Le Relais des Cimes tient bon

A dire vrai, nous ne devions pas aller au « Relais des Cimes », mais chez son voisin « La Villa Marthe », histoire de lui donner une deuxième chance pour cause de cabri massalé fadasse. Ce sera pour plus tard, cette table guillerettement disposée dans un beau jardin créole mérite mieux qu’une critique mi-figue mi-raisin, nous voulons y croire. Nous avons en effet été arrêtés dans notre élan quand la serveuse du « Relais » est venue poser le menu devant l’entrée du restaurant, un menu alléchant.

Le gratin de chouchou et le boudin créole sont toujours là, depuis notre dernière visite en 2015. Romazava au bœuf, vindaye, poulet au lait de coco, rougail zandouille et civet zourite suivent, avec l’incontournable truite locale. Nous prenons donc cette tangente pour faire confiance à notre nez, pour ne pas dire nos sinus.
L’intérieur est toujours aussi propret, et presque désert. Nous sommes accueillis poliment, mais le « placez vous où vous voulez » est peu raccord avec le cachet de l’endroit, même si on a le choix des tables covidement espacées. Ce genre d’accueil est bon pour les boui-bouis, restons classe tout de même. Un punch coco vient nous rafraîchir les gencives. Bien épais, avec les miettes de noix râpée et tout. Très bon. Nous nous décidons pour le boudin d’abord, et pour le romazava ensuite. On nous propose de l’eau, puis la commande fuse en cuisine, l’attente est assez courte.

Le boudin est servi bien chaud, avec sa salade de cresson, et trois tranches de pommes au four. Du boudin et du cresson du cirque. Le premier n’est pas trop compact, mais légèrement sec en bouche, et ses oignons verts et persil ne sont pas assez nombreux pour en relever la saveur. Le sel seul ne suffit pas à rendre la charcuterie intéressante, ni même la chaleur persistante du piment, au point en tout cas d’en jeter des « mmmh » de satisfaction. La pomme lui arrange un peu le sang, avec douceur, et l’affaire passe sans trop de difficulté. Le cresson est frais, et apporte sa force typique. Nous n’aurions pas dit non pour brouter quelques touffes supplémentaires.

Le plat principal arrive, dressé, avec le bol de cari dans l’assiette. Ce n’est pas forcément heureux, mais c’est peut-être plus facile à servir ainsi.
Les quantités sont assez généreuses, bien que notre front se barre d’une ride en voyant le riz grain long. Va-t-on encore chercher les grains derrière les dents comme un chien de berger court derrière des brebis folles ?
Deuxième ride pour le rougail… ananas !
Avec un romazava, vraiment ? Nous collons le riz avec les haricots. Au pied. Pas bougé. Puis nous l’humectons de l’abondant bouillon du plat malgache, avec une belle cuillérée de brèdes Mafane. Têter sa cuillère à soupe avec un gros bruit de suscion est très mal poli, mais nous nous retrouvons seul un moment, alors pourquoi pas. Les goutteurs font ça non ? Les effluves tourbés de fond de ravine qui nous montaient au nez envahissent la cavité bucale, explosent, puis le bouillon dégluti nous fouette les papilles d’une délicieuse astringence qui nous picotte la langue. ça y est, nos lèvres tremblent. Un tremblement tout de même modéré. Ces « Acmella oleracea » semblent peu chargées en ces principes actifs qui, en dehors de vous électriser les lèvres, seraient propices à l’endormissement. Il est vrai que nous avons détecté peu de fleurs, qui les concentrent davantage. Le bœuf lui même est moelleux, et assez fort en goût, comme on peut le rencontrer habituellement dans un bon « roumazave ».

Nous essayons d’y incorporer le rougail d’ananas, et finalement, le mélange est intéressant, sans aller jusqu’à dire que nous aimons ça. Les inconditionnels du Victoria même sur les pizzas apprécieront certainement.
Les haricots sont très bons. Parfumés et veloutés, ils ont tenu le riz comme demandé, mais ne peuvent pas faire grand chose de plus. Ce type de riz est inadapté à notre cuisine, et que les fashion-victimes du basmati à toutes les sauces aillent rouler sur la highway…
La petite salade de crudité, qu’on aurait pu confondre avec une décoration si elle n’affichait une lichette d’assaisonnement, est tout à fait inutile à notre sens.

Trois profiterolles terminent le repas. Bonne glace vanille, bon chocolat chaud, mais choux déjà datés, à ce qu’il semble.
Qu’importe, cela descend pas trop mal. Addition : 33,90 euros pour un punch, une entrée, un plat et un dessert. Le rapport qualité-prix est relativement satisfaisant. On a vu largement pire, mais on a vu mieux aussi.

Point n’est besoin de secouer le cocotier, la qualité du restaurant du Relais des Cimes se maintient. Nous sommes toujours dans la banlieue du très bon, tout en étant protégés du « tout-venant » du périphérique, pour continuer dans la métaphore routière.
Nous notons un effort supplémentaire dans la présentation de certains plats, à l’ardoise. La cuisine, sans être très originale, a le mérite de respecter suffisamment la tradition pour contenter le Réunionnais connaisseur et pas trop maniaque, au terme d’une ballade aux ruines des thermes. Pour bien faire, si c’était possible, il faudrait aller prendre l’apéritif à la Villa Marthe, qui réalise un cocktail à base de rose à se rouler par terre, puis revenir manger au Relais, pour retourner déguster le dessert à la Villa, où il a quelque chance d’être plus original et plus goûteux !
Les cuistots de « La Villa » auraient des leçons à prendre du chef du « Relais », en échange d’utiles suggestions de présentation, et de recettes de desserts « tendances ».
Et si les deux ne vous satisfont pas encore, essayez « Le Gouleo », sur la droite juste après la boutique de souvenirs. Ce sera une prochaine visite.

Chez Alice

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Nous voilà de retour dans le Bourg du gouverneur Hell, classé parmi les plus beaux villages de France, pour mettre (de nouveau) les pieds sous la table de Chez Alice. Notre dernière visite date de juin 2012, le restaurant avait obtenu une fourchette en argent de justesse. Il est grand temps de faire une mise à jour de fourchette.

Le restaurant n’a pas bougé de la rue des Sangliers, accueillant, avec son ambiance chalet, les fenêtres à carreaux, les tables et chaises en bois, et la soixantaine de couverts sur nappe de la salle principale, sans compter les quelques tables à l’extérieur, proche de l’entrée, au milieu des plantes. Tout est est propre, seuls les sets de table estampillés à la marque du brasseur historique mériteraient de prendre leur retraite. Si le brasseur nous lit… 

La carte propose toujours des plats créoles classiques, au nombre de dix, dont le plus original est le porc à l’ananas. Pour changer des caris, entrecôte, magret de canard, omelette et truites sont les autres choix possibles. Une carte à rallonge, comme avant… Le menu du jour, quant à lui, est affiché à 22 euros, entrée, plat et dessert. Nous y piochons un cari de porc pomme de terre et une truite à la sauce cresson, accompagnée au choix de frites, légumes et/ou riz. Nous laissons le riz.

Un ti punch savoureux avec tranche de citron vert nous réveille les papilles.

IMG_5613Nous entamons le repas avec un gratin de chouchou, quasi obligatoire dans le cirque. Nonobstant le fait de sacrifier à une tradition culinaire, le but est aussi de comparer avec le gratin que nous goûtâmes en 2012. Ce dernier était une exposition du chouchou en compétition de natation, dans son propre jus, avec une béchamel misérable. Ce gratin-ci est plus présentable. Un sel bien dosé donne l’opportunité au chouchou qui résiste de prouver qu’il existe, tout emberlificoté d’une béchamel plus épaisse que la fois précédente, avec un fromage assez sage pour préserver la saveur délicate de la christophine. Les gratins sont sifflés. Les plats suivent.

IMG_5615Le cari de porc est mangeable. Les morceaux suintent comme il faut des odeurs d’épices de la marmite, qui peinent quand même à masquer cet arrière goût connu, un peu fort, des morceaux de cochon claustrophobe où refluent des relents d’enclos sale. La viande, souple, a quand même la politesse de comporter assez de gras pour donner au cari une tournure gourmande sans tomber dans l’excès.  Les morceaux de pomme de terre sont légèrement trop cuits (et trop gros) à notre goût, avec une pellicule farineuse heureusement limitée.

IMG_5621La truite débarque accompagnée de frites et de légumes, pour changer du riz. Le poisson est enduit de la sauce au cresson, mais les légumes trempent dans une autre sauce de couleur foncée. Qu’est-ce donc ?  Il s’avère que nous avons là quelques légumes sautés, encore croquants, comme rescapés d’un karay à shop-suey. Effectivement, la sauce épaisse, tirant sur le gluant, donne dans les parfums chinois.  En soi, les légumes sont plutôt bons, mais la sauce puissante oblitère totalement celle au cresson qui accompagne la truite. Nous nous attendions simplement à un sauté de légume standard, quitte à ce qu’ils trempent dans la même sauce que le poisson. Voilà un mélange des genres étrange. D’ordinaire nous ne sommes pas contre les innovations, mais ici on tombe un peu dans le n’importe quoi. La truite, pour sa part, dégustée tel quel, est assez bonne. La chair fondante est dépourvue de tout relent de vase comme c’est parfois le cas, et se marie bien avec la sauce au cresson, bien que celle-ci manque de punch. 

Le riz, grain long, qui accompagne de cari de porc, est convenablement cuit. Les grains blancs sont parfaits. Le rougail tomate quelconque et la sauce de piments écrasés, qui ont passablement confit, sont trop salés.

Les desserts consistent en une part de gâteau au coco et une glace vanille accompagnée de rhum et raisin secs. Le gâteau est aérien, léger et parfumé. Pas de sucre surnuméraire pour venir tuer le coco comme un Bounty. La glace est succulente, toute réveillée de la claque de l’alcool et des raisins. L’addition se monte à 54,60 euros pour deux menus, deux boissons et deux cafés « coulés ». Le rapport qualité prix est perfectible.

Peut-être avons nous mal choisi notre plat. Comment aurions nous pu nous douter qu’un shop-suey de légumes accompagnerait la truite. Nous qui pensions nous délecter du poisson avec des saveurs subtiles, travaillées et toute en nuances qui l’auraient magnifié. Toutes nos illusions sont détruites.  Heureusement que le reste tient à peu près la route, mais nous nous laissons dire, encore une fois, qu’il faudrait abandonner ce vieux concept antédiluvien de la carte à rallonge pour retrouver des plats plus aboutis et mieux travaillés, tels que les touristes sont en droit d’attendre. Pourquoi continuer à proposer quotidiennement la même longue liste de caris cuisinés à la chaîne ? Par tradition ? La tradition est indispensable, mais il convient de la garder intacte dans le goût, pas dans le nombre de plats. La qualité d’abord.  Nous partons de Chez Alice avec un sentiment mitigé. La cuisine y est banale, sans éclats. On attend davantage de ce genre d’établissement, qui est en première ligne du tourisme réunionnais, surtout dans le petit paradis  d’Hell-Bourg. Il faut se réveiller. La fourchette en inox s’impose.

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Finox
Pour résumer. 
Accueil : moyen • Cadre : très bien • Présentation des plats : très moyen
• Service : bien • Qualité des plats : moyen • Rapport qualité-prix : perfectibleImpression globale : table moyenne

Fourchette en inox

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Le Relais des cimes

P1000268En tout début de cette année, nous avions testé le Ptit Chouchou, à Hell Bourg. Aujourd’hui, c’est un autre restaurant de ce charmant village du cirque de Salazie que nous visitons : celui du Relais des Cimes, seul hôtel de Hell-Bourg depuis des lustres, en attendant la résurrection de feu l’hôtel des Salazes, qui est l’arlésienne en cours dans le paysage touristique de l’Est.

Nous mettons les pieds sous une table propre et bien dressée, dans une belle salle à la décoration sobre très accueillante. Sourire de bienvenue et accueil professionnel, le personnel est aux petits soins.
Tout en dégustant un cocktail de fruits frais, largement ananassé, nous compulsons la très riche carte composées des grands classiques de la cuisine créole, mais aussi de plats moins ordinaires, qui proposent des produits du terroir local, comme la « Truite grillée sauce cresson » ou « truite à la vanille flambée au rhum », ou la « pintade rôtie aux pêches et goyavier ». Un « romazava » et un « ravin’toto » se joignent à la compagnie, chose assez rare. Dans nos pérégrinations, nous n’avons vu ce premier plat qu’à la carte du Roland Garros à Saint-Denis. Mais nous nous laisserons plutôt tenter par un bon vieux cari la patte cochon et un rougail zandouille. Le dernier que nous ayons dégusté, au Jardin des Délices au Baril, était fameux. Voyons si celui-ci fait mieux.
Auparavant, goûtons voir à la « Salade Salazienne », de cresson et de foie de volaille, et un incontournable du cirque : le gratin de chouchou.

Le cresson est jeune et croquant, tout frais, il sent presque la rosée. Une fraîcheur exhalée avec sa saveur inimitable, et à la force raisonnable, qui n’éteint aucunement le beau fumet du velouté foie de volaille. Le mariage des deux produits est connu et apprécié des brouteurs de cresson dont nous sommes.
Le gratin quant à lui est conforme aux canons du genre. Le fromage fondu délivre un sel ajusté dans une béchamel présente mais non envahissante qui laisse s’exprimer le roi chouchou. Ce dernier est fondant, parfumé, délicat, magnifique.

Les assiettes sont débarrassées rapidement, et les plats de résistance les remplacent.

La patte cochon présente bien. Bien cuite, peau et chair se détachent facilement des gros os et se mélangent agréablement en bouche, enrobées d’une sauce au gras maîtrisé. En revanche nous trouvons l’affaire un peu pâlotte à la vue. Et les sensations gustatives aussi. Ça manque d’épices. Nous aurions souhaité un ail moins timide, par exemple. Rien de rédhibitoire pour autant puisque le plat est sifflé.

L’andouille est allongée en tranches d’un peu moins d’un centimètre, et nous emballe d’entrée par ses effluves poivrées. A vue de nez, il y a parité entre la viande et le gras. Une viande parfaite, qui ne laisse pas de filasses sous la dent, et des morceaux de gras expressifs mais qui ne jouent pas les dictateurs. Le tout emballé dans une belle sauce de tomates mûres. Le plat est excellent. La charcuterie a bénéficié d’une préparation étudiée qui l’a débarrassée de son sel surnuméraire et en a laissé juste assez pour soutenir sa saveur musquée.

Les plats repartent vides, laissant notre contentement plein.

Il reste une petite place pour le dessert. Un gâteau de patate douce à la vanille. Ce sera la vraie déception du repas. Non pas tant à cause du goût mais plutôt de la texture. Une fois de plus, les bouchées sont denses et lourdes, et ce n’est pas le petit flanc chocolaté en accompagnement qui y change quoi que ce soit. Le dessert aurait mérité un peu plus de préparation et de présentation, et c’est bien celle-ci qui a péché tout du long. Rien n’est fait pour habiller les plats et les rendre agréables à l’œil. La présentation basique des caris, dans un restaurant comme celui-là, ne devrait plus être la norme. Sans aller jusqu’à transformer les plats en œuvre d’art, quelques petites touches de décoration ne seraient pas de trop, comme par exemple un léger habillage de l’assiette, tel que nous l’avons vu la semaine dernière au « Ptit Zinc ».

Addition : une soixantaine d’euros pour deux personnes, tout compris. Le rapport qualité-prix est assez correct.

Le Relais des Cimes à Hell-Bourg a été mis en gérance par son propriétaire, mais en cuisine, c’est Gilbert Elisabeth qui œuvre. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il nous a régalé aujourd’hui. Même si certains détails sont à améliorer. Voilà de la bien belle cuisine créole, goûteuse, respectueuse de la tradition et aussi inventive avec des plats qui sortent de l’ordinaire. L’accueil et le service sont satisfaisants, en dépit de quelques petits écarts comme l’eau non proposée et oubliée.

Ce vieil établissement a donc encore de sérieux atouts et, culinairement en tout cas, représente bien notre île auprès des touristes. Tout cela lui vaut, aujourd’hui, une très belle fourchette en argent.

 
Pour résumer : 
Accueil : Très bien • Cadre : bien • Présentation des plats : aucune
Service : bien • Qualité des plats : très bons • Rapport qualité-prix : bon.
Impression globale : bonne table
Fourchette en argent

Le Ti’Chouchou

P1080073Aujourd’hui, par un temps plus qu’humide à ragaillardir une treille de chouchous, nous montons au bourg du gouverneur Hell, poser nos séants à la table du Ti chouchou, restaurant situé dans le carré touristique du village, où fleurissent les boutiques de souvenirs pour nos visiteurs d’outre-océan. L’établissement a ses quartiers depuis des lustres dans une case créole bien conservée et offre le confort honnête d’une salle décorée simplement, et d’une terrasse à l’arrière pour profiter du bon air, pour un total de plus de 70 couverts. Nous sommes accueillis poliment. Nous nous trouvons une table nous-même. Il est encore tôt.

A la carte, diverses formules s’articulent autour des plats du jour créoles, avec des entrées ou des assortiments de fritures diverses. Des « variantes » sont également au programme, comme des entrecôtes, un cari de grosses crevettes, et plusieurs accommodements de truites (meunière, au gingembre, à la crème de cresson).

Nous commandons le menu à 22 euros, assortiment créole inclus, avec un rougail boucané bringelles comme plat, plus un gratin de chouchou et  un cari de poulet, ainsi qu’un menu enfant.

Ce dernier arrive quasi immédiatement après les apéritifs (punch maison et cocktail de fruits frais, assez bons). Bonne surprise. En effet, le Ti chouchou peut vous arranger autre chose que le sempiternel steak haché – frites. Un « petit » rougail saucisse est ainsi servi, avec des saucisses pour le moins goûteuses, et nous attendons la suite avec impatience.

Nous aurions dû choisir les poissons. Toutes nos illusions seront détruites.

L’assortiment de créolités consiste en trois beignets, chouchou, capucine et cresson, avec un samoussa (pas deux, un !), un morceau de boudin et une salade de chouchou. Pas de surprise hélas concernant les beignets. à l’instar de bien d’autres dégustés ailleurs, les beignets ont beau porter des noms différents et comporter des ingrédients variés, ils ont tous le même goût de… pâte à beignets frite ! « C’est lequel le beignet au cresson ? », « Celui-là, il est vert ». « Ah d’accord… » Sans intérêt donc.

L’unique samoussa pour sa part fait d’autant plus regretter sa solitude qu’il est plutôt bon, quoique gras. Le boudin est pâteux et trop salé. Du comblage à la mie de pain. Seule la salade apporte de la fraîcheur à toute cette affaire, en gardant un peu de croquant et sa douce saveur de chouchou frais sous la pluie.

Passons au gratin. Le bon terme pour le décrire est « navrant ». De gros morceaux de chouchous qui ne datent pas de la dernière averse, vu la texture poisseuse et les poils, et qui se serrent dans le ramequin avec une misère de béchamel et trois tonnes de gruyère. Bref, les chouchous ont été livrés avec leurs vieux grains en robes, à la va-comme-je-te-pousse. On les finit quand même, comme on achève les chevaux.

Le cari de poulet, pour ce qui le concerne, est affligé d’anémie, en dépit de sa sauce curcumatée réglementaire. La vue seule l’annonçait, le coup de fourchette le confirme : la viande s’effiloche comme vieille feuille de brède par grand vent. Du bon vieux poulet de batterie congelé ! Compte tenu du handicap, en bouche, nous sommes à peine surpris par les saveurs en berne, même pas digne d’une barquette à 5€.

Le boucané bringelle est pire. Les morceaux de boucané coupés gros sont flasques et tellement cuits qu’on aurait de la peine à les différencier des pauvres bringelles qui les accompagnent, s’il ne livraient en bouche leur chair filandreuse. On pourrait presque manger le tout avec une paille, en faisant abstraction du goût éteint des bringelles mélangées au boucané bouilli. Ce cari est une honte.

Pour accompagner tout ça, quoi de mieux que des lentilles rares dans une sauce abondante, mais qui accomplit l’exploit d’être pas mauvaise, plus une version cubiste du rougail de tomates hachées au taille-haie, et du riz bas de gamme.

Nous terminons par une « bananette » flambée accompagnée d’une boule de glace à la mangue, pauvre satisfaction glycémique d’un repas sans relief. Addition : 60€ pour deux adultes et un enfant, tout compris. Très cher en regard de la qualité globale.

D’abord, nous nous sommes dit que nous étions mal disposés, en effet nos voisins ont eu l’air d’avoir apprécié leur repas. La clientèle nombreuse aussi d’ailleurs (à 90% métro). Mais les faits sont là. De notre point de vue, ce que nous avons mangé fut piteux. 

Comment peut-on proposer aux touristes des plats créoles de cette nature ? Où était notre bonne cuisine traditionnelle, réalisée avec des bons produits ? Les visiteurs de notre île qui auraient déjeuné ce jour des mêmes plats que nous seraient repartis avec une idée faussée de notre gastronomie. Sacrifier la qualité sur l’autel de la rentabilité n’est certes pas la meilleure façon de vendre notre belle île. 

L’établissement étant bien noté par ailleurs, nous espérons que c’est juste un « coup de mou ». Pour notre part, aujourd’hui, nous attribuons au Ti chouchou une généreuse fourchette en inox.

Pour résumer : 
Accueil : passable • Cadre : très bien • Présentation des plats : moyen
Service : très bien • Qualité des plats : médiocre
Impression globale : médiocre et cher
Fourchette en inox

Chez Alice

[Visite en juin 2012]

Aujourd’hui, nous voilà partis dans le cirque de Salazie, berceau des chouchous, des cascades, du pisse-en-l’air et des Sisahayes. Et c’est à Hell Bourg que nous nous arrêtons pour déjeuner. Entre les restaurants, les snacks et autres tables d’hôtes alentours, ce n’est pas le choix qui manque pour satisfaire un appétit aiguisé par l’air vivifiant de ce charmant petit village lové au creux d’une végétation luxuriante. Nous choisissons d’aller tester la table de Chez Alice, établissement connu de la place qui propose aussi des chambres.

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En passant, nous faisons connaissance avec le sieur Philippe, vendeur de légumes bon pied bon œil, qui se trouve avoir le verbe loquace en matière de chouchous ! «Comment ou aime mangé le chouchou ?»
« Ha ça ! Répond l’homme, Mi préfère le p’tit chouchou-cannette, bouilli, avec un ti grain d’sel, a là mon naffair ! Sinon vi peu mange a li avec sucre aussi. »
« Bon, et en plat ? »
« Ah, ben en daube ! Vi met in tit peu zoignon, l’ail, thym,sel, avec un peu de quatre-épices » (tiens, ça c’est original ! On va essayer!).

Après cette conversation avec Philippe, not’ bouche i fé d’l’eau. Alice, nous voici ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que le restaurant est agréable et confortable, divisé en deux grandes salles. Plantes vertes, bois, avec des tables aux napperons jaunes posent un décor accueillant.

La carte que l’on nous dépose présente les atouts touristiques du cirque, puis un menu à dix-neuf euros avec deux entrées et deux plats au choix. L’essentiel de l’offre à la carte est créole (du cari de poulet au civet de lapin en passant par le cari de poisson). Concernant les entrées : quatre salades, et trois préparations au chouchou : daube, tarte et gratin. Des samoussas et des bouchons, servis par quatre, sont aussi facturés comme des entrées, à 1,60euros ! Pas de petites économies chez Alice ! Des amuses-gueule ordinairement offerts ailleurs. Pour le prix ils auraient au moins pu faire attention à la présentation : le morceau de carambole est abîmé.

Notre choix est fait : ce sera gratin et daube de chouchou, puis cabri massalé et ti Jacques-boucané.

Le personnel s’active avec dextérité auprès des clients déjà arrivés. En attendant, nous sirotons un excellent jus de goyavier frais, qui sent encore la rosée du matin, et un « ti-punch » bien citronné qui nous rince les gencives avec modération, tutti et quanti.

Les entrées débarquent, et le bal commence…mal. La daube de chouchou, présentée à l’assiette avec quelques crudités qui font pitié est parfaitement quelconque. Nous avions pourtant levé un sourcil de satisfaction à la première bouchée, le morceau était frais et parfumé. C’était bien le seul. Les autres, coupés gros, sont un peu farineux… et sans autre saveur que celle de l’ail, et du persil haché dessus. L’ensemble est convenable mais nous nous attendions à beaucoup mieux.

Le gratin, pour sa part, est une catastrophe. C’était pas son jour il faut croire. Les morceaux de chouchous nagent le cent mètres dos dans de la flotte parsemée de béchamel sans goût. Le fromage lui-même est d’une pâleur de tuberculeux. La vague saveur de gratin est quasiment fantomatique. Y’a de la fourchette en inox dans l’air. Nous prions pour que la suite soit plus à la hauteur. Et les petites marmites arrivent (présentation pratique mais qui ne font plus s’extasier que les touristes tout frais).

Nous attaquons le cabri massalé. Première impression : nous sommes bien loin du cabri massalé pur malbar, celui qui transforme votre palais en piste de danse des épices, qui vous envahit les sinus du parfum de coriandre, de cumin, de graine de moutarde mélangées et qui vous arrachent des larmes qui sentent le piment. Non. Ici nous avons droit à la partition sage d’un massalé furtif, mais qui a gardé quand même assez de goût pour mériter son nom. Détail : une feuille de quatre-épices flotte dans l’abondante sauce en compagnie de rares feuilles de caloupilé. On repense à l’ami Philippe et sa recette. La viande est bien tendre, mais ils auraient dû nous fournir un égouttoir pour l’attraper dans la marmite ! Au final, le cari s’avère plutôt bon, mais pas extraordinaire.

Le Ti’jacques boucané arrive comme la cavalerie, John Wayne en tête, pour sauver la veuve gratin et l’orphelin massalé !

Comment dire ? Au premier humage, nous comprenons tout de suite que le plat est de haut niveau.

Notez que nous avion précisé vouloir déguster un Ti-jacques boucané et pas un boucané Ti-jacques ! On veut manger du Ti-Jacques, du vrai, du cueilli au tronc de l’arbre, du battu à la main par grand-mère avec sa bouteille d’huile de tournesol à côté « à cause de la colle ». Et là, les amis, on en a (enfin) eu pour notre argent. Les fines lamelles du fruit sont gouteuses, avec un léger arôme fumé, et fondent sous la dent. Le tout est sec comme un cari bichique, et pourtant juste assez gras pour glisser sous la langue et vous procurer un frisson de plaisir, tant et si bien que nous apprécions la dernière bouchée sans riz, « tel », en remerciant le ciel d’avoir exaucé notre prière.

La suite se résume à une tarte au coco, correcte, et accompagnée de fruits dont un quart de goyave rouge. Fin du bal : l’addition s’élève à 43 euros, hors boissons, pour deux personnes.

On n’est pas passé loin de la catastrophe chez Alice, victime, sans doute du « syndrome du touriste couillon » (l’étranger ignorant qui trouve un plat bon, quand le créole du terroir jugera le même plat moyen, parce qu’il a la culture et l’expérience nécessaires), syndrome dans lequel sont plongés jusqu’au cou nombre de restaurants ayant pignon sur rue, dont certains ont été testés ici il n’y a pas longtemps. Pas facile de recevoir tout ce monde et de garder la qualité et l’authenticité créole au fond de sa marmite. Même si certains nous trouvent un peu « durs » dans cette rubrique, nous restons conscients que le métier de restaurateur n’est pas de tout repos, quand on veut le faire bien, et avec passion. Il peut y avoir des couacs. Aujourd’hui l’excellent Ti-jacques boucané de chez Alice l’a sauvé de la fourchette en inox. Ce sera donc une fourchette en argent, pour ce sympathique restaurant de Hell Bourg.

Pour résumer : 
Accueil : bien • Cadre : très bien • Présentation des plats : bien
Service : très bien • Qualité des plats : moyens/bons
Notre impression globale : bonne table
Fourchette en argent