Dam’s Caz, bonne cuisine sans chinoiser

Saint-André compte quelques bonnes tables créoles. Le Velli et chez Jo, le Franciscéa aussi, si on veut, et une multitude de petits restaurants de qualité diverse, et souvent inégale selon les jours.
Celui que nous visitons aujourd’hui, « vu à la télé », prend ses quartiers sur l’avenue Bourbon.

Si vous parvenez à vous garer le midi Avenue Bourbon, à proximité de chez Dam’s Caz, courez au PMU le plus proche, vous êtes en veine. Vous aurez plus de chance de trouver de la place derrière l’église, et encore. Nous débarquons de bonne heure, comme d’habitude. Les plats sont prêts. Le menu du jour, affiché à l’extérieur donne le ton : il s’agit de cuisine chinoise, essentiellement. Enfin, « chinoise » à la sauce réunionnaise ! On n’est pas non plus au Wang Fu ni au Sweet Cooking. Appelons ça de la cuisine au Karay : Sauté de crevettes à l’impériale, Riz cantonné poulet, sauté de mine porc et sauté de poulet aux oignons. Les seuls plats pur péi sont un ti salé aux gros pois et un rougail saucisses fumées. Et l’élégance d’écrire correctement « bon » appétit et pas « bonne » appétit !

L’accueil est souriant et sympathique. La jeune femme au service nous explique le fonctionnement de l’établissement. Buffet à volonté, et à emporter aussi, payable à la barquette « qui ferme ». En gros mettez-y tout ce que vous voudrez, tant que la barquette puisse être fermée. Deux originalités, peu ou pas vu ailleurs : le buffet à volonté inclus samoussas, bonbons piments et consorts, et les glaces aussi.
Le premier regard sur l’ensemble des plats alignés est satisfaisant. Les couleurs sont belles, mais les délicats des artères vont avoir quelques sueurs. Un déjeuner ici et c’est deux jours de légumes vapeur derrière.

Nous entamons les hostilités avec des fritures. Samoussas, bonbons piment et feuilletés aux brèdes sont plutôt bons dans l’ensemble. Des épices pas trop agressives. Un sel correct. Le bonbon piment est plus dodu que Juliette. Puisque le buffet est à volonté, nous tâterons de tout, sauf des mines. On veut bien vivre dangereusement, mais là, c’est un peu trop « généreux » pour employer un euphémisme poli.

Le riz cantonnais est riche et bien foncé. Carottes et tout petits dés, oignons verts, œufs, avec du poulet tendre, tout ça bien sauté, font des bouchées gourmandes et odorantes. Ce riz cantonnais est un plat en soi, davantage que certains autres moins généreux et consistants. L’accompagner d’un autre plat ce n’est plus de la gourmandise, c’est de la témérité.

Le poulet aux oignons a l’élégance de se tenir malgré sa visible basse extraction. Imbibé de sauce, comme les oignons très cuits d’ailleurs, il affiche un goût prononcé, sur une danse sucrée salée. C’est assez bon.

Sucrées salées sont aussi les crevettes. Toutes rouges, elle sont charnues et ont gardé leur saveurs un peu sauvage. La sauce épaisse et glissante, ajustée au croquant des poivrons, est un délice. Les petites cacahuètes qui s’y promènent donnent aussi du croquant, et leur saveur assoie le sucré-salé d’une touche intéressante. Ce plat est presque addictif.

Le salé pour sa part a donné son sel aux gros pois dont le bain aurait pu être un peu plus épais et crémeux, ce nous semble. Malgré tout le plat est correct.

Le rougail saucisses est trop salé. Les adeptes du sel et de la saucisse mal épicée y trouveront leur compte. Nous, nous adhérons pas du tout.

Un mot sur les accompagnements : le riz blanc est bon. Ce n’est pas ce triste riz à grain sec et détaché qui joue au flipper dans les dents, comme on en trouve trop souvent ailleurs. Le rougail tomate est haché si gros qu’on ne confondrait presque avec une salade s’il n’était pimenté. Cela prend autant de temps que ça de faire un rougail tomate présentable ? Le rougail carotte envoie de belles charges chaudes. Il passe mieux avec les crevettes.

Nous terminons avec des glaces. Mais des gâteaux et des salades de fruits sont aussi disponibles. Addition : 17 euros boisson comprise. Le rapport qualité prix est bon.

Le chef du Dam’Caz est sans conteste possible un maître karay. La cuisine n’est sans doute pas le parangon du raffinement culinaire réunionnais, écriteau derrière lequel se cachent parfois certains restaurants à la cuisine sans goût ni sentiment. Mais après tout ce n’est pas ce qu’on lui demande.
Si vous voulez du goût et des sensations, vous les trouverez au Dam’Caz, à la louche, à la benne !
C’est de la bonne cuisine de quartier, généreuse dans tous les sens du terme. Ceci dit elle y gagnerait en cherchant un peu plus de légèreté et de finesse, et à éliminer complètement les plats approximatifs comme ce rougail saucisse qui faisait figure de poil gras dans un bol de soupe chinoise. Pour l’heure, le Dam’Caz ne mérite pas moins qu’une fourchette en bronze d’encouragement

Réveil difficile au Relais des Plaines

Notre dernière visite au Relais des Plaines ne date pas d’hier mais de huit ans exactement, avec une fourchette en argent en récompense. De l’eau a coulé sous les platanes. Le Covid est passé. La disposition des lieux
a changé, forcément. Les écarts entre les tables sont conséquents. La grande salle le permet.

Du côté carte, changement aussi puisqu’il nous est proposé de la cuisine française classique – magret de canard, cuisse de grenouilles, escargots, côtelette d’agneau – deux plats créoles, et des originalités comme le gratiné de crevettes au palmiste que nous commandons, avec un cari de poulet. L’accueil est avenant. On nous propose de l’eau. Le chef passe voir les clients. Rien à dire sur le service, aimable et efficace. Les plats en revanche…
Un jus de goyavier nous est proposé avec une lichette d’alcool. Nous sentons à peine l’alcool, ce qui n’est pas bien grave. Mais nous sentons à peine le goyavier aussi. L’apéritif a un goût de flotte. Ça commence mal.

Le Gratin de Palmiste, qui a un goût de gratin, et pas de palmiste.

Nous attaquons avec un gratin de palmiste, il fait frais, préféré à la salade du même tronc et à l’assiette créole classique. Le gratin est dressé le plus simplement du monde, avec une salade verte fraîche. Présentation kitsch. C’est chaud. Pas besoin de plusieurs bouchées pour en avoir le coeur net, la première suffit. Nous ne nous faisions pas beaucoup d’illusion au départ, tout en espérant un miracle, mais le palmiste peut difficilement garder sa saveur délicate et fragile sous les assauts de la béchamel et du fromage. Il ne peut prêter au plat que son nom, sa texture et son croquant, quand toutefois les morceaux sont assez gros pour qu’on ressente quelque chose sous la dent, ce qui est loin d’être le cas ici. Nous avons donc un gratin, plutôt bon, mais dire qu’il est au palmiste relève de la rhétorique, au mieux. Il faudrait arrêter avec ce genre de plat comme les beignets par exemple, à ceci ou à cela, qui n’ont la plupart du temps qu’un goût de pâte au bain d’huile. Aujourd’hui c’est le produit qui compte, et la mise en valeur de son goût. Si on mange un gratin et qu’on ne sent pas le produit, quel intérêt ?

Quelques crevettes se battent en duel au milieu d’un autre… gratin de palmiste !

Nous restons dans le gratiné, et dans le palmiste. «Gratiné de crevettes palmiste» est le nom du plat. Le nom « crevettes » étant placé avant, c’est donc cela que nous nous attendons à déguster principalement,
en imaginant par exemple des crevettes sautées à l’ail prises en sandwich entre des tranches de palmiste, le tout passé au four sous une couche de fromage. Que nenni. A la place nous avons… un gratin de palmiste aux crevettes, enfin, à la
demi-douzaine de misérables crevettes vapeur qui se tapent une belote en s’emmerdant à cent sous de l’heure au beau milieu de palmiste effiloché, pas plus goûtu donc que l’entrée. Ce plat est au mieux une erreur, au pis un attrape-couillon.

Le Cari poulet manque de punch

Passons au cari. Bizarre ce poulet. Ses origines industrielles ne font pas mystère, et pour autant sa tenue est bonne. Mais il nous paraît assez pâlichon. Nous goûtons la sauce. C’est fade, le roussi est indigent, et la viande n’a pas tâté assez le fond de marmite pour exalter sa saveur. On dirait un cari fait en vitesse au micro-ondes. Le plat est mangeable,
mais quand on fait des kilomètres pour savourer un cari de poulet à la Plaine, on s’attend à autre chose qu’à cet ersatz de ration de l’armée pour bidasse affligé d’agueusie. Le riz est à l’image du reste : pauvre en goût, sec et sans intérêt. Les gros pois suivent le mouvement. Le rougail de concombre est bon, bien pimenté, croquant, et essaie de sauver
le cari mais n’y parvient pas. Il aurait plutôt fallu un rougail tomate arbuste ou bringelle, bien grillée, pour apporter un peu de fumet et d’éclat à cette volaille gustativement étique.

Nous terminons par un fromage des Plaines au coulis de goyavier, rajouté à la main sur la carte des desserts, comme un oubli. Il devrait être imprimé comme les autres, et en haut de la liste. Quand on est implanté dans un lieu, on essaie de mettre à l’honneur le terroir, un tant soit peu. Le fromage est frais et plutôt bon, le coulis est très caramélisé, trop sans doute pour qu’on profite pleinement du bel éclat gustatif du petit fruit rouge emblématique de la région. Ce dessert pourrait d’ailleurs être plus travaillé, et décliné en différentes versions, avec d’autres fruits locaux. Quelques baies de goyavier bien mûres en décoration avec leurs feuilles n’auraient pas été de trop, surtout en saison. D’une manière générale il est rare que les restaurateurs mettent des fruits de saison à leur table, ne serait-ce qu’en clin d’oeil, et c’est très dommage. Coût supplémentaire ? Manque d’idée, d’intérêt ou de temps ? La raison nous échappe. Addition : 49,50 euros pour une boisson, une entrée, deux plats et un dessert. Le rapport qualité-prix est perfectible.

Il est quand même navrant de constater que ce genre de cuisine existe encore. Le Covid a fait beaucoup de mal, les restaurateurs en ont souffert, et il nous est donc pénible d’en rajouter une couche mais si certains s’imaginent qu’ils peuvent compter sur la mansuétude des clients pour accepter les à-peu-près, ils se fichent le doigt dans l’oeil à se gratter l’omoplate par l’intérieur. Les clients restent exigeants, et le sont de plus en plus. Il est grand temps de proposer de la vraie bonne cuisine réunionnaise authentique à la Plaine-des-Palmistes, en plus de la gastronomie française, pourquoi pas, l’un n’empêchant pas l’autre. Dans un cadre comme celui du Relais des Plaines, c’est le moins qu’on puisse attendre.