
Aujourd’hui nous prenons la direction de la cité portuaire pour manger à La Caz. Sise rue Evariste de Parny, au 51, le restaurant est caché au fond d’une petite allée verdoyante et fleurie où l’on entre par un portillon garni des panneaux réglementaires (licences, moyens de paiement acceptés, etc.) plus deux autocollants du Petit Futé, datant de cette année et de 2012. Nous pénétrons dans l’antre par l’odeur alléchée, qui vient nous tournebouler avant que midi eût sonné.
Accueil souriant, alors que la salle est encore déserte. Nous nous installons et admirons. C’est coquet. Quelques objets anciens et des tableaux en guise de décoration, avec deux pathéphones qui n’attendent plus que leurs toutous, le faux plafond traditionnel et les lambrequins signent l’ambiance créole chic avec les tables tirées à quatre épingles.
Ici, point de carte, mais des plats du jour. Trois entrées et trois plats au choix pour nous : boudin créole, rillettes de thon, courgettes au basilic, puis romazava, vindaye d’espadon et steak de thon mi-cuit. Plus un cari la patte surprise. Va pour la patte cochon et le « roumazav », plus les rillettes et le boudin.
Avant d’embrayer sur la dégustation, un mot sur le service : impeccable du début à la fin. Amabilité, courtoisie, discrétion, suggestions… si on se souvient des règles que nous avons énumérées lors de notre dossier sur les arts de la table, avec les bons soins du lycée de la Renaissance, tout y est !
Rillettes et boudins sont dressés sur un lit de mesclun frais légèrement assaisonné, qui apporte tout de suite une note de primeur aux entrées. Les rillettes sont de thon et dans le ton, rafraîchissantes, mais salées comme la Mer Morte. Le boudin, pour sa part, est sans intérêt notable. Du boudin « la mie » standard, pimenté al dente pour le créole moyen, au goût passable.
Ça ne traîne pas, les entrées sortent, les plats arrivent, accompagnés de lentilles bien en crème à la bonne odeur de roussi, et de deux rougails, courgettes et tomates, correctement pimentés et pas trop salés (ouf!). Le riz est servi en quantité raisonnable, mais on viendra nous proposer du rab, quand on vous disait que le service est impeccable.
Offensive sur la patte cochon. Question viande, nous n’avons pas de chance : un seul morceau est digne d’intérêt, pour le reste, la peau et les os mais rien à dire. A la vue comme à l’odeur, déjà, c’est le genre de cari qu’on respecte, celui qui faisait soulever les chapeaux des messieurs saluant les bonnes cuisinières, dan tan lontan. Luisant, couleur or, avec une sauce réduite bien épicée, notre cari nous emballe le palais, avec sa peau glissante et souple aux humeurs lointaines de poivre et de thym, que vient équilibrer le rougail tomate avec sa petite claque acide. Plus le petit clin d’œil du persil, au hasard d’une canine.
Nous passons à l’abordage du romazava. Ce plat, assez rare dans les restaurants créoles, apparaît de temps à autre au menu du jour de quelques brasseries dionysiennes, dont celle au nom de l’aviateur moustachu né sous nos cieux. Quelle ne fut pas notre agréable surprise de le voir arriver, tout baignant dans sa sauce. Le plat, pas l’aviateur voyons ! L’odeur, déjà, nous fait voyager vers le pays des ravenales. C’est parti ! Première bouchée bien en sauce et les brèdes mafanes nous ratiboisent la glotte, nous carwashent les gencives, nous émoustillent les amygdales, nous électrisent les « lewres », nous profilaxent le glou et nous révolutionne les émonctoires.
Qu’est-ce qu’il fait chaud tout d’un coup ! L’acidité parfumée de la sauce, couplée au piment des rougails vient de nous envoyer un grand coup de tatane dans les glandes salivaires, pourtant déjà réveillées. Mais pas besoin de ça pour apprécier les morceaux de bœuf, gras juste ce qu’il faut, fondants, au goût charpenté, parfaitement à leur aise avec les feuilles de brèdes mafane effilochées. Oui, ça nous fait ça, le romazava. Et pour en avoir consommé des litres, nous pouvons juste déplorer une sauce pas assez abondante à notre goût, et peut-être un chouïa trop de sel, là aussi.
Repos. « Vous voulez des desserts ? » nous demande la serveuse. C’est pas raisonnable mais oui on en veut. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour nos lecteurs !
Ce sera tarte tatin à la papaye et gâteau patate. La tarte est bonne, mais nous sommes un peu déçus. Les fines lamelles de papaye confites sont un peu éteintes au niveau goût. Nous eussions préféré de loin des tranches plus épaisses et plus sucrées, tant qu’à faire. Le gâteau patate est en revanche une bonne surprise. La présentation originale rappelle un fondant. À des années lumières du gâteau-comblage que nous nous fîmes servir par ailleurs, la pâtisserie est ici souple, toute molle dedans et à la vanille riante.
Bilan de l’opération : 50 euros pour deux personnes, sans les boissons. Étant donné la qualité globale, le cadre et le service, autant dire correct.
Treize heure aux horloges et la salle est presque pleine. Nous repartons repus. C’est le moins que l’on puisse dire. Dans son cadre charmant et ses dentelles, cachée de la rue comme une demoiselle effarouchée, La Caz cultive avec soin sa pudeur et son intimité, en vous faisant profiter de sa bonne cuisine traditionnelle. Si nous avons eu un peu maille à partir avec le sel, l’ensemble des plats de ce jour reflète une bonne maîtrise de notre gastronomie et de celle des îles de l’océan Indien, avec le respect des saveurs authentiques, le tout dans une certaine simplicité. Une bonne raison pour attribuer à La Caz une belle fourchette en argent avec recommandation de l’équipe.
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