Chez Alice

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Nous voilà de retour dans le Bourg du gouverneur Hell, classé parmi les plus beaux villages de France, pour mettre (de nouveau) les pieds sous la table de Chez Alice. Notre dernière visite date de juin 2012, le restaurant avait obtenu une fourchette en argent de justesse. Il est grand temps de faire une mise à jour de fourchette.

Le restaurant n’a pas bougé de la rue des Sangliers, accueillant, avec son ambiance chalet, les fenêtres à carreaux, les tables et chaises en bois, et la soixantaine de couverts sur nappe de la salle principale, sans compter les quelques tables à l’extérieur, proche de l’entrée, au milieu des plantes. Tout est est propre, seuls les sets de table estampillés à la marque du brasseur historique mériteraient de prendre leur retraite. Si le brasseur nous lit… 

La carte propose toujours des plats créoles classiques, au nombre de dix, dont le plus original est le porc à l’ananas. Pour changer des caris, entrecôte, magret de canard, omelette et truites sont les autres choix possibles. Une carte à rallonge, comme avant… Le menu du jour, quant à lui, est affiché à 22 euros, entrée, plat et dessert. Nous y piochons un cari de porc pomme de terre et une truite à la sauce cresson, accompagnée au choix de frites, légumes et/ou riz. Nous laissons le riz.

Un ti punch savoureux avec tranche de citron vert nous réveille les papilles.

IMG_5613Nous entamons le repas avec un gratin de chouchou, quasi obligatoire dans le cirque. Nonobstant le fait de sacrifier à une tradition culinaire, le but est aussi de comparer avec le gratin que nous goûtâmes en 2012. Ce dernier était une exposition du chouchou en compétition de natation, dans son propre jus, avec une béchamel misérable. Ce gratin-ci est plus présentable. Un sel bien dosé donne l’opportunité au chouchou qui résiste de prouver qu’il existe, tout emberlificoté d’une béchamel plus épaisse que la fois précédente, avec un fromage assez sage pour préserver la saveur délicate de la christophine. Les gratins sont sifflés. Les plats suivent.

IMG_5615Le cari de porc est mangeable. Les morceaux suintent comme il faut des odeurs d’épices de la marmite, qui peinent quand même à masquer cet arrière goût connu, un peu fort, des morceaux de cochon claustrophobe où refluent des relents d’enclos sale. La viande, souple, a quand même la politesse de comporter assez de gras pour donner au cari une tournure gourmande sans tomber dans l’excès.  Les morceaux de pomme de terre sont légèrement trop cuits (et trop gros) à notre goût, avec une pellicule farineuse heureusement limitée.

IMG_5621La truite débarque accompagnée de frites et de légumes, pour changer du riz. Le poisson est enduit de la sauce au cresson, mais les légumes trempent dans une autre sauce de couleur foncée. Qu’est-ce donc ?  Il s’avère que nous avons là quelques légumes sautés, encore croquants, comme rescapés d’un karay à shop-suey. Effectivement, la sauce épaisse, tirant sur le gluant, donne dans les parfums chinois.  En soi, les légumes sont plutôt bons, mais la sauce puissante oblitère totalement celle au cresson qui accompagne la truite. Nous nous attendions simplement à un sauté de légume standard, quitte à ce qu’ils trempent dans la même sauce que le poisson. Voilà un mélange des genres étrange. D’ordinaire nous ne sommes pas contre les innovations, mais ici on tombe un peu dans le n’importe quoi. La truite, pour sa part, dégustée tel quel, est assez bonne. La chair fondante est dépourvue de tout relent de vase comme c’est parfois le cas, et se marie bien avec la sauce au cresson, bien que celle-ci manque de punch. 

Le riz, grain long, qui accompagne de cari de porc, est convenablement cuit. Les grains blancs sont parfaits. Le rougail tomate quelconque et la sauce de piments écrasés, qui ont passablement confit, sont trop salés.

Les desserts consistent en une part de gâteau au coco et une glace vanille accompagnée de rhum et raisin secs. Le gâteau est aérien, léger et parfumé. Pas de sucre surnuméraire pour venir tuer le coco comme un Bounty. La glace est succulente, toute réveillée de la claque de l’alcool et des raisins. L’addition se monte à 54,60 euros pour deux menus, deux boissons et deux cafés « coulés ». Le rapport qualité prix est perfectible.

Peut-être avons nous mal choisi notre plat. Comment aurions nous pu nous douter qu’un shop-suey de légumes accompagnerait la truite. Nous qui pensions nous délecter du poisson avec des saveurs subtiles, travaillées et toute en nuances qui l’auraient magnifié. Toutes nos illusions sont détruites.  Heureusement que le reste tient à peu près la route, mais nous nous laissons dire, encore une fois, qu’il faudrait abandonner ce vieux concept antédiluvien de la carte à rallonge pour retrouver des plats plus aboutis et mieux travaillés, tels que les touristes sont en droit d’attendre. Pourquoi continuer à proposer quotidiennement la même longue liste de caris cuisinés à la chaîne ? Par tradition ? La tradition est indispensable, mais il convient de la garder intacte dans le goût, pas dans le nombre de plats. La qualité d’abord.  Nous partons de Chez Alice avec un sentiment mitigé. La cuisine y est banale, sans éclats. On attend davantage de ce genre d’établissement, qui est en première ligne du tourisme réunionnais, surtout dans le petit paradis  d’Hell-Bourg. Il faut se réveiller. La fourchette en inox s’impose.

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Finox
Pour résumer. 
Accueil : moyen • Cadre : très bien • Présentation des plats : très moyen
• Service : bien • Qualité des plats : moyen • Rapport qualité-prix : perfectibleImpression globale : table moyenne

Fourchette en inox

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Chez Alice

[Visite en juin 2012]

Aujourd’hui, nous voilà partis dans le cirque de Salazie, berceau des chouchous, des cascades, du pisse-en-l’air et des Sisahayes. Et c’est à Hell Bourg que nous nous arrêtons pour déjeuner. Entre les restaurants, les snacks et autres tables d’hôtes alentours, ce n’est pas le choix qui manque pour satisfaire un appétit aiguisé par l’air vivifiant de ce charmant petit village lové au creux d’une végétation luxuriante. Nous choisissons d’aller tester la table de Chez Alice, établissement connu de la place qui propose aussi des chambres.

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En passant, nous faisons connaissance avec le sieur Philippe, vendeur de légumes bon pied bon œil, qui se trouve avoir le verbe loquace en matière de chouchous ! «Comment ou aime mangé le chouchou ?»
« Ha ça ! Répond l’homme, Mi préfère le p’tit chouchou-cannette, bouilli, avec un ti grain d’sel, a là mon naffair ! Sinon vi peu mange a li avec sucre aussi. »
« Bon, et en plat ? »
« Ah, ben en daube ! Vi met in tit peu zoignon, l’ail, thym,sel, avec un peu de quatre-épices » (tiens, ça c’est original ! On va essayer!).

Après cette conversation avec Philippe, not’ bouche i fé d’l’eau. Alice, nous voici ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que le restaurant est agréable et confortable, divisé en deux grandes salles. Plantes vertes, bois, avec des tables aux napperons jaunes posent un décor accueillant.

La carte que l’on nous dépose présente les atouts touristiques du cirque, puis un menu à dix-neuf euros avec deux entrées et deux plats au choix. L’essentiel de l’offre à la carte est créole (du cari de poulet au civet de lapin en passant par le cari de poisson). Concernant les entrées : quatre salades, et trois préparations au chouchou : daube, tarte et gratin. Des samoussas et des bouchons, servis par quatre, sont aussi facturés comme des entrées, à 1,60euros ! Pas de petites économies chez Alice ! Des amuses-gueule ordinairement offerts ailleurs. Pour le prix ils auraient au moins pu faire attention à la présentation : le morceau de carambole est abîmé.

Notre choix est fait : ce sera gratin et daube de chouchou, puis cabri massalé et ti Jacques-boucané.

Le personnel s’active avec dextérité auprès des clients déjà arrivés. En attendant, nous sirotons un excellent jus de goyavier frais, qui sent encore la rosée du matin, et un « ti-punch » bien citronné qui nous rince les gencives avec modération, tutti et quanti.

Les entrées débarquent, et le bal commence…mal. La daube de chouchou, présentée à l’assiette avec quelques crudités qui font pitié est parfaitement quelconque. Nous avions pourtant levé un sourcil de satisfaction à la première bouchée, le morceau était frais et parfumé. C’était bien le seul. Les autres, coupés gros, sont un peu farineux… et sans autre saveur que celle de l’ail, et du persil haché dessus. L’ensemble est convenable mais nous nous attendions à beaucoup mieux.

Le gratin, pour sa part, est une catastrophe. C’était pas son jour il faut croire. Les morceaux de chouchous nagent le cent mètres dos dans de la flotte parsemée de béchamel sans goût. Le fromage lui-même est d’une pâleur de tuberculeux. La vague saveur de gratin est quasiment fantomatique. Y’a de la fourchette en inox dans l’air. Nous prions pour que la suite soit plus à la hauteur. Et les petites marmites arrivent (présentation pratique mais qui ne font plus s’extasier que les touristes tout frais).

Nous attaquons le cabri massalé. Première impression : nous sommes bien loin du cabri massalé pur malbar, celui qui transforme votre palais en piste de danse des épices, qui vous envahit les sinus du parfum de coriandre, de cumin, de graine de moutarde mélangées et qui vous arrachent des larmes qui sentent le piment. Non. Ici nous avons droit à la partition sage d’un massalé furtif, mais qui a gardé quand même assez de goût pour mériter son nom. Détail : une feuille de quatre-épices flotte dans l’abondante sauce en compagnie de rares feuilles de caloupilé. On repense à l’ami Philippe et sa recette. La viande est bien tendre, mais ils auraient dû nous fournir un égouttoir pour l’attraper dans la marmite ! Au final, le cari s’avère plutôt bon, mais pas extraordinaire.

Le Ti’jacques boucané arrive comme la cavalerie, John Wayne en tête, pour sauver la veuve gratin et l’orphelin massalé !

Comment dire ? Au premier humage, nous comprenons tout de suite que le plat est de haut niveau.

Notez que nous avion précisé vouloir déguster un Ti-jacques boucané et pas un boucané Ti-jacques ! On veut manger du Ti-Jacques, du vrai, du cueilli au tronc de l’arbre, du battu à la main par grand-mère avec sa bouteille d’huile de tournesol à côté « à cause de la colle ». Et là, les amis, on en a (enfin) eu pour notre argent. Les fines lamelles du fruit sont gouteuses, avec un léger arôme fumé, et fondent sous la dent. Le tout est sec comme un cari bichique, et pourtant juste assez gras pour glisser sous la langue et vous procurer un frisson de plaisir, tant et si bien que nous apprécions la dernière bouchée sans riz, « tel », en remerciant le ciel d’avoir exaucé notre prière.

La suite se résume à une tarte au coco, correcte, et accompagnée de fruits dont un quart de goyave rouge. Fin du bal : l’addition s’élève à 43 euros, hors boissons, pour deux personnes.

On n’est pas passé loin de la catastrophe chez Alice, victime, sans doute du « syndrome du touriste couillon » (l’étranger ignorant qui trouve un plat bon, quand le créole du terroir jugera le même plat moyen, parce qu’il a la culture et l’expérience nécessaires), syndrome dans lequel sont plongés jusqu’au cou nombre de restaurants ayant pignon sur rue, dont certains ont été testés ici il n’y a pas longtemps. Pas facile de recevoir tout ce monde et de garder la qualité et l’authenticité créole au fond de sa marmite. Même si certains nous trouvent un peu « durs » dans cette rubrique, nous restons conscients que le métier de restaurateur n’est pas de tout repos, quand on veut le faire bien, et avec passion. Il peut y avoir des couacs. Aujourd’hui l’excellent Ti-jacques boucané de chez Alice l’a sauvé de la fourchette en inox. Ce sera donc une fourchette en argent, pour ce sympathique restaurant de Hell Bourg.

Pour résumer : 
Accueil : bien • Cadre : très bien • Présentation des plats : bien
Service : très bien • Qualité des plats : moyens/bons
Notre impression globale : bonne table
Fourchette en argent