Labrèz, la tradition culinaire aux portes de l’aérogare

Aujourd’hui nous allons fureter du côté de la zone aéroportuaire de Gillot, pour acheter des barquette au restaurant « La Breiz », un cabanon posé à côté du rond point ouest, côté aérogare donc. L’affaire est une émanation de la célèbre auberge de campagne des Robert du Piton Fougère, pour l’instant sans activité vous devinez pourquoi.

Labrèz, nom qui évoque les feux de bois et les caris qui cuisent dessus, propose un menu quotidien éclectique, fait de plats courants et moins courants. Ce midi, nous avons droit à du riz-maïs, très rare dans les restaurants, et à tort, qui accompagne un civet de sanglier, un cari coq fermier ou un cari de dorade gros piment, au choix. Un taboulé menthe citron et des brochettes yakitori contentera les client(e)s souhaitant déjeuner autrement que local.

L’accueil est poli, et un peu brouillon. On parle fort, on s’interpelle, et le client regarde tout ça le sourcil en l’air. Le service est jeune, et vu sa tête, aurait envie d’être ailleurs. Aucune importance en la circonstance puisque nous repartons avec les barquettes plus un dessert. Home sweet home. Cari sweet cari. Nous débouchons le coq, et attaquons.

L’estampillé « fermier » a bien l’air de l’être. Les premiers coups de dents dans la viande révèle une texture ferme, presque croquante, mais souple, qui participe efficacement à la diffusion du fumet du réveil matin des basses-cours. Ce dernier peut faire l’intéressant. Il l’est. Et la sauce cari qui l’embaume de ses réminiscences épicées, se joint au riz maïs avec bonheur, comme l’aurait fait le traditionnel cari « canor ». Le bouchées sont délicieuses, et évoquent ces vrais caris des hauts, ou la viande a confit sans tomate dans la marmite au feu de bois.

Il a suffit de quelques morceaux de fond de bac pour nous donner ce plaisir, le cari ayant été largement commandé. Le coq la gaign’ in’ kok. Jugez plutôt si nous avions pu mordre à pleines dents la cuisse de l’emplumé.

Nous poursuivons avec le poisson. La Dorade n’est point fade. Bien au contraire. Elle s’installe en bouche après le coq et prend ses aises. Une odeur un peu musquée suinte de sa chair tendre qui offre une mâche plaisante. Ça sent le fond de corail à marée basse, quand le lagon a les fesses à l’air. C’est fort probablement du poisson frais, en cas contraire, c’est bien imité. Et bien cuisiné. Le « gros piment » annoncé est en revanche aux abonnés absents, excepté un morceau ou deux qui traînent ici et là, trop cuits, comme des misères. Cela n’apporte pas grand chose au plat de toute manière, d’autant qu’avant de trouver la variété de gros piment qui est fort et qui a du goût, faut se lever de bonne heure, à moins d’en avoir dans sa cour. Un petit piment vert « crasé » avec du sel et du combava et c’est nous qui aurions bavé.

Nous finissons avec le sanglier. Voilà un civet fort intéressant. Il n’en faudrait pas beaucoup plus pour nous donner des raisons d’aligner ici des compliments dithyrambiques. La viande toute imprégnée de vin cuit, envoie des charges gustatives équilibrées, où le girofle bat la mesure en arrière plan, aidée d’un laurier discret mais efficace. Les morceaux du sanglier se donnent tantôt durs sous la molaire, tantôt moelleux, avec des morceaux de peau luisante, couleur bronze, qui résistent juste assez avant de coller légèrement, envoyant une deuxième salve fumée qui laisse en avalant un soupçon acidulé. Ce civet est succulent.

Nous avons évoqué le riz. C’est très bien de proposer cela pour rappeler aux Réunionnais leur tradition culinaire. Et du maïs pur aussi pourquoi pas, même si gramoune i dit qui fé monte son tension. Le rougail « zognon » fait son travail, tout comme les haricots veloutés et fondants. Tout de même, avec des plats aussi « feu de bois » compatibles, d’autres auraient fait plus d’effet, comme un rougail tomate arbuste par exemple, le fruit est disponible en ce moment sur les marchés, ou des piments verts confits entiers, ceux qui arrachent les larmes quand on y croque.

Le flan au chocolat fait maison, à la texture soyeuse, vient clore agréablement le repas.

Pas de malaise à Labrez, asteur nout’ ventre i pèse ! Les caris de ce jour étaient très bons, ce qui confirme les avis divers qui nous sont remontés. Même sur le littoral, presque sous le nez des avions, on peut déguster une cuisine fidèle à la tradition : goûteuse, généreuse, bien exécutée, avec ce côté fumé et feu de bois qui ouvre l’appétit, comme si on était perché sur le piton, à déjeuner sur l’herbe, avec la braise qui finit de cuire de gâteau manioc, le brouillard qui descend, et le bon air frais qui rend les siestes heureuses et crapuleuses. Les touristes, quand il y en a, n’ont finalement pas besoin d’aller très loin pour avoir un bon aperçu de nos caris. Vivement les pique-niques foutor ! Bon dimanche à toutes et tous.

Le restaurant du Cap

[Visite en juillet 2013]

Un pique-nique au bord de l’eau, ça vous dit ? Par ce beau samedi ensoleillé, nous partons pour une balade sans but précis, et finissons par arriver dans la bourgade Sainte-Marienne de la Rivière-des-Pluies, où les habitants vaquent à leurs occupations de ce début de week-end, qui chez la coiffeuse, qui au marchant de légumes, qui en recueillement à la Vierge noire. Nous stoppons devant le Restaurant du Cap, juste à côté de la station service, à quelque distances du vieux pont en venant de la Technopole.

Trois tables et quelques chaises, la vitrine où sont présentés les plats du jour, l’armoire à boisson, quelques glaces et la caisse : nous sommes dans un de ces petits restaurants de quartier sans prétention, propre et bien entretenu. Quatre personnages s’activent, en uniforme blanc, toqués et rasés de frais, pour servir avec dextérité et sourire la clientèle qui défile. Entre les voitures qui arrivent et qui repartent, les caris qui changent de contenant et le sonnant et trébuchant à la caisse, tout à l’air d’être parfaitement huilé comme à la chaîne de montage. Au menu ce jour : sauté de porc, poulet au chouchou, massalé cabri, poisson au gingembre et les quasi-incontournables sauté de mines et riz cantonnais. « Trois, à emporter s’il vous plait » : le massalé (l’un de nos plats phares avec le cari de poulet qui nous sert souvent de mètre étalon), le poisson (dont la couleur orangée nous interpelle) et le sauté de porc. Le menu de la semaine entière est affiché de toute façon, pour savoir ce qui vous attend, ou ce que vous avez raté, selon le jour.

Nous voilà repartis les glandes salivaires au taquet, vers les berges de la rivière-des-Pluies, via la route grimpant vers Moka. A deux ou trois cent mètres après la dernière maison, nous trouvons un charmant espace de verdure, propre à part un vieux moteur désossé qui traîne dans un coin, et de toute évidence prisé des pique-niqueurs si on en juge par les foyers depuis longtemps refroidis répartis sur le site. À quelques dizaines de mètres en aval, le doux son continu de l’eau courante se superpose au silence. Plus haut, un bras de rivière asséché, où vient mourir une pelouse encore humide, nous dégage la vue des hauts de Sainte-Marie. Nous nous installons sous un grand filao, et, après un bon bol d’air frais, entamons les hostilités. Nous ne sommes pas les seuls à avoir faim, les moustiques aussi (si vous y allez, prévoyez en conséquence).

Le sauté de porc exhale tout de suite ses parfums de cuisine chinoise poivrée, entre Siave et sauce d’huître, avec des légumes tranchés menu en fin de croquance. Les morceaux de viande ne sont pas gras du tout, et bien moelleux. La dose de sel est correcte. L’affaire se situe, gustativement parlant, entre le shop-suey et le porc sauce grand-mère.

Le massalé est dans les clous. Bien parfumé aussi au déballage, avec présence des feuilles de caloupilé. La viande est tendre, presque trop à vrai dire, tout ça manque un peu de tenue à la vue mais demeure parfaitement correct au palais. Le massalé a de la personnalité, assisté de ce petit piquant acide qui va bien. Il eut été mieux arrangé avec un rougail concombre bien fouetté au piment vert, qu’avec le rougail Dakatine de rigueur aujourd’hui.

Le poisson au gingembre tient la route également. Le « Zingiber officinale créolitum » (gingembre la cour quoi !) ne nous agresse nullement tout en étant bien affirmé. Le poisson en passerait presque au second plan si ce n’était la petite touche sucrée réglementaire, qui, associée à la douce épaisseur de la robe enfarinée des morceaux, nous rappelle le légendaire poisson au gingembre de feu le Ti-couloir, à Saint-Denis, dont les moins de 20 ans se fichent comme de leur première barquette.

Le sauté de mine est passé à la trappe. Un « ti’guine » trop salé celui-là, et comme glutamaté plus que de raison et bien trop gras à notre goût. Mais certains doivent aimer, s’ils le vendent. Les mines exceptées, donc, les autres barquettes sont proprement nettoyées, et le tout pour 20 euros avec deux boissons. Nous nous dégourdissons les jambes dans ce joli petit coin de verdure, en nous disant que finalement tout cela serait bien descendu avec un baron bien connu localement, frais, n’en déplaise à ses détracteurs, avec la mère Modération et deux ou trois joueurs de dominos, comme ça.

Bonne note pour l’équipe du Restaurant du Cap, qui fait valser les barquettes depuis bientôt dix ans du côté de la Rivière-des-Pluies, avec constance et sa cousine régularité, au vu du nombre de personnes qui défilent, l’hypothalamus déjà soulagé à la vue des caris étalés sans pudeur. Au passage, ce n’est pas parce qu’on sert des plats à emporter qu’il ne faut pas soigner la présentation. Un peu de déco culinaire (une feuille de persil par ci, une rondelle de citron par là) égayeraient un peu les bacs ! Nonobstant ce chipotage, nous gratifions Le Restaurant du Cap d’une fourchette en argent.

Pour résumer : 
Accueil : très bien • Cadre : moyen • Présentation des plats : buffet
Service : bien • Qualité des plats : bons
Impression globale : bonne table
Fourchette en argent