Le Reflet des îles

[visite en septembre 2011]

Aujourd’hui, nous rendons visite à l’un des mammouths de la gastronomie créole du chef-lieu, angle des rues Pasteur et Issop Ravate: le Reflet des Iles. Mammouth par son âge d’abord : l’établissement officie depuis pas moins de 38 ans. Mammouth par le nombre de couverts aussi : 150 au compteur, et mammouth encore par le nombre de plats à la carte puisque nous en avons dénombré en tout près de 37, oui madame, sans compter les grillades et les brochettes, 28 affichés, c’est comme on vous le dit, monsieur.  

Nous sommes reçus très aimablement par le personnel et nous nous installons dans l’espace ouvert sur un joli jardin intérieur qui nous fait oublier la ville et le boulevard tout proche. L’endroit a grandi au fur et à mesure et se pare d’une décoration traditionnelle créole en bois vert et blanc. Nous prenons le temps d’éplucher la carte avant que le serveur vienne prendre la commande. Le choix est impressionnant. Entre les plats du jour assez classiques, où on retrouve entre autre cari de porc, poulet palmiste et canard à la vanille, et la carte qui, mine de rien, fait la part belle aux produits de la mer et des eaux vives (camarons, bichique et coquilles la rivière), on ne sait plus où donner de la tête. Nous y trouvons même des plats dits de « tradition lontan », comme les brèdes songes à la morue, petit salé-brèdes manioc et du riz chauffé !
Nous faisons notre choix en plaisantant avec le serveur, qui ne manque pas de gouaille. Jus de fruits frais et punch coco viennent ouvrir le bal, de jolie façon puisque le jus est très désaltérant et ensoleillé, et le punch est satisfaisant quoiqu’un peu trop sucré à notre goût.

Nos entrées arrivent : un gratin de chouchou, « de Salazie » nous précise-t-on, et des boulettes de morue. Enfin, « de morue » : la première bouchée révèle qu’il s’agit plus de boulette de pommes de terre à la morue. Pas mauvaises, au demeurant, mais plutôt bourratives. Les estomacs d’oiseau se contenteront d’une ou deux sur les quatre qui remplissent l’assiette. Le gratin est plus satisfaisant : de jolis petits morceaux de chouchoux bien verts, qu’on dirait cueillis à la treille le matin même, trempent dans une superbe sauce blanche poivrée. Le chouchou est ferme et parfumé. Un vrai délice pour zenfan d’mon’ne d’Hell-Bourg !
Les assiettes enlevées, nous terminons nos jus de fruits. La salle continue de se remplir, sous l’oeil alerte et vigilant du sieur Banon, patron des lieux. Voici qu’apparaissent le cari de légine et le rougail «zandouille» que nous avons sélectionnés, avec peine. Cassons le mythe : on nous a souvent rebattu les oreilles avec la légine, ce poisson des eaux froides n’a pourtant rien d’extraordinaire gustativement parlant. Et c’est encore pire si on parle des morceaux de second choix congelés (joues) qu’on trouve couramment. Tout ça pour dire que le cuisinier, c’est Harry Potter : il a réussi une vraie symphonie de saveurs avec la chair a priori filandreuse de la joue de légine. Un concert magique d’une sauce ou le gingembre répondait à la tomate, ou le parfum d’iode chantait avec le piment. Notre magicien a tout de même eu la baguette un peu lourde sur le sel, sans quoi le plat aurait été parfait.

Le rougail « zandouille » joue dans le même registre, c’est même mieux, si on juge la dose de sel. La viande, coupée en petits morceaux et couverte de persil émincé, baigne dans une magnifique sauce rouge cramoisie. La chair fondante glisse littéralement en bouche sans qu’une seule fois on se dise : « c’est gras ». Son odeur naturellement assez forte a été très domestiquée par des tomates bien mûres et une cuisson lente. De la cuisson à la presque-braise où l’on rajoute régulièrement des doses d’eau homéopathiques en exerçant sur la sauce un contrôle rigoureux. Cela se sent en bouche mais aussi au nez. Et l’andouille fut. Nous testons la tarte tatin au dessert. Elle est bonne. La pâte est plus goûteuse que les pommes. Le tout passe très bien avec la boule de vanille qui termine ce repas comme il avait commencé : dans la fraîcheur. Addition : 77 euros pour deux personnes, (apéritifs, entrées, plats et dessert). Ouf.

A ceux qui ne connaissent pas (encore) le Reflet des Iles, allez-y les yeux fermés et le porte-monnaie grand ouvert, pour peu que vous fassiez comme les hordes de clients qui ont emmené là leurs amis touristes pour goûter aux joies de la gastronomie locale ! Le restaurant, après 38 ans, vaut encore le déplacement. C’est un bel exploit, que d’autres, testés ici, n’ont pas réalisé. La cuisine est très bonne, même si c’est devenu quelque peu cantine. Il n’y a plus ce charme d’avant. Le progrès est passé par là, et l’âme créole, celle qui donne cet indéfinissable « plus » au fond des marmites, a quelque peu pâli. Pourtant, elle n’a pas disparu. Il appartient à ceux qui font vivre le restaurant de lui redonner sa vraie place. C’est avec cet encouragement et nos félicitations pour ce parcours que nous attribuons au Reflet des Iles une belle fourchette en argent.

Pour résumer
Accueil : très bien • Cadre : très bien • Plats : très bons • Service : très bien • Rapport qualité/prix : correct
Notre impression globale : Très bonne table
Fourchette en argent

Lé Gadiamb

[visite en mai 2011]

Cette semaine nous avons jeté notre dévolu sur un restaurant du chef-lieu, « Lé gadiamb », qui a pignon sur la rue Roland Garros, non loin du petit marché. Au fond d’une petite cour verdoyante aménagée en terrasse, une charmante maison créole authentique vous accueille.

Nous nous installons sous la varangue, mais notre regard a été attiré par la décoration intérieure, faite de multiple objets « lontan », qui rappelleront des souvenirs aux nostalgiques du café coulé à la grègue. Ca et là, des outils, des vieux appareils photos, des ustensiles divers font de l’endroit un mini-musée. Le patron nous accueille presque comme si on était de la famille : le personnage est assez boute-en-train et fait preuve d’un humour qui nous met à l’aise. 

Il nous dépose la carte. Celle-ci fait la part belle aux plats traditionnels créoles, les communs (rougail morue, canard la vanille, cabri massalé…) et d’autres moins courants dans les restaurants, comme le bœuf aux brèdes songes ou le Civet de zourite au vin blanc, qui pique notre curiosité.  Le chef revient pour prendre la commande, en nous annonçant qu’en plus de la carte, le plat du jour consiste en une sauce sardine au gros piments. Pour être traditionnel, ça l’est. Ce qui nous fait dire que la cuisine « Lé Gadiamb » se démarque vraiment de ces menus « touristiques » proposés par ailleurs. Nous optons pour le civet zourite et un boucané baba-figue, histoire de le comparer à celui que nous avons dégusté chez Noël, à Saint-Pierre. Pas vraiment d’entrées proposées sur la carte, mais un assortiments d’amuse-bouches créoles, présentés dans un van, et par lesquelles nous ouvrons le bal.

Autant le dire tout de suite : nous expédions les amuses gueules, mais notre sentiment est mitigé.Les samoussas aux poissons ont un goût de chou, les nems au fromages sont bonnes mais sans plus, et les bouchons au combava gratinés ne satisferont que les amateurs à forte dose du petit agrume parfumé. Seules les boulettes de morue emportent notre suffrage : elles sont très délicates et fondantes, et elles auraient été parfaites si la proportion de pomme de terre était moindre. Passons à la suite, servie en deux temps trois mouvements.  Notre palais retrouve sa joie de vivre. Le boucané baba figues s’avère bien meilleur que dans l’établissement Saint-Pierrois. Le baba est fondant, avec cette petite amertume indispensable en fin de bouche.

Le boucané est savoureux, bien qu’un peu sec, et le plat dans son ensemble n’est pas gras. Il y a eu juste la dose d’huile qu’il faut, et on imagine que les ingrédients ont été remués dans la marmite avec soin et patience. Le civet zourite quant à lui, est une vraie découverte. Amateurs de civet au vin rouge, poivrés à l’excès, et des sensations fortes qui vont avec : passez votre chemin. Ici on donne dans la subtilité, dans le délicat, dans le goûteux dans sa plus noble expression. Et nous nous disons « bon sang mais c’est bien sûr, le vin blanc au lieu du vin rouge…« . Mais il y a certainement d’autres secrets. En questionnant le chef nous apprenons que la bestiole à tentacule a cuit au feu de bois longtemps. « 4 heures, c’est un minimum » nous glisse-t-il. On comprend mieux pourquoi l’aspect caoutchouteux du céphalopode a quasiment disparu. Quasiment, pas entièrement, juste de quoi vous donner le plaisir de la mastication pendant laquelle la sauce veloutée provoquera chez vos papilles gustatives une révolution avec ses parfums de laurier, de thym, de poivre et cette lointaine saveur iodée d’océan indien que nous essayons de retenir en regardant avec tristesse le plat de civet désormais vide.
Ajoutons au tableau la présence de brèdes chou-de-chine croquantes juste ce qu’il faut, cuites de la plus simple des façons et des pois du cap corrects dans l’ensemble, plus deux rougails très légèrement pimentés. Nous terminons avec deux cafés et demandons l’addition : 62 euros, pour deux personnes. Voilà qui soulage aussi notre porte-monnaie dans le sens positif du terme.

Lé Gadiamb est ce qu’on pourrait appeler un restaurant « engagé », qui a décidé de faire la promotion de la tradition et du terroir, avec une rigueur consommée dans le choix de ses produits. Cela se ressent dans l’assiette, nonobstant un bémol pour ce qui concerne les amuses-bouches, largement perfectibles. C’est assurément un établissement que nous vous conseillons vivement. Outre le fait qu’on y mange bien, on y est aussi très bien installés. Assis au frais sous la varangue, on se sent comme dans une oasis au milieu du béton environnant. Malheureusement, vous ne pourrez en profiter que la semaine, le patron ferme le dimanche et le lundi. Bon dimanche et à dans quinze jours pour de nouvelles aventures !

Pour résumer
Accueil : très bien • Cadre : très bien • Plats : bons/très bons
• 
Service : très bien 
Rapport qualité/prix : correct.
Notre impression globale : très bonne table
Fourchette en argent