Aujourd’hui nous revenons au restaurant « Le Rendez-vous », 5 ans plus tard, « déjà » oui. Ce dernier avait à cette époque récolté une bien insignifiante fourchette en inox pour l’ensemble de son œuvre du jour. Il était temps de faire une mise à jour.

Les lieux n’ont guère changé. Toujours les mêmes locaux qui, de l’extérieur, se fondent parfaitement dans le paysage industriel de la cité portoise étant fait en modules type Algeco, avec le parquet qui ondule. Nous prions les saint patrons de toutes les corporations des métiers de bouche qu’il n’en soit pas de même pour le contenu des assiettes. L’accueil, pour sa part, reste aimable et professionnel. Nous nous installons, commandons les boissons, puis la patronne nous présente le menu du jour. Celui-ci est riche. 9 entrées, 17 plats de cuisine réunionnaise (à tel point que la place manque même sur l’ardoise pour les écrire), 6 plats plus « métros » et deux formules dont une végétarienne. C’est considérable, et pas fait pour nous rassurer. Pourquoi tout ça ? Ratisser large ? Contenter tout le monde ? Cette stratégie ne laisse pas de nous interroger.


Nous demandons la salade de palmiste et quelques fritures créoles pour commencer. La salade est fraîche et croquante, avec un assaisonnement correct. Le goût du palmiste a tenté de survivre. L’œuf mimosa proposé par-dessus est délicieux. Les samoussas sont bons mais maigrement remplis. Les accras de morue aussi, concernant la morue, mais ils se défendent beaucoup mieux.
Nous demandons le rougail graton, qui, dans le tas, a le mérite d’être peu courant, et le rougail chevaquine, que l’on rencontre presque aussi rarement. Le sempiternel rougail saucisses pourrait sauter, le boucané bringelle itou, et aussi la sauce sardine par exemple, pour faire de l’air, quitte a revenir le lendemain à la place d’autres plats.
La salle se remplit au fur et à mesure. L’intérieur est plus sympathique que l’extérieur en tout cas.

Deux bonbons piments font figure d’amuse-bouche. Ceux-là ne renient pas leurs origines malbar, bien au contraire. Ils le crient sur tous les toits. L’explosion de cumin, curcuma, cotomili, avec une chaleur pimentée largement supportable mais bien présente nous passe les papilles à l’essorage. Mangez une dizaine de ces choses et c’est sûr, le cumin vous sort par les aisselles pour embaumer vos collègues tout l’après-midi. En ce qui nous concerne, on adore ça.

Le rougail graton est « fait à la minute », nous informe la patronne. Tant mieux. La couleur est déjà prometteuse. Un beau rouge, sur l’orange-marron du graton, qui fait son effet. En bouche, la sauce épaisse et délicieusement épicée emballe le riz comme il faut. Ce dernier en a bien besoin : les grains, cuits mais un peu durs, refluent cette typique odeur de renfermé des riz standards, fussent-ils même basmati. Le graton lui-même donne dans le croustillant d’abord, dans le moelleux ensuite et envoie sans rechigner ses belles saveurs de cochon grillé, avec un dosage de sel en équilibre parfait et les notes douces de la sauce. Une merveille. Le rougail est proprement ratiboisé.

Les chevaquines sont encore un peu « humides » à notre goût, mais leur saveur inimitable, mélange de transpiration musquée sur un coup de chaud musclé, et d’un côté sauvage d’eaux vives, ne déçoit pas. La mâche croustille également, à sa manière, et la sauce très réussie vient maîtriser les élans brut de décoffrage des minuscules crustacés. Ces derniers font en revanche moins bien le travail que le graton avec ce riz-ci, qui n’absorbe pas ce côté humide pour laisser l’assaisonnement s’exprimer pleinement.
Les lentilles sont assez crémeuses, et très parfumées. Cela change de certains endroit où l’on les voit régulièrement nager la brasse coulée dans la flotte. Trois rougails piment sont proposés : un rougail dakatine parfait, une sauce citron oignon éclatante, et un piment vert « krasé » qui a en même temps le bonheur d’être mélangé aux chevaquines directement, pour leur donner une claque. Alors là bravo. Le choix est ainsi permis et les associations certainement plus intéressantes.

Le repas a commencé malbar, il se termine indien. Nous demandons le crémeux de patate douce à la cardamome, tiède, accompagné d’une boule de glace vanille. L’association de texture et le contraste de température sont intéressants. Nos craintes d’une cardamome gustativement expansive se révèlent infondées. Elle est présente, mais ne joue pas les gros bras pour autant. La patate n’en acquiers que davantage de patate ! A tel point que la glace vanille (notre choix) est quand même un peu éteinte. Si vous avez l’occasion de commander ce dessert, préférez un autre parfum, plus fort.
Deux boissons, deux entrées, deux plats, un dessert et deux cafés dont un accompagné de cannelés, addition : 95,50 euros pour deux personnes, soit 47 euros et des poussières par tête. Le rapport qualité prix est perfectible.
Ce retour au restaurant le Rendez-vous est une bonne surprise. 5 ans plus tard, les plats dégustés sont clairement plus conformes à ce que l’on est en droit d’attendre d’une cuisine réunionnaise de qualité. Mais quelques détails, et non des moindres, restent à peaufiner selon nous, en commençant par un choix plus judicieux du riz. Ce dernier doit être plus gourmand, offrir une meilleure mâche, mieux absorber les sauces, si tant est que le choix des riz disponibles sur le marché pour les pros le permette bien entendu. Des chevaquines un peu plus grillées et moins humides auraient donné pleinement leur potentiel. Enfin, une bonne cure d’amaigrissement du menu serait salutaire. Un menu resserré évite d’abord de solliciter les chambres froides plus que de raison, en privilégiant une cuisine du jour et des produits frais, voire ultra frais. L’excellent rougail graton en est le parfait exemple. Cela permet aussi au chef de s’investir sur des plats plus travaillés, plus aboutis. Si aujourd’hui le repas fut très correct, il pourrait être encore meilleur, et ainsi mieux faire passer l’addition.