De l’or au fond de la marmite

Le Tremblet. Nous débarquons après réservation à l’Atelier Palmiste Rouge, tout jeune restaurant installé au-dessus de la route nationale. Levez le pied où vous allez rater le panneau, et le chemin en béton qui y grimpe. Peu avant midi, par un temps à faire moisir les crapauds, deux clients viennent d’arriver avant nous. L’accueil est assuré par une jeune demoiselle guillerette au regard qui pétille. Elle s’appelle Mathilde. Nous prenons place. Sur la table, le menu du jour est dans un petit présentoir. Trois entrées, quatre plats et deux desserts. Pas de carte à rallonge. Les produits ont de bonnes chance d’être frais. Voilà un patron de restaurant qui tout a compris.

Devinez ce qu’on mange à l’Atelier du Palmiste Rouge ? Pas des asperges bien entendu. En entrée, le gratin et la salade de palmiste frais sont au garde à vous. Plus une assiette créole où figurent des samoussas aux brèdes chouchou, que l’on retrouve décidément de plus en plus souvent, des samoussas au palmiste, comme de bien entendu, et des bonbons piments. Les premiers sont délicieux. Les brèdes sont encore bien vertes à l’intérieur et sentent le caro de chouchou après la pluie (vu ce qui tombe, elles n’ont pas de mal). Les seconds sont plus épicés et la saveur caractéristique du palmiste cuit est bien présente. Les troisièmes sont tendres et déploient en bouche tout leur caractère curcumaté, sans accrocher les gencives. La salade est très bonne aussi, avec une vinaigrette discrète, en dépit d’une présentation en « fil » paraîtrait-il préférée des clients. Des clients qui octroient plus d’importance à l’esthétique qu’au goût, puisque, rappelons-le, la découpe en tranche ou en biseau permet d’obtenir des morceaux plus croquants pour mieux apprécier la saveur délicate du palmiste, fut-il rouge.

Le gratin envoie une bonne odeur de fromage, et ce dernier est tout aussi autoritaire en saveur. A vrai dire, dans un gratin, le palmiste ne brille que par sa texture, peu par son goût, poutinisé par un fromage toujours envahissant. Qu’importe, le gratin tout chaud est enfilé dare-dare. Petite attente avant l’arrivée des plats. Une attente qui rassure : la cuisine n’est pas le terrain de jeu des congélateurs et des micro-ondes.

Mathilde est revenue. Les plats sont présentés dans une feuille de bananier. C’est de plus en plus tendance, et cela fait son effet. Des quatre plats nous avons laissé le porc palmiste et le chou de vacoa camarons pour choisir le poulet palmiste et le chou de vacoa saucisses. La suggestion du jour, cari la patte au palmiste, nous tente aussi. L’odeur précède la vue, comme si nous avions le nez dans les marmites. C’est très bon signe. Aussi simple peut-il paraître de marier le palmiste à un cari la patte cochon, c’est la première fois que nous trouvons ce plat dans un restaurant. L’on sait qu’il fait déjà merveille avec le cari porc quand il est bien apprêté. Le palmiste tout imbibé de sauce offre aux dents avides sa chair tendre et goûtue. Le cari la patte est fondant, laissant sa peau luisante glisser entre les lèvres et décharger ses effluves gourmandes et roussies dans une apothéose gustative enthousiasmante. On a les doigts qui collent. Ce plat est cochon.

De leur côté les saucisses sont-elles sèches ? Oui et non. Les tranches de saucisses sont si fines qu’elles en sont devenues presque croustillantes, texture qui complète très bien le délicieux chou de vacoa, toujours plus fort en gueule que le palmiste, avec son fumet spécial. Les proportions équilibrées autorisent des bouchées où les saucisses teintent le vacoa de leur grâce grasse et poivrée. C’est délicieux. Nous allons essayer à la case avec du ti-jacques pour voir.

Du côté du poulet, fermier, on a fait vérifier, c’est la même chanson. Le poulet est généreusement enrobé de sa sauce cari épaisse, où toutes les épices et les tomates ont compoté de manière académique. Le palmiste ne fait pas moins bien qu’avec la patte sus mentionnée. Cela sent bon la cuisine d’antan, avec un roussi magnifique, où la bonne odeur un peu grasse vous déclenche des tsunamis salivaires. Il y aurait des leçons à prendre pour certains chefs pas au point sur ce genre de plat, dont le dernier testé nous avait servi du palmiste où l’on avait presque laissé un plombage. Du côté du riz, tout est parfait. Les grains bombés, et légèrement attachés entre eux, fournissent des bouchées jubilatoires. Pas de grains. C’est la politique de la maison. La raison invoquée étant que les grains sont susceptibles d’indisposer le palmiste en ne le laissant pas pleinement s’exprimer. Voilà une position fort louable du chef. Le rougail concombre, en revanche, à notre humble avis, aurait été avantageusement remplacé par un rougail tomate piment cabri par exemple. Question de goût.

Mathilde est revenue. Elle repart avec les assiettes vides sous des soupirs de « goût de pas assez », toujours aussi guillerette, puis nous ramène les desserts. Fondant au chocolat, café gourmand avec des gâteaux ti-son maison, tonton ! Le chocolat du fondant est à courir sous l’averse en chantant à tue-tête « Singing in the rain«  avant l’arrivée des infirmiers de l’EPSMR. Les glaces sont celles de Ste! glacier. Ellesne sont pas dans leurs petits souliers. C’est de la bombe. C’est d’ailleurs en suivant la page Facebook de maître Soulié que nous avons connu l’existence de l’Atelier. Qu’il en soit remercié. Le gâteau ti-son est une pure merveille. Moelleux comme une éponge trempée dans le beurre, ce fils de maïs esquisse sans malice un pain d’épice à notre bénéfice.
Mathilde est revenue, et nous repartons, repus, après avoir réglé une note de 104 euros pour trois personnes, boissons, entrées, plats et desserts, plus un café. Soit 34 euros et des gouttes de pluie par tête. Le rapport qualité prix est très bon.

La famille Payet a ouvert son établissement voici quelques semaines seulement. Ulrich, le chef, a appris à cuisiner avec son papa Fred, et, visiblement, il maîtrise parfaitement toutes les arcanes de la cuisine réunionnaise traditionnelle. Il a décidé de mettre en valeur la production agricole familiale, le palmiste, mais aussi les autres produits du Sud sauvage, dans un restaurant d’une trentaine de couverts. Service parfait, cuisine excellente, cadre simple et propre, avec vue sur l’océan, autant de raisons pour décerner tout de suite la fourchette d’or à l’Atelier Palmiste Rouge.

« Amis ne comptez plus sur moi
Je crache au ciel encore une fois Ma belle Mathilde puisque te v’là te v’là »
Jacques Brel

Le Vieux Port, une cuisine généreuse à déguster sur l’herbe

Aujourd’hui nous « descendons » au Vieux Port, restaurant du Tremblet, à deux pas d’un autre établissement réputé et bien noté : la Case Volcan.
Notre dernière visite remonte à 2012, année supposée de la fin du monde. 2020 étant certainement la fin d’un monde. Le vieux longanis trône toujours devant la petite case créole, et offre son ombre aux tables dressées à l’extérieur, sur la pelouse. Le ciel étant capricieux, nous préférons nous réfugier prudemment à l’intérieur.


L’accueil est souriant et sympathique. Nous nous installons. Au menu du jour : rougail saucisses, morue palmiste, rougail zandouille, rôti de porc palmiste, cari poulet palmiste et cari de camaron, les prix allant de 15 à 20 euros.
Nous choisissons le rougail zandouille et le cari poulet palmiste. La salade de palmiste à 10 euros n’est plus disponible. « C’est sur réservation, le cari de poisson rouge également » nous explique-t-on. Ce sera pour la prochaine fois

Nous n’avons que le temps de siroter l’apéritif, avant que les plats ne soient servis.

L’andouille est coupée en tranches bien homogènes. Il s’agit de petites andouilles comportant davantage de viande que de tripes, d’où une odeur peu agressive. A la place, une humeur de poivre et de tomate compotée assortie d’un fumet qui fait saliver.
La mâche est tendre, quasiment moelleuse, et délivre en compagnie du riz coloré de sauce de belles sensations gustatives. Là-dessus le rougail tomates bien pimenté est du plus bel effet. La fragrance de tomate fraîche équilibre le côté gras ressenti en bouche. Ce n’est sans doute pas le meilleur rougail zandouille que nous ayons dégusté, mais il n’est pas loin du peloton de tête.

Le cari poulet, en revanche, est de loin un des meilleurs de nos visites, depuis plusieurs années. Un poulet « choisi », selon le Chef, de chez Duchemin et Grondann, fermier assurément, si on en juge par la tenue de la chair de la cuisse, qui se détache d’un seul tenant de son os, toute luisante. Pas l’ombre d’une sécheresse, aucune couleur blanche de papier mâché caractéristique du poulet de 30 jours, grossi à la gonflette.
La volaille s’étale dans sa jolie sauce de cari épaisse. Elle tortille du croupion, nous fait du charme avec son odeur d’épices roussies de manière experte mélangées à un curcuma éclatant. Les bouchées sont sublimes. Elles nous évoquent ces caris des grand-mères, préparés à la marmite charbonnée, dans la cuisine en bois sous tôle, avec la lenteur consommée de gestes précis exigés par des corps douloureux de ceux qui ont longtemps travaillé aux champs. Le palmiste imbibé emballe magnifiquement tout ça, offrant aux dents une texture fondante complémentaire à celle de la viande, et laisse au nez ce parfum gourmand qui a pompé dans la sauce.

Des bananes flambées, accompagnées d’une boule de glace vanille et de chantilly, viennent clore ce repas. Un dessert aussi simple qu’efficace.

Nous roulons jusqu’à la caisse pour régler les 90 euros de l’addition, tarif pour trois plats, deux desserts et deux cafés, plus les boissons. Le rapport qualité-prix est bon.

Le Vieux Port peut aisément devenir le port d’attache des gourmets amateurs de bonne cuisine créole, si chaque jour que Dieu fait, il propose des plats aussi goûteux que ceux que nous avons dégustés. Une cuisine authentique, bien ancrée dans le terroir, et familiale. Rien à dire sur l’accueil et le service à notre niveau, bien que nous ayons observé quelques cafouillages pendant le « coup de feu ». Le soleil, finalement au rendez-vous, a permis aux convives de déjeuner « sur l’herbe ».
Une adresse qui mérite de figurer sur la liste des meilleurs restaurants créoles de la Réunion.

À La bonne table paysanne des Fiarda

En haut du Chemin de Ceinture, au Baril, entre forêt et champs de cannes, L’auberge paysanne Les Palmiers et son luxuriant jardin accueille gourmets et gourmands depuis une douzaine d’années. Jules-André et Marie-Line Fiarda y cultivent l’amour de la cuisine et l’art de recevoir.

Il est de ces lieux un peu magiques, comme hors du temps, qui vous dépaysent et vous permettent de trouver le calme intérieur. Devant la porte de l’auberge, Buddha monte la garde. Sur sa droite, les fameux palmiers éponymes offrent leur ombrage à une table en bois. Le jardin se prolonge jusqu’à l’arrière de la maison, plus privé, ou un pied de Cœur-de-Bœuf profite du soleil capricieux de Saint-Philippe.
Nous voilà apaisés, mais « goni vide tient pas dobout », il est temps de passer à table.
L’espace réservé aux clients, tout en longueur, suit pour ainsi dire le jardin jusqu’à l’arrière. Marie-Line y a disposé quelques tables à part, pour que chaque groupe ait son intimité. Elle peut accueillir jusqu’à 120 personnes, mais les temps ne sont pas propices aux grandes agapes.
Ne vous offusquez pas si vous arrivez de bonne heure et que vous ne voyez personne. La cuisine va sonner le branle-bas-de-combat, surtout si plusieurs dizaines de convives sont attendus. Un bon vieux « na d’moune », le cri au baro, et pas du Pétrel, suffira à faire venir Marie-Line ou une aide-de-camp, charlotte réglementaire sur la tête, qui vous invite à « prendre un asseoir » et à entamer les trois rhums arrangés que tonton Iréné a repéré depuis le jardin.
Vous avez le temps de prendre des nouvelles de toute la clique arrivant au fur et à mesure, #vilé bienmwinlébienmerci, avant que les samoussas soient servis.


Samoussas palmiste et poulet, pour nous, à pâte fine et croustillante, avec quelques vapeurs pimentées sans exagération, et quelques chips de bananes sur lesquels se jette la marmaille affamée.
Pendant ce temps quelques-uns ont déjà le nez dans leur petits verres. Les rhums arrangés sont succulents. Un jus de tangor frais arrange les gosiers softs. C’est la saison.
Les conversations tournent déjà autour de la politique et de l’actualité quand Marie-Line arrive avec les plats. Ce sera cari poulet palmiste et boucané chou de vacoa pour nous aujourd’hui. Taïaut !

Le poulet est fermier, pour sûr. La vue le suggère, avec cette belle couleur de roussi curcumaté. Les dents le confirment. C’est ferme. Les cuisses sont fières, les ailes aussi, et on prend plaisir à dépiauter la viande de l’intérieur des côtes où tout le goût s’est concentré, appuyé par quelques restes d’entrailles. « O ki lé lo gésier ? ». « A la in bout, pas besoin batay ».

Un petit verre de Bordeau là-dessus tourne la page pour l’autre cari. Le chou de vacoa est presque croustillant, tout imbibé du fumet du boucané. C’est d’ailleurs davantage un chou de vacoa au boucané, ce qui ne nous dérange pas le moins du monde, bien au contraire. Avec le bon riz, ça fait des bouchées magnifiques. Le rougail concombre au piment éclatant fait merveille par-dessus.
Les lentilles sont délicieuses, avec leur parfum de terre rincée par une averse longtemps attendue.

Pause. C’est l’heure où les estomacs sont remplis. On taille quelques costumes. Des élus, les belles-doches, plus des voisins indésirables sont rhabillés pour l’hiver jusqu’en 2030.

Le gâteau chouchou arrive, avec un jus de bissap pour lui fouetter les flancs. On va lui trouver une petite place, pas d’inquiétude. Il est assez moelleux pour ça, avec un sucre dosé juste assez pour préserver les saveurs délicates de cette pâtisserie péi.

Jules-André fait le tour des tables. Il nous raconte les débuts de l’auberge, montée sur un « travailler plus pour gagner plus » d’un président à talonnette. L’agriculteur a investi pour « ne pas mettre tous les œufs dans le même panier ». Il contemple son jardin, et évoque avec une pointe de regret ce trou d’eau jaillissante qui, autrefois, abreuvait les quelques habitants du coin, en plus des lièvres, et en lieu et place duquel pousse aujourd’hui un palmier.
« L’eau est encore là, il faut juste creuser pour la trouver » lâche-t-il comme s’il avait une vieille idée derrière la tête.
Il est encore jeune, mais pense déjà à la transmission. Le fiston, élevé dans la conscience de la valeur du travail, pourrait un jour prendre la suite, perpétuant pour les générations à venir cette hospitalité réunionnaise que nos touristes apprécient tant.

Les Palmiers, auberge paysanne
21 Chemin de Ceinture
0692 69 03 48

La Marmite du pêcheur

A Saint-Philippe, quartier de la Ravine Ango, avant le village quand vous venez de Saint-Denis, La Marmite du pêcheur propose de la cuisine créole traditionnelle, à la carte, et aussi en buffet, les week-ends et jours fériés. La grande salle avec sa petite terrasse attenante est taillée pour les réceptions. Tout a été refait à neuf l’année dernière. C’est visuellement agréable et net. Nous sommes accueillis avec le sourire et placés sur la table qui reste. Nous avions pourtant réservé le matin même. Après nous, le restaurant refuse du monde. Voilà qui est de bon augure. IMAG0095web

Il est vrai que les buffets froids et chauds sont assez copieux, et ont bel aspect. Nous ne sommes pas venus pour ça mais pour l’une des spécialités de l’établissement : le riz pilé, une fantaisie sur feuille figue affichée à 35 € pour deux yabs. L’autre plat, à base de poissons et crustacés (crevettes, moules, queue de langouste, crabe, camarons et poissons du jour), est à 30€ et porte le même nom que le restaurant.  Le reste de la carte affiche cinq entrées, dont l’irremplacable salade de palmiste rouge, à 17 €, et des caris créoles et plats métros, avec une majorité de produits de la mer. Les prix s’étagent entre 15 € le rougail saucisses fumées, et 35 € le cari de queues de langouste. Pour patienter et accompagner les jus de fruits frais, nous commandons des « fritures créoles ». Samoussas fromage, bouchons gratinés, boulettes de fruits à pain sont au programme, présentés sur des feuilles de salade fraîches, ce qui est déjà pas mal, avec une sauce piment au tempérament diplomatique. Les bonnes saveurs sont là.

Nous tombons sur le « riz pilé » à bras raccourcis aussitôt qu’il arrive. C’est un plat convivial dans la forme, qui pourrait se déguster avec les mains, et dont l’origine nous est brièvement contée sur la carte.

Nous nous enquérons du lignage du poisson et on évoque un possible vivaneau sans certitude.  Sa chair a un côté sec et tendre en même temps. C’est très honorablement cuit et assaisonné. La sauce consiste pour l’essentiel en une épaisse pellicule tomatée qui concentre le cœur des saveurs du cari. Hormis quelques arêtes rebelles, le poisson se fait boulotter avec plaisir.

Le poulet pour sa part n’a certainement pas fait le trail de la basse-cour. L’aspect de sa viande trahit une origine plus prosaique et de moyenne gamme. Les saveurs sont présentes aussi, mais assez timidement tout de même. Un cari de poulet standard et sans relief, qui ne bénéficie même pas de l’apport des palmistes empruntés au porc qui sont, eux, beaucoup plus goûtus.

Le cari de porc donne lui aussi dans le minimum syndical, avec de gros morceaux un peu secs bien que largement masticables. Nous aurions apprécié quelques bouts entrelardés par-ci par-là, histoire d’avoir un peu plus de mou en bouche et de fumet au nez.

Le minimum syndical frise la grève du zèle chez le civet de zourite. Pâle est l’affaire. Si le tentaculaire est bien assez cuit, la saveur du civet est à peu près partie laissant un poivre éteint et un goût de vin livide. Le civet se mange mais l’on s’y morfond à cent sous de l’heure.

Le riz, caché sous le cari, est assez correct, bien qu’un peu trop cuit aux entournures. L’achard de légumes vient donner sa joie de vivre croquante à cet ensemble disparates de caris moroses, assisté par des rougails classiques dont la sempiternelle sauce citron.

Le dessert, des profiteroles, a heureusement la glace vanille alerte et le chocolat claquant, ce qui compense un peu une pâte à choux déjà grabataire.

Addition : 60 euros pour deux personnes, avec un apéritif, un dessert et un café. Un tarif élevé que la qualité ne justifie pas.

Même si l’on se cantonne aux plats les moins onéreux (deux assortiments de friands créoles en entrée : 24 € ; deux rougails saucisses : 30 € ; deux ananas nature : 10 €.) Un repas en amoureux se chiffre à 64 €, sans compter les boissons. Ramener sa bourgeoise créole pour manger un rougail saucisse, surtout à ce prix-là,  c’est prendre le risque d’un divorce. Cela explique sans doute le superbe buffet à 25€, qui épatera madame et permet de goûter à tout.

De toute évidence, la Marmite du pêcheur n’a plus rien à prouver à personne. Salle pleine, équipe dynamique et cuisine relativement correcte dans l’ensemble. Nous déplorons quand même comme un manque d’inspiration sur le plat que nous avons dégusté aujourd’hui, qui plus est présenté comme une spécialité de la maison, et composé de caris qui font référence dans notre art culinaire créole. Tout cela était en effet bien terne. Manque de temps ? Energies mobilisées par la préparation du gargantuesque buffet ? Ou coup de barre ? Nous avons une vague impression de ronronnement, syndrome typique de ce genre de restaurant à succès qui finit un jour par s’endormir sur ses lauriers. Si la salle a été refaite il y a un an, il serait temps de donner un peu plus de « peps » à la cuisine, maintenant. Ce qui permettrait de justifier davantage des tarifs « touristiques » assez osés. En attendant les lauriers sont encore assez verts pour que nous décernions à la Marmite du pêcheur une juste fourchette en argent.

Pour résumer : 
Accueil :  bien • Cadre : bien • Présentation des plats : moyen
Service : bien • Qualité des plats : bons
Impression globale : bonne table
Fourchette en argent

Le Jardin des délices

Aujourd’hui nous allons prendre un bon bol d’air marin dans le grand Sud, où le temps mi-figue mi-raisin nous chasse des varangues de restaurants trop exposées. Nous atterrissons finalement au Baril, au Jardin des délices, en face de l’hôtel. 

Le restaurant, en dur, est agencé comme une sorte de rondavelle ouverte sur l’arrière. La salle d’une capacité de 40 couverts est à demi-remplie. Nous sommes accueillis par un serveur affable qui nous dévoile le menu du jour : cary canard, rougail zandouille, sauté de porc sauce saté, sauté de poulet aux champignons, sauté de porc gros piment, sauté de bœuf aux brèdes, shop-suet bœuf. Aucune entrée n’est proposée. Nous optons pour un sauté de boeuf aux brèdes, changé pour un sauté de porc aux gros piments pour cause de disparition du boeuf, très demandé visiblement. Le rougail zandouille emportera notre suffrage contre le canard.

Pendant que nous sirotons les rafraîchissements, les odeurs de fond de karail et de viande saisie nous parviennent, aiguisant notre appétit d’autant plus qu’il y a une petite attente, fort compréhensible puisque les sautés sont fait à la minute. Un petit amuse gueule ne serait pas de trop avec l’apéro. L’attente ne dure pas et nous voyons arriver les plats, avec un fumet qui en dit déjà long concernant le porc.

Ne tournons pas autour du baril : le sauté est excellent. De la viande de porc tout à fait tendre, au piquant poivré, magnifique dans son enrobage de siave, et succulente accompagnée des morceaux de gros piments encore croquants. Un plat qui a du répondant, c’est le moins qu’on puisse dire, et dont les atours salés s’atténuent mélangé au riz.

Le rougail zandouille est surprenant. La charcuterie, coupée proprement en tranches, n’exhale pas cette odeur caractéristique de tripaille et de poivre à laquelle on peut s’attendre. A la place, nous avons une humeur légère avec un fond de fumé, fort satisfaisant au nez de toute façon. La sauce est quasi absente, ne recouvrant les tranches qu’à la manière d’une pellicule, avec quelques morceaux de tomates ici et là. Ce plumage sobre n’a rien à voir avec le ramage, très respectable. En effet, l’andouille est savoureuse malgré des saveurs de tripes sages. Son onctuosité et un bon équilibre entre les parties sèches et le gras font merveille, révélant avant celle du chef, l’expertise d’un bon charcutier. Et le chef a le mérite de respecter un produit, dont il est sûr de la valeur, en ne cherchant pas à le maquiller d’une manière ou d’une autre.

Les accompagnements sont corrects dans l’ensemble. Le riz avait un goût de pas assez, ce qui est fréquent quand les plats sont bons. Le rougail tomate était un peu quelconque. Nous avons demandé un piment vert « crasé », pour jouer avec l’andouille en mode fortissimo, parce qu’elle le valait bien. Quelques brèdes auraient fait osciller la note vers du 18 carats mais nous ne pouvons que constater la rareté des verdures sur les tables des restaurants créoles, au grand désespoir d’Ernestine.

Une crème brûlée aux amandes amères et des bananes flambées viennent clore le repas. Rien à dire de particuler à leur sujet.

La note s’élève à une quarantaine d’euros et des grains de piment, pour deux personnes, boissons, plats, desserts, plus un café. Correct. L’établissement ne prend pas les cartes bancaires.

Repas fort plaisant que fut celui-là. Dans un cadre sans chichis et ouvert sur un espace vert reflet d’une nature domestiquée typique du coin, le Jardin des délices vous propose une cuisine excellente, simple et efficace. Nous nous sommes quand même étonnés de ne pas avoir de produits du terroir au menu, tels que le vacoa. Mais peut-être que ce n’était tout simplement pas le jour. D’autre part, outre des entrées (deux suffiraient), des amuses-bouches et des rougails plus variés auraient été les bienvenus, comme un rougail bringelle par exemple. Si nous cherchons ainsi les poux et les lentes, c’est qu’en définitive il ne manque vraiment pas grand chose pour que la fourchette d’or tombe. Par conséquent nous décernons au Jardin des délices une belle fourchette en argent avec recommandation de l’équipe

Pour résumer : 
Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats : moyen
Service : très bien • Qualité des plats : très bons
Impression globale : bonne table
Fourchette en argent

Le Baril

[Visite en août 2013]

Aujourd’hui nous voilà partis vers le joli quartier du Baril, à Saint-Philippe, pour mettre les pieds sous la table du restaurant du même nom. « L’hôtel-restaurant » devrions-nous dire, en cours de rénovation de ses chambres, « par boute » comme dit le créole. 

 

A notre arrivée nous constatons que la salle aussi aurait besoin d’un rafraîchissement, mobilier compris. En effet, le style général fait vieillot. La grande pièce de plus de 130 couverts sent la moisissure. Son seul intérêt étant les baies vitrées donnant presque directement sur la falaise et les vagues qui s’y brisent. En préambule de cette visite, nous avions été consulter le site de l’établissement (www.lebaril-reunion.com) qui est pour le moins à l’image du lieu : pas très glamour dans sa présentation, et, fait notable, présentant un encart « tripadvisor » où l’on peut lire les avis d’internautes étant passés par là. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la direction du Baril n’est pas rebutée par la critique ! Ou alors elle s’en fiche complètement, parce que certains internautes y ont le verbe sévère. 

Nous avons donc voulu nous faire notre propre opinion sur la cuisine cet établissement qui compte parmi les plus anciens de l’île et qui eut en son temps une réputation non surfaite.

On nous accueille avec sourire et politesse. Nous nous plaçons près de la baie vitrée, pour profiter de la vue. Si l’endroit est fatigué par les ans, la  vaisselle est propre, c’est déjà ça. La carte est créole, pour l’essentiel… Nous passons commande d’un gratin de citrouille au jambon et crevettes, d’une assiette créole classique avec les fritures traditionnelles, puis d’un cari ti-jacques boucané et d’un cari canard-maïs, un couple hélas rare au menu de nos restaurants et qui fleure bon la tradition.

Sans crier gare, et sans plus de commentaires, la serveuse nous dépose quatre beignets en guise d’amuse-bouche, et pfuiit, passez muscade, file à ses occupations. On ne saura pas ce que c’est, sinon que cela avait un vague goût de je ne sais quoi, du pimpin, peut-être, écrasé par celui de la friture…

Parlons maintenant des entrées. D’abord, le gratin de citrouille « au jambon et aux crevettes ». Il faut bien chercher les crevettes. De toute manière, il vaut mieux parler d’un gratin de béchamel parfumé à la citrouille, et encore, tant le cucurbitacée fait pâle figure, en quantité comme en saveur. De plus le fromage du dessus a un peu trop brûlé et a coulé sur les bords du ramequin. Ça fait négligé, d’autant que l’affaire est un peu froide, un peu chaude, « par place ». La note finale va être gratinée aussi, on le sent comme ça.

Les fritures créoles étaient mangeables mais passablement insignifiantes. Aucune originalité dans la présentation, une humeur de cumin dans les samoussas, puis le néant gustatif.

Déjà mal disposés, nous entamons les plats de résistance par le canard accompagné du maïs. Le plat est, autant le dire tout de suite, sans intérêt. La viande filandreuse et d’une pâleur sépulcrale n’a aucune espèce de tenue. La sauce est claire comme de l’eau, et en bouche les saveurs sont en veilleuse. Rien à voir avec le goût franc du collier au fumet incomparable d’un cari canard traditionnel exécuté dans les règle de l’art. Le « fameux » poulet certifié « la cour » présent à la carte sous-entendait-il les origines moins fermières de l’anatidé ?

Ce n’est pas la présence du maïs qui changera quoi que ce soit. Celui-ci est en effet aussi pâle en goût que le cari, et servi dans le plat par agglomérats collants, sans le moindre souci de faire bonne figure.

Le cari ti-Jacques boucané pour sa part est un scandale. Il a été oublié au feu, visiblement. L’ensemble est archi-roussi. Cela se voit déjà à l’oeil nu et la dégustation ne laisse aucune place au doute. Le ti-Jacques imprime une amertume trop présente sur la langue, retirant toute valeur à la préparation. Le boucané en lui-même est mangeable mais sans plus. L’ensemble suinte le gras jaune d’une huile bas de gamme chargée de safran­­­­. Rien à dire sur le riz, servi en grande quantité, ni sur les pois du Cap et les lentilles, standards.

Nous arrêtons le carnage (et les frais !) en ne prenant pas de dessert (crème brûlée, banane flambée, tutti et quanti). Total de l’opération 51,50 euros pour deux personnes, soit un peu plus de 25 europar tête. Un peu cher vu la qualité de l’ensemble. 

Non, nous ne vous dirons pas que la cuisine du Baril, c’est du bidon, ni autre billevesée du même tonneau. Nous ne vous dirons pas non plus de ne pas y aller… au contraire. Il se peut que vous tombiez sur un bon jour, et que le chef soit de bonne composition. Parce qu’aujourd’hui, en cuisine, c’était du grand n’importe quoi. Mitonner des plats, arranger un semblant de présentation, tout cela était le cadet de leur souci. Autant dire que vu la concurrence qui pousse (et poussera) dans les alentours, telle la mousse sur les laves (et que nous visiterons tantôt), il y a de toute façon quelques questions à se poser sur le Baril. La dégustation de ce jour leur valant, hélas, une fourchette en plastique. Fermez le ban.

Pour résumer : 
Accueil :  bien • Cadre : moyen • Présentation des plats : aucune
Service : moyen • Qualité des plats : très moyens
 Impression globale : médiocre
Fourchette en plastique

Le Vieux port

[Visite en octobre 2012]

 

C’est par un temps de curé que, les kilomètres derrière nous, Le vieux Port nous  ouvre ses portes, dans  la fraîcheur de son petit  jardin luxuriant du sud sauvage, pas très loin de la fameuse coulée de 2007, au bord de la RN2, côté mer.

De la route, à vrai dire, on n’aperçoit presque pas le restaurant lui-même mais plutôt les tables dressées dehors sous de grands parasols. Un panneau marque l’endroit, en annonçant « We speak english », et ça c’est « a very good thing » gageons-le. Beaucoup d’autres devraient en prendre de la graine. 26 couverts attendent dehors pour l’heure. L’établissement en totalise une soixantaine. Nous sommes accueillis avec spontanéité et gaité, de la bonne vieille hospitalité créole. Nous nous installons dehors, dans l’herbe, l’endroit est un brin bucolique, et il y fait frais ; des atouts certains malgré une trop grande proximité de la nationale, où, par ces dimanches de vacance, la circulation est assez dense.

La jeune demoiselle qui nous a reçu nous apporte la carte, et des publications touristiques sur la Réunion. Attention louable à l’égard de nos visiteurs l’outre-océan. La carte nous intéresse davantage. Elle présente plusieurs variantes de salades, toutes à base de palmiste, certaines d’entre elles mélangeant les ingrédients, légumes divers et viandes, comme de la saucisse ou du boucané pour l’une, ou des camarons pour une autre. Voilà certes une initiative originale.

Parmi les plats chauds, on retrouve notre trinité porcine de rougails péi : saucisse, andouillette et boucané, plus les mêmes cuisinés au chou de vacoa, crevettes en plus ; puis du porc, du poulet et du coq au palmiste, « le dimanche seulement ou sur réservation ». Un rôti de porc au palmiste est au menu du jour, ça tombe bien !  Nous lui adjoindrons des saucisses fumées au chou de vacoa, avec une salade de palmiste « simple » en entrée. C’est parti pour les hostilités. Nous patientons en sirotant un bon petit punch maison, dans lequel nous détectons à la fois une acidité et une amertume rapellant le combava ou le citron-galet. Très rafraîchissant.

La salade de palmiste nous est déposée déjà assaisonnée. Plusieurs restaurants font cette erreur. Pensez à demander le palmiste avec l’assaisonnement à part. Souvent, et c’est encore le cas ici, le citron « tue » la saveur doucâtre du palmiste. Pour autant, la salade que nous dégustons donne de bonnes sensations en bouche, avec un croquant délicat, attestant le choix rigoureux des morceaux et une fraîcheur sans contestation possible.

Les plats chauds suivent assez rapidement. Nous constatons d’abord, à notre grand désappointement, que seuls deux morceaux de palmistes garnissent le plat. C’est peu. Dommage car ils sont  fort parfumés, souples en bouche et fondants à souhait. La viande est très équilibrée, ni trop grasse ni trop sèche. Sa texture révèle une cuisson maîtrisée, étant presque aussi fondante que son compagnon palmiste.
Les saucisses fumées au vacoa ne sont pas en reste. Juste dommage qu’elles soient coupées en lamelles trop fines, laissant l’impression qu’elles font de la figuration. Les sensations sous la dents sont limitées. Peut-être est-ce là une stratégie pour mettre en valeur le chou de vacoa, qui est savoureux : curcuma et thym relèvent son parfum inimitable, aussi fin que le palmiste, avec un croquant subtil équivalent à celui de la salade. Tout cela se mélange agréablement avec le riz et finit par exploser au palais grâce au petit (trop petit !) rougail mangue.  Un mot sur les lentilles : bien en crème, ils dégageaient comme une humeur de quatre-épice qui leur donnait du caractère, très appréciable avec le rôti.

Nous terminons, repus, avec le café, laissant les touristes apprécier le gâteau de patate douce ou le gâteau de manioc du dessert. Addition : 52 euros et des copeaux de vacoas pour deux apéritifs, une entrée, deux plats et deux cafés. Assez honnête au regard de la qualité globale.

Le Vieux port est ce genre de petit restaurant discret et charmant, qui cultive son attachement à la traditon culinaire créole en mettant en avant les produits du terroir. En l’occurence, le palmiste, et le vacoa. Un rapide coup d’oeil sur la fréquentation du lieu donne déjà une indication sur la qualité de ses plats. Cela fait huit ans que ça dure. Et la gouaille du patron, assez franco de (vieux) port, n’est certainement pas étrangère à ce succès. La qualité globale nous a paru très correcte, le travail des produits sus-nommés étant à l’évidence parfaitement exécuté, même si les quantités pourraient être sujettes à caution pour des « bons » mangeurs. Si d’aventure la météo promet du beau temps, nous vous conseillons fortement de réserver si vous désirez déjeuner “sur l’herbe”. Le Vieux port est une adresse que nous vous recommandons donc fort logiquement en lui octroyant une bien belle fourchette en argent.

Pour résumer :
Accueil : très bien • Cadre : très bien • Présentation des plats : passable
Service : bien • Qualité des plats : très bons
Notre impression globale : Bonne table
Fourchette en argent

L’Etoile de mer

[Visite en juillet 2012]

C’est un peu par accident que nous débarquons aujourd’hui à l’Etoile de Mer, au Cap méchant. En effet, notre destination d’origine était Vincendo, mais le restaurant que nous devions tester (recommandé par un fidèle lecteur)n’ayant aucun plat créole au menu ce jour, nous avons poussé un peu plus loin. 

On ne présente plus le Cap méchant : ses vacoas, sa pelouse épaisse, sa mer d’un bleu intense, ses pique-niqueurs du dimanche, ses balades sympa et sa dame exentrique bien connue des riverains et des visiteurs qui poursuit les gens en déblatérant des insanités bibliques, ce dont, visiblement, les autorités n’ont cure. On nous accueille aimablement dans une gigantesque salle toute de bois décorée où nous comptons pas moins d’une centaine de couverts. La grande baie vitrée permet de profiter du décor, qui nous invite déjà à une belle promenade digestive.

 A la carte : rougail saucisse, cari poulet et cari canard (au feu de bois), camarons, langoustes, bichiques (congelés bien sûr) et poisson rouge (tout frais) sont de la fête. Une très nette tendance maritime donc. Nous décidons de tester le cari de poulet, plus un civet zourite, qui est en plat du jour. Inutile de préciser que le poisson et les langoustes flirtent avec les 30 euros voire plus, et que les bichiques, vendus en double portion, tutoient presque les 50 euros.

Double portion obligatoire également pour la salade de palmiste de rigueur sous ces latitudes saint-philippoises. Nous resterons sages avec des entrées plus abordables : un gratin de palmistes et des beignets de poisson. Le temps de retourner des commodités (fatiguées, les toilettes), les beignets sont là, tout chauds. Et pas mauvais, en fait, même si nous nous attendions à quelque chose de plus proche des accras, on devine le goût de poisson sous la couche de mie de pain. Ils ne sont pas trop gras, ce qui n’est déjà pas si mal. Le gratin est beaucoup mieux. Béchamel onctueuse et bien veloutée, fromage gratiné doré comme il faut, et qui, malgré son arôme tyrannique, laisse quand même le palmiste s’exprimer. De douces lamelles fondantes au fumet délicat. Pas mauvais début, voyons voir ce que nous réserve la suite. Voici venir le poulet, jaune et la zourite, en rouge foncé. Et là…patatras !

Si le gallinacée est visiblement de la race des bouffeurs de vers de terre, nourri aux galets de la cour, (fermier, donc), si l’odeur qu’il dégage s’approche de la déontologie culinaire créole 100% pure tradition feu de bois, et s’il baigne dans une sauce en raisonnable quantité, de quoi colorer le riz juste ce qu’il faut, le plat, misère, s’avère épouvantablement salé. De quoi faire marcher un hypertendu au plafond. Même le riz ne parvient pas à faire « passer » le sel. Nous nous rabattons sur le zourite. Belote, et rebelote ! Salé itou, le mollusque, et pour le coup la saveur caractéristique du civet passe aux oubliettes, adieu girofle, vin, et autre laurier. Le seul goût qui persiste est celui, amer, des épices un peu attachées au fond, relevé, hélas, par le sel. Dommage car le zourite était bien tendre. L’excentrique iconoclaste citée plus haut vient juste à ce moment nous casser les oreilles avec ses boniments. Au lieu de la repousser gentiment et de fermer la porte, le personnel, blasé, nous sort un « on ne peut rien faire».

Seul le plat de lentilles, qui sent bon le thym et l’oignon roussi nous console un peu en atténuant ce couple de salaisons. Un maigre rougail fait de la figuration. Tomates trop mûres ou trois jours de frigo, ou les deux, l’accompagnement présenté comme « pimenté » ne ferait pas peur à un palais de marmaille zoreil tout juste sevré. Au traditionnel « ça c’est bien passé ? » de fin de service nous interrogeons l’employé au sujet des éventuels émois galants du cuistot. « C’était trop salé ? » , un peu ! « Il fallait nous le dire, on aurait renvoyé les plats et servi autre chose ». Oui, on aurait pu, mais c’est trop tard !

Une crème brûlée de ce matin ou d’hier, chaude dehors, froide dedans, vient clore toute cette affaire.

Addition : 50,50 euros pour deux personnes. Hors boissons (offertes par geste commercial). Bon tarif mais nous avions jadis mangé mieux dans cet établissement.

L’Etoile de mer n’est pas une mauvaise table en soi. Ce n’était sans doute pas son jour, mais il semble quand même que la qualité des plats soit un peu expédiée. Le côté cantine y est certainement pour quelque chose, pourtant, il n’y avait pas grand monde aujourd’hui. Aucune excuse donc pour ne pas prendre le temps de bichonner les mets. Un peu de persil sur le zourite, par exemple. Un tapis de salade sous les beignets. Un autre rougail. Des brèdes (là on en demande trop!). La présentation des plats est plus que minimaliste, c’est presque un manque de respect du client. Si en plus le sel avait été mieux dosé, on aurait même chanté un cantique avec l’autre phénomène qui voit le diable partout. Diablement moyen tout cela, oui. Ce qui explique, hélas, la fourchette en inox plantée dans la carte de l’Etoile de mer.


Pour résumer :
Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats : nulle
Service : moyen • Qualité des plats : moyen
Notre impression globale : moyen
Fourchette en inox

Le Cap Méchant

[visite en décembre 2011]

Aujourd’hui, nous nous rendons au Cap méchant, mettre les pieds sous la table du restaurant éponyme de ce lieu magique prisé des touristes tout frais, des groupes en tout genre et des familles créoles. Le Cap Méchant est à Saint-Philippe ce que le Reflet des îles est à Saint-Denis, un poids lourd de la gastronomie créole traditionnelle.

Il partage le site avec deux concurrents : l’Etoile de mer et le Pimpin, que nous visiterons l’année prochaine. Pas de souci pour se garer : le parking est vaste (et poussiéreux). De l’extérieur, l’établissement ne paie pas de mine. Et de l’intérieur non plus, d’ailleurs. La décoration est inexistante, pas le moindre bouquet de fleurs sur les tables. L’endroit est divisé en zones tout autour d’un grand espace vide que nous supposons être la piste pour les soirées dansantes. Le lieu est calibré pour recevoir beaucoup de monde (plus de 300 personnes). L’accueil est cependant convivial. Nous nous installons à la terrasse, pour profiter de l’air marin ouvreur d’appétit.

A la carte : plats chinois et créoles essentiellement. Tandis que nous la compulsons, on nous emmène l’apéritif, un punch maison au fruit de la passion et un jus de mangue frais très goûteux, qui déclenchent un sourire de plaisir. Nous prendrons un cari bichiques (de saison) et un civet de canard.

Et pour nous éveiller les papilles, nous choisissons un gratin de palmistes. Ce dernier nous arrive brûlant, et c’est par petites touches que nous entamons la dégustation. Nous soulevons la fine croûte de fromage et la gardons pour la fin, pour pouvoir apprécier pleinement le palmiste. De bonne texture, coupé en morceau suffisamment gros pour ne pas disparaitre totalement dans la béchamel, le palmiste est divin. Juste assez de poivre pour relever le tout, une dose de sel idéale, un vague parfum de muscade et une crème onctueuse précipitent la fin du gratin dans son apothéose : la croûte du fromage, en un plaisir gustatif presque violent. Le temps d’une pause, et les bichiques sont servis. Sans piment vert « crasé ». Sacrilège. Ce n’est certes pas le rougail tomates qui convient ici, même si celui-ci est bon. Nous réclamons notre « piment Martin » qui nous est livré derechef, avec une explication : « On en mettait autrefois, mais la clientèle touristique a un peu de mal »…

Le cari bichique, lui, ne s’en porte que mieux. Juste un bout de cuiller de piment saupoudré dessus et c’est le soleil sur la forêt primitive après les grandes pluies. Tous les parfums remontent, et en bouche, c’est sublime. Le cari est « sec », comme il faut, les alevins ne sont pas abîmés, ce qui révèle une main experte dans le « tournage » en marmite avec un coup de poignet et la délicatesse requis. Le curcuma joue la partition à la perfection avec le gingembre, une humeur de thym amène de la fraîcheur, chaque épice vient porter la saveur exquise des bichiques, qui se savourent du coup autant avec la bouche qu’avec le nez. Le canard, quant à lui, est noir. Mais pour le coup c’est un heureux présage. La viande est ferme, rouge à l’intérieur, et les épices « croûtées » dans le vin en une sauce rare, épaisse, mais délicieuse, ont imprégné le canard au coeur. La viande se laisse mâcher en souplesse, libérant cette légère amertume caractéristique du vin cuit et le civet s’en va. Point de dessert. Nous sommes repus. Addition: un peu plus de 85 euros pour deux personnes. La faute aux bichiques, (22 euros la portion, deux portions minimum obligatoires) mais c’est sans regret.

Le Cap Méchant, ayant pignon sur falaise depuis des lustres, poursuit son petit bonhomme de chemin en proposant à ses convives une cuisine de qualité. Un défi pas facile tant il est aisé de tomber dans le tout venant culinaire face à la pression touristique. Pour autant, le service semble en pâtir un peu, même s’il demeure efficace et aimable. Mauvais point en revanche concernant le cadre, trop dépouillé. Il suffirait de peu de chose pour rendre le lieu plus attrayant et plus confortable. Aucun effort non plus n’est fait sur la présentation des plats. C’est un peu à la bonne franquette, c’est sans doute plus sûrement une question de manque de temps, ou au pis, de motivation. Ce côté « cantine » retire au restaurant la possibilité d’avoir une fourchette d’or, que sa cuisine mérite pourtant. Par conséquent, nous attribuons au Cap Méchant une très belle fourchette en argent. Si vous y allez le week-end, il est prudent de réserver.

Pour résumer
Accueil : bien • Cadre : très moyen • Plats : très bons
• Rapport qualité/prix : correct
Notre impression globale : très bonne table
Fourchette en argent