L’Ichtus, le Sud sauvage débarque à Saint-Pierre

Le Vieux Port, Le Warren Hastings, puis, aujourd’hui L’Ichtus, la famille Dalleau a de la suite dans les idées en reprenant cet établissement de Saint-Pierre, avec les recettes qui ont fait sa réputation à Saint-Philippe.

“Ichtus”, kwé ksé encore ce zafer là ? Il s’agit d’un poisson et Jerôme Dalleau ne le sait peut-être pas (car il nous l’aurait dit), mais ce poiscaille-ci est très spécial. Il s’agit du signe de reconnaissance des premiers chrétiens. “Pour
l’instant on garde cette enseigne, plus tard on verra si on la change”, déclare le chef du tout nouveau restaurant
de cuisine réunionnaise installé à Saint-Pierre, remettant le compteur au chi!re a »ché avant le départ de l’Entracte vers les cieux petite-îlois, dont nous nous sommes fait l’écho dernièrement lors d’une critique. Le restaurant installé à l’angle des rues Désiré Barquisseau et du Four à Chaux est caractérisé par son flamboyant posé au milieu de la salle. L’ambiance est assez zen, avec un côté un peu méditerranéen qui devait correspondre à l’ancienne identité. Au menu du jour, nous retrouvons des plats qui fleurent bon la tradition culinaire péi et aussi les embruns entre le Baril et Mare-Longue, les Dalleau ayant tenu le Warren Hastings, certifié fourchette d’or l’année dernière dans le guide jaune.

Nous goûtons une morue au chou de vacoa et un rougail zandouille. Impossible de ne pas entamer le repas avec une salade de palmiste. La salade offre du croquant, encore que nous préférons une découpe en biseau du chou, et l’assaisonnement reste équilibré, même s’il est plus sage de le proposer à part pour que chacun puisse le doser à sa convenance, mais le mélange est sans doute plus compliqué sur la planche en ardoise. Cette dernière est proprement effacée quand les caris rappliquent.

L’andouille du rougail dégage une belle odeur poivrée, est sagement musquée, pour ne pas indisposer les palais délicats qui, de nos jours, se refusent aux saveurs franches qui font pourtant les bonnes charcutailles. Dans la balance gras-maigre, le plateau du gras est légèrement plus lourd, mais pas au point de devenir dérangeant. Au contraire. Renseignement pris, l’andouille a été confectionnée dans une charcuterie très connue
du Sud, laquelle approvisionne par ailleurs bien d’autres restaurants du secteur.

La morue au chou de vacoa, comparativement, est plus “light”. Mais pas moins goûteuse. La salaison a perdu son sel superfétatoire tout en gardant sa saveur typique, que la petite amertume du chou de vacoa accompagne élégamment. Les sensations masticatoires sont satisfaisantes, sur des morceaux de morue qui résistent légèrement et le vacoa qui conserve du croquant. Le riz, cuit presque collant, auquel on ajoute une pointe de piment citronné, emballe tout ça comme un cadeau pour que ça glisse tout seul. Le vacoa est également
marié aux saucisses, aux crevettes et aussi au poulet pour satisfaire tout le monde. C’est un peu l’ADN de la famille, ramené de Saint-Philippe, qui sert de colonne vertébrale aux menus quotidiens.

On rince l’affaire avec une bonne gorgée de bière de conflore (plus Réunionnais, tu meurs) aux arômes rafraîchissants. La valorisation du conflore étant le dada, on dira même plus, l’engagement militant du papa Dalleau, qui compte bien ne pas en rester là et ramener d’autres produits à base de ce rhizome lontan,
comme les biscuits.

Une part odorante et moelleuse de gâteau de patate accompagnée de chantilly et d’une boule de glace demandée à la cardamome vient clore ce satisfaisant moment gustatif.

La famille Dalleau n’a pas perdu la main, depuis Le Vieux Port au Tremblet où elle tenait la dragée haute à un voisin très (trop ?) fréquenté des touristes. Cette nouvelle aventure saint-pierroise s’est décidée sur une idée de Sheryl, la fille, qui souhaitait s’installer dans un environnement di!érent. Ce qui est perdu en cadre (dffcile de faire mieux que la côte du Sud sauvage, faut bien se l’avouer), est gagné en facilité d’accès aux services. “Ça change d’aller chercher son pain à pied !”, se réjouit Sheryl. En même temps, cela rapproche un peu plus la cuisine péi du front de mer, avec “Gros Louis” qui fait de la résistance à quelques distances de là depuis des années. En e!et, en dehors des snacks à samoussas et sandwichs américains, le boulevard Hubert Delisle, spot touristique du Sud, est davantage occupé par de la restauration généraliste, tendance métropolitaine, avec une présence de plus en plus a »rmée des enseignes de fast-food. Ce qui fait râler dans le landerneau.
Pourvu que l’Ichtus, ou quel que soit son nom futur, ne tombe pas dans la facilité touristique et l’appât du gain concomitant, qui fait tant de mal à la tradition culinaire réunionnaise, c’est tout ce qu’on demande. Le nombre de couverts, limités à 54, et la passion indéfectible de Sheryl, Jennifer et Jérôme Dalleau sont de solides garde-fous. Y contribueront les six plats par jour, préparés uniquement avec des produits frais et quelques produits annoncés de haute qualité tel que le vrai coq péi, la cuisse alerte, la crète fière et l’ergot luisant, réveil matin des campagnes, nourri aux galets de la cour, celui qu’on ne travaille qu’en cuisson longue et marmite noire, comme son voisin canor, foutor !

Le Franciscea, grosse carte et assez bons petits plats

Aujourd’hui nous revoilà au Franciscea, restaurant de Saint-André posé juste derrière l’église du centre-ville, et tenu par le citoyen Nehoua Sully, même famille que la boutique située plus haut et qui, dit-on encore, faisaient les meilleurs sarcives de l’Est. Il s’agit de notre troisième visite depuis le début des critiques en 2011. La dernière avait abouti à l’octroi d’une fourchette en argent. Voyons si la qualité s’est maintenue depuis 2015.

Nous arrivons de bonne heure. La jolie case créole aux volets bleus est toujours accueillante. Peu de modifications ont été faites suite au Covid, les tables étant déjà espacées. L’accueil est souriant, devine-t-on à travers le masque, et nous nous posons près de la porte ouverte qui donne sur la petite varangue, pour profiter de la petite brise.

On nous dépose la carte. Un menu chinois, 19 plats et 6 entrées ; un menu Métro, 15 plats et 7 entrées ; un menu créole, 10 plats et 6 entrées. Des classiques pour la plupart, excepté le cari de légine au gingembre mangue. Cela fait beaucoup, tout de même, mais nous gardons espoir.
Nous prenons l’Assiette Créole composée de boudin, d’un achard, de samoussas et d’un piment farci, puis nous poursuivons avec un rougail zandouille et un cari la patte.

L’entrée arrive nous sautons sur les samoussas. Farce fine de poulet, bien arrangée d’épices et d’un piment volontaire, avec une pâte croquante. Le piment farci ne fait pas non plus dans le soft. Juteux et croquant, il envoie la salve de saveurs empreinte de cumin et de piment façon tsunami. Le boudin, mou et onctueux, fait dans le même registre. Cette assiette créole mérite son nom, non recommandée aux chochottes. Un délice.

Le cari la patte manque de punch. C’est du moins la première impression que nous avons eue. Mais notre palais allumé par l’entrée avait besoin de retrouver un peu de calme pour apprécier les subtilités du cari. Subtil il l’est, avec une sauce mesurée en quantité et qui laisse sur la langue comme un parfum d’herbe aromatique.  Du quatre épices probablement, du laurier peut-être, c’est raffiné. La viande en revanche l’est sans doute trop, raffinée. Nous aurions préféré des morceaux plus gras à la peau bien épaisse, histoire d’avoir de la mâche. Tant pis. C’est bon quand même, et le rougail zévis envoie ses atours verts et puissants pour tourner le cochon en bourrique.

Le rougail zandouille est un peu plus alerte que la patte. Le nez enregistre les vapeurs réglementaires teintées des odeurs fortes des dessous de bras pas rasés d’un ouvrier du bâtiment affligé d’hyperhidrose, coulant une dalle en plein cagnard. Tout cela adouci par la sauce bien tomatée, et souligné d’un sel présent, mais urbain. Les morceaux d’andouilles sont cuits comme il faut, suffisamment pour ne plus afficher la consistance des lanières de savates tout en offrant assez de mordant pour donner du plaisir. Le rougail tomate passe mieux avec. Pour 16 euros, c’est acceptable. On a vu plus cher et largement moins bon ailleurs…

Le riz, du grain long, est assez cuit pour qu’on obtienne des bouchées intéressantes, avec un liant acceptable. Les grains, en crème, corrects, aident un peu.

Les assiettes sont enlevées et remplacées par les desserts. Moelleux au chocolat et profiteroles. Le moelleux est aussi fondant au cœur. Les amatrices et amateurs de chocolat y trouveront un instant de bonheur. C’est très odorant.
Les profiteroles profitent de boules de glaces vanille excellentes, comme artisanales, avec moult chantilly.

Nous repartons repus après avoir réglé une note de 72 euros pour deux boissons, une entrée, deux plats et deux desserts soit 36 euros par personne. Le rapport qualité-quantité-prix est plutôt bon.

Que ce soit dit : nous nous méfions comme de la peste des cartes à rallonge, à nos yeux vestiges d’un autre temps où une certaine restauration voulait ratisser large pour faire du chiffre avec des produits bas de gamme. Mais nous connaissons au moins une ou deux exceptions où grosse carte ne veut pas forcément dire petite qualité. Aujourd’hui nous en découvrons une nouvelle.
Les plats que nous avons dégustés sont bien faits, ont le goût qu’ils sont supposés avoir, avec quelques petits plus qui leur donnent de l’intérêt… Nous n’avons donc aucun reproche à faire qui mériterait des lignes acerbes.
Peut-être serait-il souhaitable de varier un peu les grands classiques, fussent-ils demandés par la clientèle touristique, et leur adjoindre des brèdes par exemple.
Ce repas, servi avec bonne humeur et professionnalisme, nous a convaincu d’inscrire le Franciscea dans la liste des bons restaurants de cuisine réunionnaise que compte notre île.