Le Franciscea, grosse carte et assez bons petits plats

Aujourd’hui nous revoilà au Franciscea, restaurant de Saint-André posé juste derrière l’église du centre-ville, et tenu par le citoyen Nehoua Sully, même famille que la boutique située plus haut et qui, dit-on encore, faisaient les meilleurs sarcives de l’Est. Il s’agit de notre troisième visite depuis le début des critiques en 2011. La dernière avait abouti à l’octroi d’une fourchette en argent. Voyons si la qualité s’est maintenue depuis 2015.

Nous arrivons de bonne heure. La jolie case créole aux volets bleus est toujours accueillante. Peu de modifications ont été faites suite au Covid, les tables étant déjà espacées. L’accueil est souriant, devine-t-on à travers le masque, et nous nous posons près de la porte ouverte qui donne sur la petite varangue, pour profiter de la petite brise.

On nous dépose la carte. Un menu chinois, 19 plats et 6 entrées ; un menu Métro, 15 plats et 7 entrées ; un menu créole, 10 plats et 6 entrées. Des classiques pour la plupart, excepté le cari de légine au gingembre mangue. Cela fait beaucoup, tout de même, mais nous gardons espoir.
Nous prenons l’Assiette Créole composée de boudin, d’un achard, de samoussas et d’un piment farci, puis nous poursuivons avec un rougail zandouille et un cari la patte.

L’entrée arrive nous sautons sur les samoussas. Farce fine de poulet, bien arrangée d’épices et d’un piment volontaire, avec une pâte croquante. Le piment farci ne fait pas non plus dans le soft. Juteux et croquant, il envoie la salve de saveurs empreinte de cumin et de piment façon tsunami. Le boudin, mou et onctueux, fait dans le même registre. Cette assiette créole mérite son nom, non recommandée aux chochottes. Un délice.

Le cari la patte manque de punch. C’est du moins la première impression que nous avons eue. Mais notre palais allumé par l’entrée avait besoin de retrouver un peu de calme pour apprécier les subtilités du cari. Subtil il l’est, avec une sauce mesurée en quantité et qui laisse sur la langue comme un parfum d’herbe aromatique.  Du quatre épices probablement, du laurier peut-être, c’est raffiné. La viande en revanche l’est sans doute trop, raffinée. Nous aurions préféré des morceaux plus gras à la peau bien épaisse, histoire d’avoir de la mâche. Tant pis. C’est bon quand même, et le rougail zévis envoie ses atours verts et puissants pour tourner le cochon en bourrique.

Le rougail zandouille est un peu plus alerte que la patte. Le nez enregistre les vapeurs réglementaires teintées des odeurs fortes des dessous de bras pas rasés d’un ouvrier du bâtiment affligé d’hyperhidrose, coulant une dalle en plein cagnard. Tout cela adouci par la sauce bien tomatée, et souligné d’un sel présent, mais urbain. Les morceaux d’andouilles sont cuits comme il faut, suffisamment pour ne plus afficher la consistance des lanières de savates tout en offrant assez de mordant pour donner du plaisir. Le rougail tomate passe mieux avec. Pour 16 euros, c’est acceptable. On a vu plus cher et largement moins bon ailleurs…

Le riz, du grain long, est assez cuit pour qu’on obtienne des bouchées intéressantes, avec un liant acceptable. Les grains, en crème, corrects, aident un peu.

Les assiettes sont enlevées et remplacées par les desserts. Moelleux au chocolat et profiteroles. Le moelleux est aussi fondant au cœur. Les amatrices et amateurs de chocolat y trouveront un instant de bonheur. C’est très odorant.
Les profiteroles profitent de boules de glaces vanille excellentes, comme artisanales, avec moult chantilly.

Nous repartons repus après avoir réglé une note de 72 euros pour deux boissons, une entrée, deux plats et deux desserts soit 36 euros par personne. Le rapport qualité-quantité-prix est plutôt bon.

Que ce soit dit : nous nous méfions comme de la peste des cartes à rallonge, à nos yeux vestiges d’un autre temps où une certaine restauration voulait ratisser large pour faire du chiffre avec des produits bas de gamme. Mais nous connaissons au moins une ou deux exceptions où grosse carte ne veut pas forcément dire petite qualité. Aujourd’hui nous en découvrons une nouvelle.
Les plats que nous avons dégustés sont bien faits, ont le goût qu’ils sont supposés avoir, avec quelques petits plus qui leur donnent de l’intérêt… Nous n’avons donc aucun reproche à faire qui mériterait des lignes acerbes.
Peut-être serait-il souhaitable de varier un peu les grands classiques, fussent-ils demandés par la clientèle touristique, et leur adjoindre des brèdes par exemple.
Ce repas, servi avec bonne humeur et professionnalisme, nous a convaincu d’inscrire le Franciscea dans la liste des bons restaurants de cuisine réunionnaise que compte notre île.

Le Franciscéa

P1100329Avril 2011. Nous sortons du Franciscéa passablement déçus. Service aléatoire, plats moyens. La fourchette en inox était tombée. Précisons que le système de notation étant à ses début, cette fourchette n’était pas encore considérée comme une mauvaise note telle qu’elle l’est aujourd’hui. Une mise à jour s’impose donc. 

C’est en cette orée de décembre que nous décidons d’aller remettre les pieds sous la table du Franciscéa, dans ses murs de case créole, un peu plus défraîchis par endroit, derrière l’église de Saint-André. L’intérieur est toujours aussi confortable, sobrement mais gaiment décoré. L’accueil est souriant et courtois. Nous nous installons et l’on nous apporte la carte. 

Trois menus s’affichent : créole, métro et chinois. Neuf caris créoles suivent cinq entrées. On pourra y trouver un rougail zandouille, un cari de porc au palmiste frais, un cari de canard fumé pays, un civet de cerf pays au whisky et aussi notre prisé cari bichiques, signalés « selon saison » donc frais, quand il y en a. Dix-huit plats chinois sont proposés, qui suivent six snacks dont du calamar frit ou des beignets de songe, pour les amateurs.
Le menu métro quant à lui affiche également six entrées et pas moins de dix plats. Au programme : pâvé de biche, côte de bœuf grillée avec accompagnements variés. Calculette : 37 plats et 17 entrées, sans compter les desserts et les (chers) menus enfant. Beaucoup de choix donc, mais à moins qu’un bataillon ne séjourne en cuisine, le surgelé est de rigueur à tous les étages, menu du jour (peut-être) excepté.

Nous nous décidons pour une salade et un gratin de palmiste, suivis d’un Coq massalé et d’un pavé de saumon. Deux coktails sans alcool plus tard, les entrées sont servies.

P1100315La salade est fatiguée. En effet les morceaux de palmiste effilés présentent des traces brunes à leurs extrémités, et leur couleur n’est pas le blanc-crème éclatant qui est censé lui seoir. Au goût, rien de transcendant, la saveur lactée du cœur se serait mieux exprimée avec davantage de croquant, donc une découpe différente. Il faut arrêter de ne présenter que des filasses de palmiste sous prétexte que ça fait joli : on ne sent rien ! La vinaigrette, Dieu merci proposée à part, est à utiliser en mode homéopathique, vu sa dose d’acidité, si on veut sentir le palmiste. Mais il est vrai que certains préfèrent cette salade bien relevée. Autant dire que le produit devient alors un simple support pour mastiquer de la vinaigrette ! Nous terminons l’assiette, mais tout cela semble un peu expédié. 

P1100317Le gratin fait bien mieux. Bon équilibre entre la quantité de palmiste et la béchamel, un fromage qui nous dilate les narines mais ne s’impose pas en bouche, et le tout, jaune curcuma, ne manque pas d’épices. C’est presque à croire que l’affaire a été préparée dans un fond de cari qui n’est pas sans rappeler, par certains côtés, la cuisine des cousins mauriciens, avec leur curry entêtant. Cela donne un gratin créole de caractère, très enlevé, que nous avons exterminé avec plaisir.

P1100321Le coq massalé est bon dans l’ensemble. La viande est assaisonnée d’un massalé équilibré, goûteux, complexe, et pas trop agressif, qui laisse le caloupilé s’exprimer, à tel point que ce dernier nous chante dans les sinus son refrain fumé et piquant. Tout cela est bien mis en valeur par une jolie sauce épaisse, au fond d’huile discret, et par un sel qui n’est pas très loin de prendre ses aises, mais qui reste juste en deça de la ligne rouge. Dommage en revanche que le gallinacé n’ait pas fréquenté de basse-cour créole digne de ce nom. Il n’a pas le sang bleu, palsembleu. Sa chair présente en effet l’avachissement ordinaire des viandes de batterie. Frais, il l’était sans doute, comme indiqué sur la carte (peut-on espérer) mais son goût typique est aux abonnés absents tant est si bien qu’on pourrait douter de son yang. 

P1100319Le poisson a davantage d’envergure. La chair rosée du saumon nous lance ses puissants atours gustatifs avec une certaine longueur en bouche qui se termine sur des notes grillées. Le beurre au baies roses nous semble presque trop velléitaire dans son besoin d’exister, au détriment des saveurs de la belle chair du saumon. Les accompagnements sont corrects, mais un peu bavards en sel surtout dans la la tomate. Le riz safrané, façon pilaf, répond en écho au gratin de palmiste, avec des revendications indiennes sous-jacentes. Il accompagne bien le saumon. Pas grand chose à dire sur le riz servi avec le coq, en grains longs indépendants, mais mention spéciale pour les haricots blancs crémeux, très parfumés, avec un velouté qui n’est pas sans rappeler la surface des dhall. Le rougail tomate est pareillement ensoleillé. On retrouve le bon goût de tomate au pilon, avec un piment présent mais respectueux, le tout laissant cette sympathique petite acidité sur la langue qui appelle d’autres cuillérées. 
Nous prenons le dessert par pure conscience professionnelle. Deux tranches de gâteau tison avec quelques morceaux de papayes épars. Une petite crème anglaise ou une chantilly auraient été les bienvenus en accompagnement, signant une once de dressage de bon aloi, mais fort malheureusement inexistant aujourd’hui. Tarif pour deux apéritifs, deux entrées, deux plats, deux desserts, deux verres de vin, et deux cafés : plus de 90 euros. Soit la totale à 45 euros par tête. Un tarif peut-être acceptable quand la qualité est au rendez-vous du début à la fin, ce qui ne fut pas forcément le cas. Cher donc. 
P1100324Et c’est bien le dressage général qui pèche en premier lieu. Dans un cadre comme celui-ci, et avec des tarifs tels que ceux-là, on est en droit d’attendre des assiettes plus jolies à l’œil. Il faut bien le dire : c’est basique. Le service, pour sa part, a fait un vrai bon en avant. Mais attention quand même à vérifier la vaisselle quand on la pose sur la table : le pichet d’eau ébréché, c’est moyen. Enfin, la qualité de la cuisine a quelque peu progressé, dirions-nous. Mais bien trop timidement. La faute sans doute au sempiternel (mauvais ?) choix stratégique de vouloir proposer pléthore de plats, et de céder un peu trop aux exigences de rentabilité. Dommage, car il y a largement matière à faire mieux, beaucoup mieux. Considérant la qualité globale satisfaisante, bien qu’encore insuffisante, nous décernons au Franciscéa une fourchette en argent d’encouragement.

Fourchettes

Pour résumer : 

Accueil: Très bien • Cadre : bien • Présentation des plats: aucune
Service: bien • Qualité des plats: bons • Rapport qualité-prix: correct.
Impression globale : bonne table
Fourchette en argent