De l’or au fond de la marmite

Le Tremblet. Nous débarquons après réservation à l’Atelier Palmiste Rouge, tout jeune restaurant installé au-dessus de la route nationale. Levez le pied où vous allez rater le panneau, et le chemin en béton qui y grimpe. Peu avant midi, par un temps à faire moisir les crapauds, deux clients viennent d’arriver avant nous. L’accueil est assuré par une jeune demoiselle guillerette au regard qui pétille. Elle s’appelle Mathilde. Nous prenons place. Sur la table, le menu du jour est dans un petit présentoir. Trois entrées, quatre plats et deux desserts. Pas de carte à rallonge. Les produits ont de bonnes chance d’être frais. Voilà un patron de restaurant qui tout a compris.

Devinez ce qu’on mange à l’Atelier du Palmiste Rouge ? Pas des asperges bien entendu. En entrée, le gratin et la salade de palmiste frais sont au garde à vous. Plus une assiette créole où figurent des samoussas aux brèdes chouchou, que l’on retrouve décidément de plus en plus souvent, des samoussas au palmiste, comme de bien entendu, et des bonbons piments. Les premiers sont délicieux. Les brèdes sont encore bien vertes à l’intérieur et sentent le caro de chouchou après la pluie (vu ce qui tombe, elles n’ont pas de mal). Les seconds sont plus épicés et la saveur caractéristique du palmiste cuit est bien présente. Les troisièmes sont tendres et déploient en bouche tout leur caractère curcumaté, sans accrocher les gencives. La salade est très bonne aussi, avec une vinaigrette discrète, en dépit d’une présentation en « fil » paraîtrait-il préférée des clients. Des clients qui octroient plus d’importance à l’esthétique qu’au goût, puisque, rappelons-le, la découpe en tranche ou en biseau permet d’obtenir des morceaux plus croquants pour mieux apprécier la saveur délicate du palmiste, fut-il rouge.

Le gratin envoie une bonne odeur de fromage, et ce dernier est tout aussi autoritaire en saveur. A vrai dire, dans un gratin, le palmiste ne brille que par sa texture, peu par son goût, poutinisé par un fromage toujours envahissant. Qu’importe, le gratin tout chaud est enfilé dare-dare. Petite attente avant l’arrivée des plats. Une attente qui rassure : la cuisine n’est pas le terrain de jeu des congélateurs et des micro-ondes.

Mathilde est revenue. Les plats sont présentés dans une feuille de bananier. C’est de plus en plus tendance, et cela fait son effet. Des quatre plats nous avons laissé le porc palmiste et le chou de vacoa camarons pour choisir le poulet palmiste et le chou de vacoa saucisses. La suggestion du jour, cari la patte au palmiste, nous tente aussi. L’odeur précède la vue, comme si nous avions le nez dans les marmites. C’est très bon signe. Aussi simple peut-il paraître de marier le palmiste à un cari la patte cochon, c’est la première fois que nous trouvons ce plat dans un restaurant. L’on sait qu’il fait déjà merveille avec le cari porc quand il est bien apprêté. Le palmiste tout imbibé de sauce offre aux dents avides sa chair tendre et goûtue. Le cari la patte est fondant, laissant sa peau luisante glisser entre les lèvres et décharger ses effluves gourmandes et roussies dans une apothéose gustative enthousiasmante. On a les doigts qui collent. Ce plat est cochon.

De leur côté les saucisses sont-elles sèches ? Oui et non. Les tranches de saucisses sont si fines qu’elles en sont devenues presque croustillantes, texture qui complète très bien le délicieux chou de vacoa, toujours plus fort en gueule que le palmiste, avec son fumet spécial. Les proportions équilibrées autorisent des bouchées où les saucisses teintent le vacoa de leur grâce grasse et poivrée. C’est délicieux. Nous allons essayer à la case avec du ti-jacques pour voir.

Du côté du poulet, fermier, on a fait vérifier, c’est la même chanson. Le poulet est généreusement enrobé de sa sauce cari épaisse, où toutes les épices et les tomates ont compoté de manière académique. Le palmiste ne fait pas moins bien qu’avec la patte sus mentionnée. Cela sent bon la cuisine d’antan, avec un roussi magnifique, où la bonne odeur un peu grasse vous déclenche des tsunamis salivaires. Il y aurait des leçons à prendre pour certains chefs pas au point sur ce genre de plat, dont le dernier testé nous avait servi du palmiste où l’on avait presque laissé un plombage. Du côté du riz, tout est parfait. Les grains bombés, et légèrement attachés entre eux, fournissent des bouchées jubilatoires. Pas de grains. C’est la politique de la maison. La raison invoquée étant que les grains sont susceptibles d’indisposer le palmiste en ne le laissant pas pleinement s’exprimer. Voilà une position fort louable du chef. Le rougail concombre, en revanche, à notre humble avis, aurait été avantageusement remplacé par un rougail tomate piment cabri par exemple. Question de goût.

Mathilde est revenue. Elle repart avec les assiettes vides sous des soupirs de « goût de pas assez », toujours aussi guillerette, puis nous ramène les desserts. Fondant au chocolat, café gourmand avec des gâteaux ti-son maison, tonton ! Le chocolat du fondant est à courir sous l’averse en chantant à tue-tête « Singing in the rain«  avant l’arrivée des infirmiers de l’EPSMR. Les glaces sont celles de Ste! glacier. Ellesne sont pas dans leurs petits souliers. C’est de la bombe. C’est d’ailleurs en suivant la page Facebook de maître Soulié que nous avons connu l’existence de l’Atelier. Qu’il en soit remercié. Le gâteau ti-son est une pure merveille. Moelleux comme une éponge trempée dans le beurre, ce fils de maïs esquisse sans malice un pain d’épice à notre bénéfice.
Mathilde est revenue, et nous repartons, repus, après avoir réglé une note de 104 euros pour trois personnes, boissons, entrées, plats et desserts, plus un café. Soit 34 euros et des gouttes de pluie par tête. Le rapport qualité prix est très bon.

La famille Payet a ouvert son établissement voici quelques semaines seulement. Ulrich, le chef, a appris à cuisiner avec son papa Fred, et, visiblement, il maîtrise parfaitement toutes les arcanes de la cuisine réunionnaise traditionnelle. Il a décidé de mettre en valeur la production agricole familiale, le palmiste, mais aussi les autres produits du Sud sauvage, dans un restaurant d’une trentaine de couverts. Service parfait, cuisine excellente, cadre simple et propre, avec vue sur l’océan, autant de raisons pour décerner tout de suite la fourchette d’or à l’Atelier Palmiste Rouge.

« Amis ne comptez plus sur moi
Je crache au ciel encore une fois Ma belle Mathilde puisque te v’là te v’là »
Jacques Brel

À La bonne table paysanne des Fiarda

En haut du Chemin de Ceinture, au Baril, entre forêt et champs de cannes, L’auberge paysanne Les Palmiers et son luxuriant jardin accueille gourmets et gourmands depuis une douzaine d’années. Jules-André et Marie-Line Fiarda y cultivent l’amour de la cuisine et l’art de recevoir.

Il est de ces lieux un peu magiques, comme hors du temps, qui vous dépaysent et vous permettent de trouver le calme intérieur. Devant la porte de l’auberge, Buddha monte la garde. Sur sa droite, les fameux palmiers éponymes offrent leur ombrage à une table en bois. Le jardin se prolonge jusqu’à l’arrière de la maison, plus privé, ou un pied de Cœur-de-Bœuf profite du soleil capricieux de Saint-Philippe.
Nous voilà apaisés, mais « goni vide tient pas dobout », il est temps de passer à table.
L’espace réservé aux clients, tout en longueur, suit pour ainsi dire le jardin jusqu’à l’arrière. Marie-Line y a disposé quelques tables à part, pour que chaque groupe ait son intimité. Elle peut accueillir jusqu’à 120 personnes, mais les temps ne sont pas propices aux grandes agapes.
Ne vous offusquez pas si vous arrivez de bonne heure et que vous ne voyez personne. La cuisine va sonner le branle-bas-de-combat, surtout si plusieurs dizaines de convives sont attendus. Un bon vieux « na d’moune », le cri au baro, et pas du Pétrel, suffira à faire venir Marie-Line ou une aide-de-camp, charlotte réglementaire sur la tête, qui vous invite à « prendre un asseoir » et à entamer les trois rhums arrangés que tonton Iréné a repéré depuis le jardin.
Vous avez le temps de prendre des nouvelles de toute la clique arrivant au fur et à mesure, #vilé bienmwinlébienmerci, avant que les samoussas soient servis.


Samoussas palmiste et poulet, pour nous, à pâte fine et croustillante, avec quelques vapeurs pimentées sans exagération, et quelques chips de bananes sur lesquels se jette la marmaille affamée.
Pendant ce temps quelques-uns ont déjà le nez dans leur petits verres. Les rhums arrangés sont succulents. Un jus de tangor frais arrange les gosiers softs. C’est la saison.
Les conversations tournent déjà autour de la politique et de l’actualité quand Marie-Line arrive avec les plats. Ce sera cari poulet palmiste et boucané chou de vacoa pour nous aujourd’hui. Taïaut !

Le poulet est fermier, pour sûr. La vue le suggère, avec cette belle couleur de roussi curcumaté. Les dents le confirment. C’est ferme. Les cuisses sont fières, les ailes aussi, et on prend plaisir à dépiauter la viande de l’intérieur des côtes où tout le goût s’est concentré, appuyé par quelques restes d’entrailles. « O ki lé lo gésier ? ». « A la in bout, pas besoin batay ».

Un petit verre de Bordeau là-dessus tourne la page pour l’autre cari. Le chou de vacoa est presque croustillant, tout imbibé du fumet du boucané. C’est d’ailleurs davantage un chou de vacoa au boucané, ce qui ne nous dérange pas le moins du monde, bien au contraire. Avec le bon riz, ça fait des bouchées magnifiques. Le rougail concombre au piment éclatant fait merveille par-dessus.
Les lentilles sont délicieuses, avec leur parfum de terre rincée par une averse longtemps attendue.

Pause. C’est l’heure où les estomacs sont remplis. On taille quelques costumes. Des élus, les belles-doches, plus des voisins indésirables sont rhabillés pour l’hiver jusqu’en 2030.

Le gâteau chouchou arrive, avec un jus de bissap pour lui fouetter les flancs. On va lui trouver une petite place, pas d’inquiétude. Il est assez moelleux pour ça, avec un sucre dosé juste assez pour préserver les saveurs délicates de cette pâtisserie péi.

Jules-André fait le tour des tables. Il nous raconte les débuts de l’auberge, montée sur un « travailler plus pour gagner plus » d’un président à talonnette. L’agriculteur a investi pour « ne pas mettre tous les œufs dans le même panier ». Il contemple son jardin, et évoque avec une pointe de regret ce trou d’eau jaillissante qui, autrefois, abreuvait les quelques habitants du coin, en plus des lièvres, et en lieu et place duquel pousse aujourd’hui un palmier.
« L’eau est encore là, il faut juste creuser pour la trouver » lâche-t-il comme s’il avait une vieille idée derrière la tête.
Il est encore jeune, mais pense déjà à la transmission. Le fiston, élevé dans la conscience de la valeur du travail, pourrait un jour prendre la suite, perpétuant pour les générations à venir cette hospitalité réunionnaise que nos touristes apprécient tant.

Les Palmiers, auberge paysanne
21 Chemin de Ceinture
0692 69 03 48