Les Letchis, rapport qualité prix perfectible

Comme à notre habitude nous arrivons de bonne heure, le restaurant ouvrant dès 11h30. Rien n’a changé en 5 ans. Toujours le même toit en tôle sur la terrasse qui nous avait choqués lors de notre dernier passage, nous qui avons connu cet établissement avec les tables sous les arbres.

Les intempéries avaient été évoquées comme explication à cet enlaidissement de l’endroit. Les bassins à l’entrée, où nagent les poissons, sont toujours là, mais ils auraient besoin d’un bon nettoyage. Dans le prolongement de la terrasse, un caillebottis fatigué, qui s’affaisse quand mon marche dessus, accueille quelques tables et on nous y installe. Après les épisodes de pluies intenses, le ciel est d’un bleu magnifique. La Rivière des Marsouins chante a quelques mètres, et des pieds de longanis chargés s’y penchent. Tout cela est très bucolique, mais la fumée d’un feu, un peu plus loin, est assez désagréable.  L’accueil est aimable, détendu et très professionnel.

Aujourd’hui, en sus de la carte, on nous propose du poisson rouge. Nous sommes au courant. Mais la photo sur la page Facebook montre des juvéniles, et notre expérience a montré qu’ils sont parfois bien moins goûteux que les adultes, lesquels ont logiquement mangé davantage et nagé plus longtemps dans l’océan. Aller pêcher ce genre de poisson sans attendre qu’ils grandissent, c’est un peu la même histoire qu’aller casser toutes les mangues vertes de leur pied, sans en laisser à mûrir. L’appât du gain immédiat.

Nous ne prenons donc pas le risque, et nous nous rabattons sur l’un des plats qui a fait la réputation du lieu, selon la recette du sieur Lhomond père, à l’époque patron du restaurant, le canard braisé. En préambule nous demandons un mojito sans alcool qui nous rincera avant d’attaquer la salade de palmiste rouge (présenté comme tel en tout cas) choisie en entrée.

Si le palmiste est probablement rouge, son dressage ne laisse pas l’apprécier à sa juste valeur. Nous avons droit, une fois de plus, à cette sempiternelle découpe en fines lamelles qui n’autorise qu’un croquant limité impropre à apprécier la saveur subtilement lactée de ce produit d’exception. Tout ça sous prétexte que c’est joli. Mais on s’en cogne la couenne que ce soit joli, ce qu’on veut c’est que ça ait du goût ! Et là, le goût est forcément limité, et ce ne sont pas les quelques filasses un peu dures, signe d’un dépiautage pas trop soigneux, qui peuvent y remédier. L’assiette est aimablement enlevée, et le canard promptement servi, avec ses accompagnements.

La couleur fait plaisir à l’œil. C’est foncé, c’est luisant sur les bords, ça respire le fumet de fond de vieille marmite, celles qui sont si carbonées qu’il faut les nettoyer au marteau piqueur. Des reflets de poivre, de thym et de girofle, poussés jusqu’au bout du bout d’un roussi dans le gras qui va chatouiller le brûlé sans franchir le point de non retour, nous rappellent ce monument de cari dégusté voici quelques années chez les compères Pat’Jaunes. La première bouchée confirme. Si la viande affiche quelques filandres, elle n’en demeure pas moins moelleuse, presque confite. Les morceaux colorent le riz, puis on ajoute une cuillère de haricots bien en crème, puis un peu de rougail d’orangine, et c’est le paradis en bouche.

Le rougail bringelle est aussi très bon, mais manque de ce côté fumé-cramé du soulier verni qui a tâté du feu directement. Le rougail d’orangine est mieux présenté que la fois dernière. Il est délicieux, mais nous supposons qu’il aura mieux fait son travail en compagnie du poisson rouge que Sarah Patel a eu dans son assiette ce midi là, après que nous ayons quitté les lieux. En revanche, une fois la fumée dispersée, nous avons été incommodés par l’odeur du tapis de letchis pourri à proximité de notre table. Leur état indique qu’ils ne sont pas tombés dans la nuit et qu’ils macèrent ainsi depuis plusieurs jours, sans que personne ne connecte deux neurones pour aller les ramasser. Cette négligence aux conséquences tant olfactives que diptériques est parfaitement inacceptable dans un établissement qui affiche de telles prétentions, avec des tarifs plutôt salés. Les ronds de jambes devant les clients, c’est bien, l’hygiène, c’est bien aussi.

Le café gourmand du dessert est très varié et conclue positivement le repas.

Addition : 64,50€ pour un cocktail, une entrée, un plat, une eau gazeuse et un dessert. Le rapport qualité prix est perfectible.

Cela fait en effet cher pour une seule personne, même si, globalement, le repas fut très bon. Mais pas forcément meilleur qu’à d’autres tables de l’île, moins onéreuses. L’étude d’une formule ne serait pas du luxe. Le luxe, lui, est dans le cadre unique de ce verger en bord de Rivière des Marsouins, qui fait faire une pause au temps lui-même (mais est-ce une raison pour assommer le client ?) Le luxe serait aussi de fournir des salades de palmiste croquantes comme il faut. A part ces détails, et l’entretien des espaces verts qui laisse à désirer, et auquel les interpellés ont promis de remédier, rien de spécial à dire. Les Letchis font bien mieux qu’à notre dernière visite. La possibilité d’attribution d’une fourchette est très envisageable, mais en l’état actuel des choses, l’or est exclu. En espérant que ce sera encore mieux la prochaine fois.

Allons manger « dan fey banane »

Naguère haut lieu du couscous et du tajine, avant que les gérants plient bagage pour la métropole,
l’ex-« Gazelle de l’Atlas » est devenu « Saveurs dan fey banane » ou la sauce piment a remplacé la
harissa. Et le nom n’a rien d’anecdotique. On mange bel et bien dans une vanne et une fey banane.

Une présentation traditionnelle de plus en plus en vogue, tant et si bien que certains restaurants,
voulant faire « comme si », utilisent une sorte de feuille de papier vert plutôt inesthétique. Il faut en effet pouvoir disposer régulièrement de la matière première fraîche, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Au menu du jour : cari dorade combava, rougail saucisses (de Salazie) et sauté de poulet au soja frais. Nous penchons vers le rougail saucisses. La patronne nous propose quelques samoussas, bonbons piments et piment farci maison. Les samoussas au poulet ou au poisson sont très bon. Une farce hachée finement, où les épices s’expriment pleinement sans avoir besoin d’une assistance pimentée plus que de raison, est emballée dans une pâte un peu épaisse à notre goût et qui aurait pu être plus croustillante, mais qui reste acceptable. Mêmes réserves au sujet des piments farcis au thon, assez bons, avec un gros piment encore croquant.

Le rougail est donc présenté dans la « fey banane » qui le valorise. Les saucisses de Salazie, sans indication de provenance plus précise, sont coupées en trois ou quatre. À l’intérieur, la chair juteuse pré-sente des morceaux assez gros qui donnent de la mâche. L’équilibre des épices et de la texture est appréciable. Pas, de poivre revendicatif, de gras domi-nant, ou de chair trop sèche. C’est de la bonne sau-cisse créole. À Salazie, nous connaissons au moins quatre charcuteries d’où elle pourrait provenir : à Hell-Bourg, Salazie Village, Mare à Vieille Place et Ilet-à-Vidot. Plus jaune que rouge, le rougail dans sa sauce épaisse imbibe le bon riz et se laisse savourer sans grimace. Les haricots sont assez moyens. Un léger manque de sel peut-être. Le riz est plutôt correct. La sauce zoignon, très verte, envoie de la force juste assez pour relever les bouchées sans que celles-ci ne fassent transpirer le mangeur. La vanne est vidée.

La patronne nous propose un gâteau patate avec le café. Le gâteau est à la fois épais et mœlleux, pas trop sucré. Il manque de parfum, mais demeure satisfaisant dans l’ensemble. Nous notons l’effort de présentation. Il faudrait juste une touche acidulée pour relever tout ça, tant esthétiquement que gustativement. Nous réglons l’addition : 24,90 euros pour une boisson, quatre samoussas et un piment farci, un plat, un dessert et un café. Le rapport qualité prix est correct.

« Saveurs dan fey banane », à l’entrée de Sainte-Anne en arrivant de Saint-Benoît, est un petit
restaurant sans prétention, qui bénéficie d’un cadre verdoyant. Les quelques tables présentes sur la
terrasse autorisent la distanciation physique. L’accueil de la patronne est souriant. Cette dernière
assure un service décontracté, qui met à l’aise. Trois plats qui changent quotidiennement, le choix
peut paraître mince, mais après tout, s’ils sont tous aussi bien faits que notre rougail saucisse du jour,
cela sut à contenter le client. Mieux vaut faire peu et bon, que beaucoup et négligé. L’adresse fera
son entrée dans le futur guide des meilleurs restaurants créoles.

Chez Philo inspire confiance

Aujourd’hui nous empruntons la route des Plaines, à quelques encablures de Saint-Benoît dans le quartier de la Confiance, pour tester les plats de chez Philo. La Confiance est le dernier patelin de Saint-Benoît avant d’attaquer les rampes des Plaines, et écrin du domaine du même nom aujourd’hui fermé, hélas. Le radar du coin ne doit pas être la seule raison de lever le pied. Ce quartier verdoyant, ou les champs de cannes sont entrecoupés de pieds de letchis, recèle quelques arrêts gourmands, de la pâtisserie de quartier au vendeurs d’ananas, en passant par le petit restaurant « Au Bon Mangeur » référencé dans le guide « 45 » des bonnes tables de cuisine réunionnaise. C’est là que commence le Chemin de Ceinture qui vous rapprochera notamment de l’un des meilleurs établissements hôteliers de l’île, le Diana Dea Lodge.

Chez Philo est posé en bord de route dans le sens montant, vous ne pouvez pas le rater. La salle étant fermée pour cause de rigueur préfectorale, nous repartons avec trois barquettes : poulet au citron, civet canard et civet zourite, avec un petit temps d’attente pour le poulet pas encore prêt. Rougail morue, Shop suey poisson, Porc gros piment, Sauté boeuf étaient également au menu du jour. Au comptoir nous notons un service poli mais qui pourrait être un peu plus souriant. Voyons où les plats de Philo mènent.

Civet Zourite

Le civet zourite est assez bon dans l’ensemble. La sauce au vin épaisse l’enrobe dans une gangue tomatée qui renifle un roussi appétissant, le girofle et le poivre, mais imprègne mal la chair de l’octopus d’origine congelée fort probablement. Ce dernier a bien perdu de sa consistance de gomme pneumatique à la cuisson sans pour autant devenir vraiment moelleux. Visiblement le temps de marmite a eu un léger souci, mais c’est sans gravité. Les bouchées sont appréciées à leur juste de valeur. Nous avons tout de même déjà trouvé mieux.

Civet Canard avec zembrocal

Son cousin civet de canard nous a été servi avec le riz zembrocal du jour, à notre demande. La couleur est déjà engageante et la chair tient assez bien aux os. Gustativement parlant le palmipède s’en sort un peu mieux que le zourite, avec une saveur intrinsèque plus présente qui donne la réplique au vin cuit efficacement. Les épices du civet lui vont comme un gant, avec un roussi qui leur a bien profité. Le riz zembrocal gros pois est un bon partenaire du canard. En bouche, il apparaît plus épais que le riz blanc respirant le curcuma, avec un côté soyeux qui aurait mérité une humidification de sauce plus importante.

Nous apprécions le persil hâché saupoudré par-dessus avant la livraison des barquettes.

Poulet au citron

Le poulet citron nous mène à des horizons plus asiatiques. Les morceaux de viande ne sont pas secs, et font des avances douces et parfumées qui calment les élans acidulés du citron. Les tranches de peau de l’agrume sont d’autant plus vives en goût, comme elles le sont dans les vindayes. Mais le poulet revêt ici un caractère plus rond qu’un poisson et les bouchées mêlent la tendreté de la viande et le croquant des bouts de citron et de poivron, que la sauce de piment vert finit d’arranger. Un plat doux-acidulé-salé très réussi.

Rien à signaler au sujet des gros pois, à part peut-être une sauce qui aurait pu être plus crémeuse. Le riz blanc ne fait pas d’étincelles mais joue son rôle honnêtement. Le rougail Dakatine assure aussi, même s’il est un peu « mastic » sur les bords. Une petite tomate grillée dedans quand on est arrivé à la case, et le tour est joué.

Le restaurant « Chez Philo », qui est le diminutif du nom du gérant et non le prénom de la gérante, apparaît à première vue comme une bonne adresse de cuisine locale à Saint-Benoît, qui compte par ailleurs plusieurs excellentes tables. La salle a l’air confortable, même si on ne peut pas en profiter tout de suite, et on peut y déguster un large panel de plats typiques réunionnais, et aussi « créole chinois » comme le porc sauce grand-mère, le riz cantonnais et poulet croustillant et les shop-sueys.
La cuisine semble respecter les standards gustatifs que les clients sont en droit d’attendre, mais il manque un je ne sais quoi pour qu’elle soit plus éclatante, plus goûteuse. Les raisons sont peut-être à chercher davantage dans les temps de préparation que du côté de la qualité des matières premières car nous avons rencontré à d’autres tables des plats plus « punchy » réalisés avec des produits pas chers. Nous devront y retourner pour juger plus avant de la qualité du service dans une configuration normale.
En attendant nous inscrivons tout de même « Chez Philo » sur la liste des restaurants à fréquenter.

Au « Saint-Benoît », les saveurs prennent de la hauteur

Le marché couvert de Saint-Benoît est comme un cœur battant d’activités dans la sous-préfecture de l’Est, avec ses marchands de légumes, ses artisans, sa poissonnerie… « Le Saint-Benoît » s’offre un balcon, au-dessus de cet espace protégé par une belle bâtisse, où nous décidons de poser notre séant. Nous sommes très aimablement reçus alors que nous montons les dernières marches, avec des mots de bienvenue, ce qui, disons-le, nous surprend agréablement. Cette hospitalité fait plaisir à voir. Nous nous plaçons tout au bord du balcon, profitant des bruits du marché dont les « bips » incessants des tiroirs caisses qu’on finit par ne plus entendre.

On nous dépose la carte. Un QR code posé sur la table permet d’avoir le menu sur smartphone, mais il n’est pas identique. La technologie, c’est bien, mais c’est encore mieux quand on prend la peine de faire les mises à jour. Pour l’heure, la carte présente 5 plats « traditionnels », trois plats qualifiés « d’élégance » dont un camaron à la crème d’ail qui titille notre curiosité, ainsi qu’un « croquembouche à la perche et crevette crème au Champagne ». Nous leur préférons un plus ordinaire cabri massalé, un de nos plats test préférés.

En entrée, nous laissons les « tapas créoles » pour une salade de palmiste, autre plat test révélateur du savoir faire des bons chefs qui savent l’arranger. Point de doute, ce chef-ci sait. Ça se sent. Il propose la vinaigrette à part, sage précaution de laisser le client assaisonner lui même sa salade selon son goût. Le palmiste est présenté effilé avec des lamelles larges provenant à vue de nez de la partie centrale du tronc, plus croquante et plus chargée en saveur lactée que la partie supérieure. Sous la dent, c’est une réussite, et la vinaigrette toute simple apporte son poivre pour relever élégamment la salade. Celle-ci disparaît en quelques bouchées, laissant une impression de « pas assez ».

Le cabri s’avance, précédé de son odeur de massalé qui a chauffé suffisamment pour lui faire exsuder ses humeurs musquées, complexes, un peu sauvages. Dans ce festival olfactif, un caloupilé éclatant mène la danse. Coup de fourchette. La viande est tendre et moelleuse, si on excepte quelques morceaux plus secs. La poudre de massalé recouvre le cabri d’une pellicule parfumée, la mastication envoie des charges de parfum dans le nez. Du cotomili frais hâché par dessus en quantité suffisante aurait fait de ce plat une quintessence de malabarité !

Le riz, bien servi, n’est pas mauvais. Juste un peu sec peut-être. Les lentilles dégagent une odeur de quatre-épices, baignant dans une sauce qui manque un peu d’épaisseur. Elles font leur office. Le petit citron confit est un éclat de soleil, son acidité atténuée vous laisse le croquer tel quel pour davantage de plaisir pur, mais il se marie mal avec le massalé. Ce dernier aurait en effet été plus content de la compagnie d’une salade de concombre pimentée (une salade, pas un simple rougail) servie généreusement pour que son croquant frais réponde au cabri.

Il est assez courant que les restaurants nous proposent des rougails trop standards, passe-partout, comme le sempiternel « rougail zognon ». En proposer de plus originaux est apprécié, et plus encore quand ils accompagnent avantageusement le plat principal.

Un café gourmand termine le repas. Mention spéciale pour le gâteau patate, explosion de saveur dans une texture fondante et vanillée qui donne une envie soudaine d’être glouton. Vade retro.

La visite se termine sur une note de 47 euros pour un repas complet, entrée, plat et dessert, entamé après un jus de fruit frais savoureux et achevé avec un café. Le rapport qualité prix est bon. Nous ne regrettons pas les 19 euros payés pour le massalé.

« Le Saint-Benoît » n’a plus rien à voir avec « Le Régal Est » qui l’a précédé. Aujourd’hui nous avons profité d’un accueil et d’un service de haute volée. Sourire, attentions, efficacité, réserve professionnelle, tout y était. Certains établissements devraient en prendre de la graine. Dans l’assiette, la qualité est présente. La cuisine du chef Fabien Balthazar, qui confirme aimer travailler les plats authentiques de notre gastronomie, transpire de son amour des bons produits et de la recherche des saveurs traditionnelles. La fougue de ses 30 ans et ses dispositions certaines à la cuisine lui préparent un bel avenir. Pour l’heure, elles offrent au « Saint-Benoît » une entrée dans le prochain guide des restaurants créoles.

Le tangue, par Jofrane Dailly : Accords sucrés-salés pour un civet sublimé

C’est un des plats emblématiques de la tradition culinaire réunionnaise, en dépit du fait qu’il divise : en civet et en cari, on l’adore ou on le déteste. Certains Réunionnais en ont même un a priori négatif sans jamais l’avoir goûté. Et si on en faisait un plat gastronomique ? Jofrane Dailly, du Diana Dea Lodge, a relevé le défi.

L’histoire est née en dégustant un cari tangue traditionnel dans l’un des rares restaurants où l’on peut le trouver : Pépé do Fé, à Saint-Denis. Sandie Banon, son chef, maîtrise le sujet. « Comme toujours, la qualité du produit est importante. Je choisis des tangues chassés en forêt, qui sont censés avoir eu une alimentation variées et naturelle. » Ajoutez à ça l’expertise de Sandie, et l’on obtient des plats où la saveur sauvage si caractéristique du tangue est maîtrisée pour ne pas devenir envahissante.

Mais ces humeurs fortes de gibier, qui ont leurs adeptes, et qui se posent comme une sorte de métaphore gustative de cet esprit rebelle né du marronnage (car ce plat remonte loin), pourraient-elles être domestiquées pour que les palais non-initiés les apprécient, sans pour autant trahir cet ADN typique qui fait la joie des repas en famille et entre amis, dan fey banane, accompagné du traditionnel Charrette ?

Quelques jours avant que le Covid s’abatte sur nous comme la vérole sur le bas clergé, nous avions lancé une idée à priori saugrenue à des chefs de belles tables de l’île : créer un plat avec du tangue en mode gastronomique. Les premiers à répondre furent Jofrane Dailly, Disciple d’Escoffier, le talentueux chef du Diana Dea à Sainte-Anne et le dynamique et non moins génial chef de la Fabrique, le sieur Colson Jehan. Sollicité également : Claude Pothin, du Palm, qui n’a pas eu le temps de nous dire oui ou non, juste avant la chienlit.

Une recette originale, travaillée à basse température

« L’idée me trottait déjà dans la tête depuis un certain temps » avoue Jofrane. Perché depuis une année dans sa cuisine des hauts de Sainte-Anne, le jeune chef, en constante évolution, tend à imprimer à ses plats des couleurs plus locales et plus traditionnelles, par un travail minutieux et une recherche active sur les saveurs qui font de notre cuisine la meilleure de l’océan Indien (Soyons chauvins, que diable). « Ce petit défi m’a décidé à passer à l’action, mais quand j’ai vu les trois tangues arriver, je me suis demandé ce que j’allais faire avec » ajoute-t-il. Ce syndrome de la page blanche, que connaissent bien les écrivains, ne dure pas. L’idée d’un roulé germe très vite, et la version civet s’impose. Pour aller au bout de l’exercice, Jofrane va utiliser notre bon vieux vin de Cilaos, le sucré, pour arranger le Tanrec Ecaudatus, lequel a été proprement désossé au préalable.
« J’ai fait revenir les carcasses comme pour faire un jus de viande classique, avec carottes, oignons, ail, gingembre, girofle. J’ai prévu une petite farce aux pleurotes et champignons de Paris, avec des brèdes pour les roulés. Ces derniers sont cuits à 64°c pendant deux ou trois heures. Les cuisses sont confites dans de l’huile d’olive, de l’ail et du thym pendant deux heures à 60°c. La sauce sucrée-salée est réalisée grâce au vin et au travail sur les carottes, elle est montée au beurre et liée au chocolat, comme pour le lièvre à la royale, mais sans le sang ! »
Jofrane affectionne ce côté sucré-salé qui n’est pas sans rappeler l’apport asiatique dans la cuisine réunionnaise. « Si les clients n’aiment pas, je m’adapte » souligne-t-il, avant de nous narrer ses essais concernant d’autres produits traditionnels, qu’il compte bien servir de façon gastronomique.
Ne comptez pas grimper au Diana Dea pour manger ce civet de tangue spécial, il n’est pas à la carte. Ceci constituait un « one-shot » comme disent les rosbifs. Il est délicat pour les établissements hôteliers et les restaurants de proposer à l’année des produits dont la traçabilité n’est pas dument prouvée par des fournisseurs versant taxes et impôts à l’administration. Des règles qui devraient s’assouplir si l’on veut que la richesse de notre cuisine traditionnelle perdure, avec l’apport de notre si magnifique terroir.

Un voyage au cœur de l’Est

Pour ce repas, où le tangue était le point d’orgue, Jofrane Dailly a travaillé une ambiance très « terroir », où la nature réunionnaise est mise à l’honneur.
Pour réveiller nos papilles, une chips de songe et houmous au cumin présentés sur un lit de galets. Les papilles sont réveillées, les sinus aussi. La chips laisse sa saveur sur les dents tandis que le houmous velouté nous rappelle les délicatesses malbars de notre tradition culinaire.
Suit du caviar rova sur un jaune d’œuf mollet, avec une crème de wasabi et une émulsion d’eau de mer. Une lichette d’émulsion sur le caviar d’abord, pour la mer, puis l’œuf ajusté d’une claque de wasabi, pour la terre. Voilà une équation singulière qui introduit le Tilapia  « Gueule Rouge » de Daniel du Piton Armand (l’éminence verte juste en face de l’hôtel), sa sauce crustacé façon cari et son risotto de chouchous de Salazie au cumin. Le poisson, réveillé par la sauce, fond dans la bouche et ne fait pas dans le détail pour vous arranger le palais. C’est puissant, avec une envolée piquante, et les « ti-brèdes » sautées, sucrée-salées viennent obligeamment jouer les négociatrices, assistées des chouchous.
Ce coup de vent gustatif ébouriffant n’est que le prélude à l’arrivée du roi Tango.
Nous y sommes. Le dressage est raccord avec les prétentions gastronomiques. Première bouchée. La viande est délicate, tendre, et se pare des atours gras de sa condition mais sans exagération, juste de quoi la faire glisser sur les molaires. Puis, le plaisir. Celui de retrouver cette saveur sauvage, musquée, déferlant comme une vague, mais sans tsunami. Cela renifle le cul de marmite à la braise, le bois de couleur mouillé au petit matin dans les forêts, laissant sur le mordant d’un bout de peau comme des notes de graton.
La sauce sucrée-salée fait danser le tangue, et les petites fines herbes lui ajoutent un éclat campagnard plus léger. Les patates et la farce de champignons et de brèdes se fondent dans le décor. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître. Le plat relève parfaitement le défi proposé en conservant le goût authentique du civet de tangue, tout en lui apportant une touche asiatique originale et tout à fait seyante. Il ne manque qu’un petit rhum Charrette, pour la tradition, ou un vin tannique, qui fait des nœuds dans la luette.
Un dessert de gâteau patate au chocolat et au café Bourbon pointu clôt ce repas avec élégance.

Un meilleur accueil et encore plus de confort

Le Diana Dea Lodge bénéficie actuellement de quelques menus travaux afin d’améliorer l’accueil et le confort au niveau de la piscine et du bar, avec le projet de création d’une cave à vins digne de ce nom. L’établissement, dont la réputation n’est plus à faire, passé en mode room service pendant le confinement, voit ses activités repartir de plus belle depuis le 15 mai. « Nous étions complets pour la fête des mères. Nous avons du monde les week-ends. » se réjouit Jofrane Dailly. Un succès qui n’est que la conséquence logique de prestations dignes des plus beaux établissements internationaux, dans un cadre superbe où l’on se confinerait toute l’année !

Chez Mimi

Saint-Benoît par un temps de curé sans bréviaire, en cet hivers bien rentré. Nous allons déjeuner dans la zone de Bras-fusil, pas très loin de la nationale grimpant aux Plaines, dans le petit restaurant de Micheline Avril. P1090592

Nous débarquons à l’improviste et de bonne heure, comme d’habitude, accueillis par la patronne et un personnel souriant. Une jolie terrasse caillebottante dans un jardin luxuriant auprès d’une piscine est le décor de notre repas. La maison pratique le buffet à volonté. Les trois plats du jour sont : cari la patte cochon, poulet au coco et cari bichiques (congelés, ce que Mimi­ annonce d’entrée de jeu). Point d’entrée, et des glaces au dessert.

On nous propose un petit punch maison orange-ananas léger pour nous fouetter le système gustatif. Nous voilà partis à l’attaque.

Les bichiques ouvrent le bal. Il est entendu que si nous prenons comme maître-étalon le cari de bichiques frais vendus éhontément au prix d’un rein sur les bords de route en fin d’année, les bichiques congelés, intrinsèquement, n’en sont gustativement parlant qu’un reflet fantomatique. Ceci étant posé, le cari de Chez Mimi est d’une honnêteté de premier communiant. Bon assaisonnement tomaté, dans lequel le combava et le gingembre se répondent comme des commères, avec un sel qui paraît autant bavard en première louche mais finalement bien dosé. Un petit piment vert « crasé » aurait pu donner davantage de couleurs aux alevins que l’unique sauce piment disponible. 

Nous poursuivons avec le cari la patte. Ce dernier est parfaitement exécuté. Beau fumet de feu de bois, au piquant d’un poivre léger, belle couleur luisante sur une peau qui fond en bouche, peu de gras en définitive dans la sauce de fond de bac qui oint la viande, plus une jolie souplesse sous la dent. Un cari simple mais goûteux, et étonnamment digeste malgré les apparences. Juste un bémol : quelques petits os, dommages collatéraux d’une découpe cavalière, sont venus nous gêner les plombages.

Le poulet au coco suit le mouvement, en faisant encore mieux. Si la volaille a certainement passé son existence en communauté serrée, sa viande a la bienséance de se comporter dignement sous les dents de notre fourchette. Elle n’est pas avachie et affiche une saveur méritante, appuyée efficacement par le lait de coco à la douceur subtile. L’épaisse sauce se déguste d’ailleurs avec un plaisir certain, telle quelle, mais le riz ne lui fait pas honneur.

En effet, si les accompagnements sont satisfaisants bien que peu nombreux, ce riz, type basmati, aux grains fins, détachés et peu absorbants, ne convient absolument pas aux caris créoles dont on aime que les sauces colorent et imprègnent l’assiettée. Les sensations en bouche sont franchement décevantes, voire désagréables, n’en déplaisent aux détracteurs des riz plus épais, qui, s’ils ne sont pas cuits en colle, conviennent davantage. La marque et le type de riz sont donc à revoir.

Le repas se termine avec deux cafés et une addition de 31 euros pour deux yabs et un marmaille.

La petite mère Micheline porte bien son prénom : c’est une locomotive ! Un caractère bien trempé, avec une hospitalité créole authentique, sincère et sans ronds de jambe. Dans son jardin elle vous accueille comme quelqu’un de la famille, et c’est sans doute pour cela qu’elle a aussi ses habitués. « C’est la clientèle qui fait la carte » dit-elle, preuve d’une écoute des avis et des envies. Sa cuisine quotidienne, simple et familiale, est très bonne. Et elle sait aussi sortir des sentiers battus, quand elle fait le service traiteur pour la salle de réception qu’elle loue aux fêtards de toutes occasions. Son menu de tous les jours mériterait peut-être de s’étoffer d’une entrée et d’un dessert, plus deux rougails supplémentaires pour une meilleure harmonie avec les différents plats. Tout le reste, excepté un choix de riz sujet à débat, est d’une facture suffisante pour que nous octroyons à Mimi et son équipe une très belle fourchette en argent.

Pour résumer : 
Accueil :  bien • Cadre : bien • Présentation des plats : bien
Service : bien • Qualité des plats : bons
Impression globale : bonne table
Fourchette en argent

Le Régal Est

Il est un humour météorologique créole qui dit qu’à Saint-Benoît, il y a deux saisons : la petite saison des grandes pluies et la grande saison des petites pluies. On a dû passer entre les deux car aujourd’hui, il ne fait pas si mauvais que ça, bien que le ciel soit couvert.

 P1080623web

C’est dans cette sous-préfecture que nous nous sommes donc arrêtés afin de déguster la cuisine du Régal’ Est, restaurant créole et métro ayant ses quartiers en mezzanine du marché couvert. Plancher de bois, fougères aux murs, tables joliment dressées, plus la vue sur le marché, le décor est assez plaisant pour vous mettre en appétit, et l’on oublie vite la chaleur que quelques ventilateurs s’épuisent à atténuer.

Point de menu du jour ici, c’est donc dans la carte, très riche, que nous puiserons les deux plats pour notre test. 

7 entrées froides, 7 entrées chaudes, 9 caris à base de poissons et crustacés, 9 caris à base de viande, 17 plats d’inspiration métropolitaine (poissons et viandes), plus 1 plat végétarien et deux menus enfants, soit une cinquantaine de plats, sans compter les desserts. Ce n’est plus une brigade qu’il faut en cuisine, mais un régiment, ou bien le chef et ses adjoints sont des Luky Luke de la poêle à frire, ou bien une bonne partie des plats est surgelée. Nous ne nous attendons donc pas à trouver ici (que) des caris cuisinés avec des produits frais et pourtant, l’un d’entre eux est annoncé comme tel : le poisson rouge, que nous commandons, avec un rougail zandouilles.

Pour le reste, cari bichiques (en saison), bouillon coquilles, rôti de sanglier « des hauts », civet d’oie,  boucané brèdes manioc et cari zanguilles ont le mérite de sortir des éternels sentiers battus par les caris de poulet et rougail saucisses, qui sont aussi présents.

Nous goûtons d’abord au rougail zandouilles. Notre première impression est plutôt bonne. La charcuterie est présentée en petits morceaux, avec une sauce convenable à l’aspect et à l’odeur. La cuisson est correcte. Tout est assez tendre, les foulures de mâchoire ne sont pas à craindre. En revanche, si la sauce affiche un petit arrière goût sucré qui compense un sel du coup raisonnable, le tout manque de relief. Le poivre est éteint et le fumet de l’andouille est somnolent. C’est assez bon pour finir le plat mais cela ne fait pas d’étincelles.

Le poisson pour sa part, de petite taille, est présenté entier, baignant dans une belle sauce jaune orangée. Nous nous étonnons d’abord de la discrétion olfactive dont il fait preuve, mais la dégustation est sans appel. Nous avons le sentiment d’être pris pour ce que nous avons mangé juste avant!

En effet, sur la carte il est bien mentionné « poisson rouge frais ». Si « frais » veut dire en l’occurrence « refroidi », c’est bien le cas, car il est patent que l’animal a subi les outrages d’une congélation prolongée, et cela fait naître aussi quelques doutes sur son arbre généalogique. S’il sort de nos eaux, celui-là, il est bien mal fagoté. Sa chair se délite en lamelles au goût de plastique qui n’ont aucune espèce de fondant et dont une partie reste accrochée à l’arête centrale. Si la sauce n’est pas trop mal réussie, elle n’a pas cette épaisseur légèrement gluante qui fait habituellement son charme. Cette dernière et le poisson, plutôt que de s’imbiber et se mélanger mutuellement, se regardent en chiens de faïence comme si la bestiole encore froide avait été larguée dans le jus sans plus de manières.

Elle ressemble comme deux gouttes d’océan à un autre congénère que nous avons croisé au détour d’un meuble frigorifique au supermarché. Déçus nous sommes, même si l’ensemble est mangeable, elle est loin la magnificence du cari de poisson rouge traditionnel.

Passons sur les accompagnements : un rougail concombre ordinaire et des haricots blanc, en boite, trop salés.

Addition : 37 euros pour deux personnes, hors boissons, sans entrées et sans dessert. Cher pour ce que c’est.

Avec ses atours jolis, le Régal Est fait de l’épate, mais ça s’arrête là. Le ramage n’est pas à la hauteur du plumage. Fondamen-talement, la lecture de la carte est révélatrice de ce genre de restaurant – cantine, qui, pour ratisser large, propose une palanquée de plats, dont certains notons-le quand même, ne manquent pas de panache. Mais le client exigeant, lui, n’est pas dupe. Il ne s’attend pas à y trouver des plats préparés avec amour et des produits de qualité, mais une cuisine ordinaire faite à l’économie, et surtout rentable, derrière le maquillage et les froufrous. Après tout pourquoi pas, si c’est la politique de la maison, mais nous trouvons l’addition un peu salée, sachant que pour ce prix là, on a davantage de qualité (voire de quantité) ailleurs. 
La cuisine du Régal’ Est n’est pas mauvaise, mais elle manque singulièrement de caractère, si l’on se base sur les plats que nous avons dégustés. La fourchette en argent est manquée de peu. Sous réserve de plats miraculeux ou tout au moins mieux exécutés et avec des produits vraiment frais, nous ne pouvons qu’adresser au Régal’ Est une fourchette en inox.

 
Pour résumer : 
Accueil : bien • Cadre : très bien • Présentation des plats : bien
Service : moyen • Qualité des plats : moyen
Impression globale : moyen
Fourchette en inox

L’Auberge créole

[Visite en avril 2013]

Quelques semaines après notre passage à Sainte-Anne, aux Trois orangers, vous voici de retour dans ce quartier de Saint-Benoît, à l’église fameuse et repeinte, mais empestant hélas la moisissure à rendre malade les allergiques (Mais que font les responsables de cet édifice ?) Nous ne nourrirons donc pas nos âmes ici, aujourd’hui, mais il n’en ira pas de même pour notre corps, qui, midi tapante, réclame sa pitance. Justement, presque en face il y a l’Auberge Créole, au fond d’une allée. L’endroit, pittoresque, donne sur la grande plage de galets. Le bâtiment semble avoir bénéficié de quelques rénovations et aménagements, mais il reste beaucoup à faire pour rendre l’endroit accueillant.

Nous sommes accueillis par un personnel souriant et sympathique, et nous nous installons à une table non loin de la baie vitrée qui donne sur une grande terrasse en caillebotis ouvrant elle-même sur le rivage. Nous y respirons l’air marin à plein nez, avec ses embruns consécutifs à une mer agitée. Des embruns qui n’épargnent pas les baies vitrées d’ailleurs : elles sont sales. Les chaises aussi ont subi les assauts salins : les pieds en fer sont attaqués par la rouille. Pas top. Un remplacement du mobilier ne serait pas du luxe. La salle est taillée pour les réceptions, mais ce midi une trentaine de couverts attend les clients.

Une jeune demoiselle fort accorte nous emmène la carte. Grosse carte (ce qui n’est pas forcément un bon signe). Zoreil, créole, chinois, et des pizzas: on sait tout faire à l’auberge créole, qui devient du coup l’auberge internationale ! Nous faisons notre choix en sirotant un excellent punch coco maison, « préparé avec amour », nous fait le serveur, qui nous détaillera la composition de l’affaire. Nous notons à notre surprise grande que la demoiselle sus citée prend la peine de nous remplir les verres. Ça c’est du service ! Nombreuses sont les fois où on nous a juste déposé les canettes sur la table, sans même les ouvrir !

En entrée, nous testerons du foie de volaille poêlé et un gratin de chouchou, que suivront un cari canard fumé et un cari poulet palmiste.

Et ça commence pas trop mal. Le gratin est passable, avec des morceaux de chouchous assez fermes sous la dent, et dont la saveur délicate n’a pas été écrasée par le fromage fondu. La béchamel a été dosée à l’économie, mais ce n’est pas désagréable et le plat ne s’en trouve que plus léger.

Le foie de volaille assure aussi, avec son petit arrière-goût de vinaigre, dans son lit de salade à l’assaisonnement raisonnable en sel (un miracle!). Idéal pour préparer nos papilles à l’arrivée du canard fumé. Les entrées sont prometteuses. Mais après…

Après nous avons droit à deux caris plutôt réussis, dans l’absolu, mais pour le moins standards. Le poulet palmistes nous en met pourtant plein les sinus, dans sa sauce convenablement épicée, mais qui s’avère assez grasse par ailleurs. La viande pour sa part est sèche, même les morceaux « de choix » comme la cuisse, et ne nous procure aucun plaisir. Les larges tranches de palmistes ont bu le fond de sauce et sont goûteuses mais en revanche filandreuses. Même affaire pour le canard fumé, dont, a priori, on pardonne plus volontiers le côté gras : Le cari canard n’a pas pour réputation d’être un plat léger. La viande, là aussi, est assez sèche et le côté « fumé » est un peu en berne. Ce qui est fort dommage.

Les deux plats nous laissent assez dubitatifs. Si la préparation des caris, le dosage des épices, la couleur de la viande et l’odeur de roussi nous semblent conformes aux canons de la cuisine créole authentique, l’ensemble au final n’est pas à la hauteur de nos espérances. C’est un peu éteint. Est-ce la qualité des volatiles, qui n’ont certes pas dû être trucidés de la veille, ou alors l’huile utilisée ? Toujours est-il que les caris nous resteront sur l’estomac jusqu’au lendemain, lourds comme des enclumes.

Le riz s’avère être peu ou prou le même que celui dont nous a affligé l’Ambéric il y a quinze jours, à la différence près qu’il est ici mieux cuit et sans odeur de vieux ! Côté accompagnement : les lentilles baignent un peu dans la flotte, en compagnie de quelques haricots ; le rougail tomate est quant à lui très satisfaisant, dans le taux de sel comme dans le dosage du piment.

De l’ananas frais sera notre dessert, bien sucré et parfumé comme il sied à notre Victoria.

Addition : 72 euros et des embruns pour deux personnes, en tout et pour tout, avec un café, soit 36 euros par tête de yab. Et la note de rejoindre le canard sur l’estomac !

L’Auberge créole, ou internationale, bénéficie d’un emplacement en or, pour le moment pas exploité à fond, mais cela est certainement dans les projets des responsables. Vous y trouverez un accueil chaleureux, un service plus que correct et une salle en partie de bois habillée s’ouvrant sur l’océan, idéal pour les mariages, baptêmes, et autres réjouissances familiales saisonnières. Pour ce qui est de la qualité de sa cuisine, l’Auberge créole est dans la moyenne, et nous avons longtemps hésité sur la note finale. Nous avons quand même été un peu déçus par la tournure des plats de résistance. Nonobstant la lourdeur relative des caris, imputable peut-être aux viandes et à la qualité de l’huile utilisée (si nous pouvons nous permettre d’oser quelques conjectures) l’ensemble manquait de « punch », comme des plats ayant perdu leur saveur au congélateur et au micro-onde. Nous n’avons donc d’autre choix, pour le moment, que d’attribuer à l’Auberge Créole une fourchette en inox, même si l’argent n’est en définitive pas très loin.

 
Pour résumer :
Accueil : très bien • Cadre : perfectible • Présentation des plats : moyen
Service : très bien • Qualité des plats : moyen
Impression globale : moyen

Fourchette en inox

 

 

Les Cinq orangers

La camionnette 404 des Dijoux quitte le petit village de Sainte-Anne en fumant comme l’usine de Bois-Rouge pendant la coupe. Au volant, Iréné se fait enguirlander par Marie-Berthe, qui vitupère au sujet de l’antique véhicule. « Un jour out’ vieux cariole i sa laisse a nou su l’bor d’ la route, cosa ou attend pou change a lu ? »
A l’arrière, Ernestine et ses frères jouent aux cartes. Par cette belle journée, la famille s’en va pique-niquer au pont de la rivière de l’Est.
La camionnette arrive au niveau du lieu-dit « Les Orangers », c’est alors qu’Iréné devient tout pâle.
– Kosa l’arrive à vous ? Vous la vu bébète ou koué ? lui fait sa femme.
– Heu, mon ti caille… prend pas la colère… mais… mi crois que mwin la oublié la marmite cari su la tab’ la cuisine.
Un hurlement aigu de truie qu’on égorge fait s’égailler les oiseaux à deux kilomètres à la ronde.

Reprenant son souffle, Marie-Berthe repère le resto-snack « Les 5 orangers », sur la gauche. Iréné lit le panneau : « repas 5 euros, à zéro mètres ».
– Oté, ban’na i aime kass les kui ici !, rit-il.
– Ben nou va voir si zot cari lé bon, répond Marie-Berthe, qui espère que son pique-nique sera sauvé du naufrage. « Ernestiiine ! », crie-t-elle à sa fille.
– Voui ma mère !
– Vient trap la monnaie et allé rod barquettes a ter là, avant qu’mi touf ’ le mimite out’ papa !

[Visite en mars 2013]

C’est ainsi, par une journée ensoleillée, que nous atterrissons au « 5 orangers », repéré il y a belle lurette lors de nos pérégrinations. Le resto-snack n’est guère plus qu’un container-bar amélioré d’une terrasse avec des parasols publicitaires colorés aux emblèmes d’une mousse à la face de volatile disparu. A l’intérieur, une dame et une jeune fille s’activent et nous reçoivent gaiment, en symbiose avec le soleil de midi qui donne à cet écrin de verdure une ambiance de vacances.

Au menu du jour, parmi les nombreux sandwichs, un cari de pintade, un sauté de porc aux gros piments, omelette créole et steak haché-frites. Les deux premiers nous conviennent parfaitement. Nous nous installons à la terrasse, plus grande que nous le pensions, capable d’accueillir une trentaine de clients. Sous les parasols, il fait un peu chaud, et la proximité de la Nationale nous dérange au début, mais ces inconvénients sont  très vite oubliés, au profit de l’indéniable charme bucolique des lieux. Notre attention est de toute manière vite mobilisée par les assiettes qui nous sont servies.

A vue d’œil, nous trouvons déjà la quantité de riz un peu limite pour un estomac de bon mangeur. Les grosses lentilles ont une belle couleur claire dans leur sauce épaisse et les caris ont également bel aspect. 

Le porc est une surprise. Nous nous attendions à trouver des émincés avec des gros piments coupés fin, à la chinoise. Que nenni ! A la place nous avons des beaux morceaux entrelardés, légèrement dorés, côtoyant des gros piments coupés large. Et tout cela est très bon ! Le porc est un peu gras, certes, mais tellement souple et savoureux, dégageant en finesse un petit arôme sucré, comme s’il avait été flambé en vitesse avec un fond de rhum blanc. Les gros piments sont croquants à souhait et accompagnent la viande judicieusement.

La pintade par sa couleur bien dorée, révèle une cuisson au croûtage expert où les épices ont imprégné la viande de leur saveurs. Sous la peau délicieuse, la viande un tantinet sèche du volatile apporte du tonus sous la dent sans être désagréable. Il est vrai que les morceaux sont coupés en justes proportions, ce qui a permis à la sauce de bien tremper tout ça. Thym, poivre et l’amertume subtile d’un déglaçage chronométré au fumet incomparable contribuent à prolonger notre plaisir non feint à la dégustation du plat. Les lentilles sont également très bonnes et veloutées, baignant un riz tendre mais pas trop. Tout cela est magnifié par le petit rougail citron vert, odorant et puissant, apportant sa touche pimentée et un vrai rayon de soleil gustatif sur la pintade avec laquelle il flirte plus volontiers qu’avec le porc. Il ne manque plus que des brèdes pour que ce soit parfait.

Un gâteau de patate, joliment  présenté, vient clore ce repas. Et il est magnifique. Du gâteau maison, à la patate apparemment écrasée à la fourchette, comme en attestent les petits morceaux qui viennent éclater sous les molaires. La juste dose de sucre met davantage en relief l’humeur douce de la vanille. La légèreté de ce dessert est proportionnelle au plaisir que nous avons de le déguster.

C’est déjà terminé. Addition : 21 euros, pour deux boissons, deux repas, un dessert et un café. Rapport qualité-prix imbattable !

Sur les pentes grimpant vers le pont de la rivière de l’Est, la 404 fumante des Dijoux a repris sa route, et Ernestine n’a pu résister à la tentation d’ouvrir une barquette pour humer son contenu. La petite famille ne sera pas déçue. Et nous ne l’avons pas été non plus.

« Les 5 orangers » régale sa clientèle depuis deux ans. Il ne lui faudrait pas grand-chose pour atteindre les sommets gustatifs. C’est en tout cas de la bonne cuisine familiale et authentique, bien de chez nous.  Oui, aux « 5 orangers », on mange simple et bon, dans un endroit plein de charme, en compagnie de gens sympathiques. La famille Vergoz vous met tout de suite à l’aise, sans ronds de jambes et sans chichis. Après le repas vous pourrez toujours demander à siroter un petit rhum letchis qui nous a fait un clin d’œil sur le comptoir et, si vous avez la même chance que nous, une papangue en chasse viendra vous dire bonjour en planant au-dessus du champ d’en- face. L’établissement se voit donc récompensé d’une très belle fourchette en argent, bien méritée, avec recommandation de l’équipe.

Pour résumer :
Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats : bien
• Service : très bien  • 
Qualité des plats : très bons
 Notre impression globale : très bonne table
Fourchette en argent