La marmite tient le bon cap !

Nous profitons de notre présence à Cilaos pour continuer notre tour des restaurants de cuisine réunionnaise en vue de la parution du prochain guide jaune. L’année dernière deux d’entre eux ne s’étaient pas montrés sur leur meilleur jour. Deux autres sont testés le week-end dernier. Une découverte prometteuse et une déception.

Nous entamons ce nouveau tour avec La Marmite du Cap, situé à quelques dizaines de mètres en amont de l’hôtel Tsilaosa et du restaurant « Chez Noé », qui recevra aussi une visite d’ici août. La baie vitrée est en partie masquée par un adhésif qui expose la carte aux visiteurs. Le chevalet posé sur le trottoir, affiche pour sa part les plats du jour : boucané ti jacque, rôti de porc pomme de terre, cari canard, sanglier petit pois, civet de pigeon au vin de Cilaos, cari camaron, coquelet entier et cari d’espadon. La salle d’une quarantaine de couverts est encore vide. Bois verni et murs bleus composent la décoration. Tous les goûts sont dans la nature. Nous prenons place. L’accueil est poli et le sourire est composé. Nous prenons place, et examinons la carte, version réduite de celle de la vitrine. Un gratin « du jour » et un civet cabri, un de nos « plats test » préférés, feront l’affaire, sous le mode de la formule entrée plat et dessert à 26 euros. Ce qui paraît raisonnable.

Le gratin de citrouille est servi rapidement. Visuellement, le fromage est plus fondu que gratiné d’ailleurs, avec des reflets huileux, et quand nous en faisons la remarque à la serveuse, sa réponse, elle, est gratinée, avec une pointe d’ironie : « monsieur est cuisinier » ? Non, mais c’est pas notre premier gratin ! Pourquoi ? En dessous du fromage, de la citrouille très polie, accompagnée de morceaux de patate dirait-on. La dose de sel qui vient équilibrer avec justesse les atours doux de la cucurbitacée tout en relevant son goût. C’est très bon. Le gratin pas gratiné est quand même apprécié en dépit de l’absence de pain frais pour l’accompagner, et nettoyer le ramequin. Nous l’avons attendu un temps certain avant de nous résoudre à le réclamer. Quelle ne fut pas notre surprise de voir arriver des tartines passées au four, toute dures. Fait exprès, ou plutôt oubli d’achat du pain ce jour-là ? Il existe pourtant une boulangerie pas loin.

Voici le cabri, en présentation petite marmite, c’est vintage, vu et revu, mais ça reste apprécié. Belle couleur, texture très moelleuse, odeur un peu en retrait, qui manque de fragrance, mais saveur fidèle au poste, ce cabri se situe au-dessus de la moyenne. La viande archi-cuite (probablement réchauffée) s’arrange bien des feuilles de caloupilé et d’une légère acidité en fond de bouche, accentuée avec éclat par un rougail zévis goûteux. Zévis, zé tout fini. Belle idée de marier le massalé et la prune de Cythère, pour voir si le silon s’y terre. Les os sont nombreux mais ils contribuent au goût et au suçage, tout enrobés qu’ils sont dans la sauce épaisse. Prétexte pour attaquer l’affaire à la main, à la traditionnelle.` Les haricots ont bon thym, et bon roussi. Le riz est sans défaut, épais et moelleux sans être collant, il donne avec le massalé de belles bouchées jouissives.

En dessert nous demandons une tarte tatin, non faite maison mais tant pis. Elle est servie chaude et la chantilly coule dessus. Joli point final au repas. Nous repartons en réglant une note de 29€ pour une boisson et une formule. Le rapport qualité-prix est bon.

Nouvellement testée, La Marmite du Cap donne des signes encourageants pour l’obtention d’une jolie fourchette au « guide jaune ». Sans atteindre des sommets, la cuisine créole est de bonne facture, dans tous les sens du terme. L’accueil est correct mais le service est perfectible. Cette fois encore nous avons déjeuné au régime des dromadaires, sans eau proposée. Si la politesse est globalement de mise, ça manque de chaleur. Faudrait peut-être repeindre les murs en jaune pour ça, allez savoir.  D’autre part, le genre de pique gentille « vous êtes cuisinier ?» ne passe pas avec tout le monde. Enfin, « Les clients préfèrent le fromage fondu plutôt que gratiné », sourire en coin, ressemble à un léger « foutant » à peine déguisé. Ce restaurant devra confirmer avant d’entrer dans le guide des meilleurs restaurants de cuisine créole, ce qui remplumerait les pages dédiées aux cirques, hélas bien désertes.

Chez Noé

[visite en avril 2011]

Ce dimanche nous avons réservé une table chez Noé, à Cilaos. Avant d’entrer dans l’établissement, situé pile en face du l’hôtel « le Tsilaosa » en centre ville, nous prenons un bon bol d’air frais du cirque, histoire de nous mettre les sens en éveil.

On reconnait tout de suite l’architecture typique des maisons créoles d’antan sous une couche à base de bois vernis et une décoration à l’avenant, favorisant la convivialité. Tout est fait pour attirer les touristes.  Nous sommes d’ailleurs accueillis avec la bonne humeur et l’accent chantant du personnel et nous nous  installons à l’une des tables jouxtant les fenêtres de la façade. La carte nous est déposée rapidement, et le temps de la consulter en sirotant le punch « maison » et le cocktail de fruit frais, la commande est prise. On a quand même eu un peu de mal. Les plats ont l’air tout aussi savoureux les uns que les autres et plusieurs formules sont proposées, entre les plats du jours  « classiques » et les combinés apéro-entrée-plat-dessert-rhum arrangé, s’étalant entre 19 et 30 euros. Etant dans le pays des lentilles, ne pas y goûter serait un crime. Nous choisissons donc deux plats à base de lentilles : une côte de porc fraîche et des saucisses, plus un cabri massalé pour varier. Nous mettons nos papilles gustatives en alerte en commençant  par des gratins, l’un au chouchou, l’autre au bois de songes.

Le service s’avère efficace et rapide. Les gratins sont déjà sous notre nez, exhalant leur parfum de fromage fondu et de poivre. Le bois de songe, auquel on a ajouté des morceaux de lardons finement coupés se révèle être un vrai délice. Fondant, crémeux, et brûlant comme il se doit.
Le gratin de chouchou n’est pas mal non plus. Il aurait été parfait si les morceaux n’étaient pas si gros. Et le chouchou, au palais, ne semble pas être né de la dernière averse. Les grains ont été laissés, parfois avec leur gaine dure. On pourrait ne pas apprécier. Les ramequins sont quand même vides quand ils sont remplacés par les plats de résistance. Et on redemande du pain. Commençons par le cabri. Très bon. La viande est judicieusement accompagnée de ses os, bonne excuse pour les sucer afin d’en extirper le jus. C’est tendre. Le massalé n’est pas agressif, certains s’en plaindront, nous non. La sauce est très goûteuse et en un rien de temps, le plat est expédié.

Les saucisses aussi sont succulentes. Légèrement élastiques sous la dent, elles fleurent bon le thym et le poivre et sont bien sèches. Sèche La côte de porc ne l’est pas, et pourtant elle est frite comme il faut, et même légèrement cramée sur les bords, ce qui donne une note d’amertume pas inintéressante quand elle se mélange aux lentilles. Et les lentilles ! Un festival. Vous allez voir. L’expérience commence… Alors là, jouez-la créole à fond et demandez une cuiller à soupe. Dans l’assiette, posez un peu de riz sur le nappage de lentilles odorantes, amenez sur cette petite île un morceau de côte de porc bien frit, ajoutez à l’ensemble un bout de chouchou d’accompagnement et terminez par une touche de ce rougail tomate « bien vert » du piment « zoizo » hâché. Attention : la portion de lentille doit être dominante. Attrapez tout ça avec la cuillère et portez à la bouche. Fermez les yeux, mastiquez lentement. Les lentilles sont crémeuses à souhait, du vrai velour. Leur saveur authentique, ensoleillée, colorée de cette terre basaltique aride, est sublimée par le morceau de côte de porc savoureux, dont le bon gras est subtilement contrebalancé par la fraîcheur du chouchou. Le tout, relevé avec le piment du rougail, explose en bouche en une symphonie de saveurs authentiques et vous avez alors une pensée émue pour ces agriculteurs passionnés de l’îlet à corde, qui cultivent la lentille en y mettant tout leur cœur, perpétuant les gestes hérités de génération en génération.

Le temps de reprendre nos esprits, les desserts sont commandés. Rien que de très classique, de prime abord, des glaces, la crème brûlée, etc. Nous vous recommandons donc la tarte maison : « une tuerie » comme disent les jeunes. Nous avons eu droit à une tarte à la banane. La pâte, magnifique, se laisse croquer en s’effritant doucement. Le beurre qu’elle contient mêle sa saveur avec la banane cuite et vous faites une minute de silence en pensant à vos artères. C’est avec la peau du ventre respectablement tendue et le sourire idiot du convive aux anges que nous accueillons l’addition. 80 euros, et des poussières de lentilles. Pas donné l’affaire. Tiens oui, c’est vrai, nous sommes dans un endroit touristique… On en a quand même pour son argent.

Chez Noé est une institution à Cilaos. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. La qualité n’a pas besoin de publicité. Le bouche à oreille suffit à remplir très vite un restaurant comme celui-ci. Par la suite, le succès doit se mériter chaque jour. Il se trouve que certains signes nous ont alertés même si nous nous sommes régalés. Quand on est dans un lieu aussi touristique que Cilaos, il est facile de tomber dans la recherche systématique de la productivité et du profit, qui se fait un jour, fatalement, au détriment de la qualité et de l’authenticité. Or c’est cela que nous devons à nos visiteurs étrangers.  Nous encourageons donc la sympathique équipe de chez Noé à demeurer vigilante et exigeante sur la qualité de son service et de ses plats, moyennant quoi nous la gratifions d’une jolie fourchette en argent.

Pour résumer
Accueil : bien • Cadre : très bien • Plats : bien • Service : bien
Rapport qualité/prix : correct.
Notre impression globale : Bonne table
Fourchette en argent

Note octobre 2015 : Si les rapports qui nous ont fait sont vrais, et nous n’avons pas de raison d’en douter, la qualité a dégringolé. Ce que nous avions pressenti s’est bien produit.