terme de gras et de maigre et fournit aux sinus un fumet réglementaire assez appétissant. Cela se confirme sous la dent avec des bouchées harmonieuses, ni trop grasses, ni trop sèches, où le ti-Jacques tantôt mou tantôt légèrement croquant joue les timoniers dans les creux et sur les crêtes sans perdre le cap. Le fruit, en dépit des assauts gustatifs d’un boucané en joie, conserve sa saveur intrinsèque, encore que nous l’eussions mieux sentie avec des proportions plus généreuses, assorties d’un « croûtage » appuyé assoupli à l’huile.

On pourrait en dire autant de la morue. Elle aussi aurait pu davantage tâter du fond de marmite, avec un émiettement plus soigné. Nonobstant ces atours brut de grue de port maquillée à la truelle, la salaison conserve son caractère, et drape sa dignité dans un assaisonnement de rougail onctueux, sans bavure, et sans baver, sur une mâche tendre qui laisse en fin de parcours des accents doux et acidulés à la fois. Quelques petits oignons verts par dessus auraient été seyants, la touche de persil fait aussi bien le travail. Voilà du bon rougail bien goûtu, qui ne vous fournira aucun alibi en rentrant : « comment ça, « une petite salade ? » Tes dents du fond sentent la morue ! ».

Le riz est en grains longs détachés. Pour les bouchées longues et gourmandes, on peut repasser. Mais il est bien cuit. Les haricots sont très bons, leur sauce épaisse joue les chiens de berger avec le riz. Deux accompagnements pimentés complètent le tableau. C’est assez rare par ailleurs. Le rougail tomate est servi en quantité homéopathique, qui ne permet pas de l’apprécier à sa juste valeur. Le piment vert-oignons étale sans ménagement un confit divin, qui vous rince les amygdales. Qu’il est bon de souffrir parfois.

C’est la bouche ouverte que nous accueillons la boule de glace vanille du dessert, comme un tangue du Maïdo voyant les pompiers. Nous réglons la note : 33 euros, pour une boisson, deux caris et un dessert. Le rapport qualité-prix est correct.

Par le passe plat nous apercevons le chef, Marcel, qui porte la moustache, avec un faux air de Gabin dans « Le Tatoué », ne donnant pas envie d’aller lui dire de chambrer le Beaujolais, ni de lui chatouiller les ouïes. Fort heureusement on n’en aura pas besoin : le Boucanier n’a pas piraté la cuisine réunionnaise, mille sabords ! Nous avons déjeuner aujourd’hui de plats très bien exécutés, simples, et bons, comme nous aimerions en trouver davantage. Si l’on en croit la gentille dame qui nous a servi, l’établissement va bientôt tourner une page importante de son histoire, « pour le meilleur ». Allez donc manger au Boucanier, et vous imprégner de cette ambiance et de son décor uniques, en appréciant la cuisine de Marcel Ferrère. Nous, nous levons l’ancre pour une autre découverte, ou redécouverte, dimanche prochain, si plaît à Dieu.