Les Letchis, rapport qualité prix perfectible

Comme à notre habitude nous arrivons de bonne heure, le restaurant ouvrant dès 11h30. Rien n’a changé en 5 ans. Toujours le même toit en tôle sur la terrasse qui nous avait choqués lors de notre dernier passage, nous qui avons connu cet établissement avec les tables sous les arbres.

Les intempéries avaient été évoquées comme explication à cet enlaidissement de l’endroit. Les bassins à l’entrée, où nagent les poissons, sont toujours là, mais ils auraient besoin d’un bon nettoyage. Dans le prolongement de la terrasse, un caillebottis fatigué, qui s’affaisse quand mon marche dessus, accueille quelques tables et on nous y installe. Après les épisodes de pluies intenses, le ciel est d’un bleu magnifique. La Rivière des Marsouins chante a quelques mètres, et des pieds de longanis chargés s’y penchent. Tout cela est très bucolique, mais la fumée d’un feu, un peu plus loin, est assez désagréable.  L’accueil est aimable, détendu et très professionnel.

Aujourd’hui, en sus de la carte, on nous propose du poisson rouge. Nous sommes au courant. Mais la photo sur la page Facebook montre des juvéniles, et notre expérience a montré qu’ils sont parfois bien moins goûteux que les adultes, lesquels ont logiquement mangé davantage et nagé plus longtemps dans l’océan. Aller pêcher ce genre de poisson sans attendre qu’ils grandissent, c’est un peu la même histoire qu’aller casser toutes les mangues vertes de leur pied, sans en laisser à mûrir. L’appât du gain immédiat.

Nous ne prenons donc pas le risque, et nous nous rabattons sur l’un des plats qui a fait la réputation du lieu, selon la recette du sieur Lhomond père, à l’époque patron du restaurant, le canard braisé. En préambule nous demandons un mojito sans alcool qui nous rincera avant d’attaquer la salade de palmiste rouge (présenté comme tel en tout cas) choisie en entrée.

Si le palmiste est probablement rouge, son dressage ne laisse pas l’apprécier à sa juste valeur. Nous avons droit, une fois de plus, à cette sempiternelle découpe en fines lamelles qui n’autorise qu’un croquant limité impropre à apprécier la saveur subtilement lactée de ce produit d’exception. Tout ça sous prétexte que c’est joli. Mais on s’en cogne la couenne que ce soit joli, ce qu’on veut c’est que ça ait du goût ! Et là, le goût est forcément limité, et ce ne sont pas les quelques filasses un peu dures, signe d’un dépiautage pas trop soigneux, qui peuvent y remédier. L’assiette est aimablement enlevée, et le canard promptement servi, avec ses accompagnements.

La couleur fait plaisir à l’œil. C’est foncé, c’est luisant sur les bords, ça respire le fumet de fond de vieille marmite, celles qui sont si carbonées qu’il faut les nettoyer au marteau piqueur. Des reflets de poivre, de thym et de girofle, poussés jusqu’au bout du bout d’un roussi dans le gras qui va chatouiller le brûlé sans franchir le point de non retour, nous rappellent ce monument de cari dégusté voici quelques années chez les compères Pat’Jaunes. La première bouchée confirme. Si la viande affiche quelques filandres, elle n’en demeure pas moins moelleuse, presque confite. Les morceaux colorent le riz, puis on ajoute une cuillère de haricots bien en crème, puis un peu de rougail d’orangine, et c’est le paradis en bouche.

Le rougail bringelle est aussi très bon, mais manque de ce côté fumé-cramé du soulier verni qui a tâté du feu directement. Le rougail d’orangine est mieux présenté que la fois dernière. Il est délicieux, mais nous supposons qu’il aura mieux fait son travail en compagnie du poisson rouge que Sarah Patel a eu dans son assiette ce midi là, après que nous ayons quitté les lieux. En revanche, une fois la fumée dispersée, nous avons été incommodés par l’odeur du tapis de letchis pourri à proximité de notre table. Leur état indique qu’ils ne sont pas tombés dans la nuit et qu’ils macèrent ainsi depuis plusieurs jours, sans que personne ne connecte deux neurones pour aller les ramasser. Cette négligence aux conséquences tant olfactives que diptériques est parfaitement inacceptable dans un établissement qui affiche de telles prétentions, avec des tarifs plutôt salés. Les ronds de jambes devant les clients, c’est bien, l’hygiène, c’est bien aussi.

Le café gourmand du dessert est très varié et conclue positivement le repas.

Addition : 64,50€ pour un cocktail, une entrée, un plat, une eau gazeuse et un dessert. Le rapport qualité prix est perfectible.

Cela fait en effet cher pour une seule personne, même si, globalement, le repas fut très bon. Mais pas forcément meilleur qu’à d’autres tables de l’île, moins onéreuses. L’étude d’une formule ne serait pas du luxe. Le luxe, lui, est dans le cadre unique de ce verger en bord de Rivière des Marsouins, qui fait faire une pause au temps lui-même (mais est-ce une raison pour assommer le client ?) Le luxe serait aussi de fournir des salades de palmiste croquantes comme il faut. A part ces détails, et l’entretien des espaces verts qui laisse à désirer, et auquel les interpellés ont promis de remédier, rien de spécial à dire. Les Letchis font bien mieux qu’à notre dernière visite. La possibilité d’attribution d’une fourchette est très envisageable, mais en l’état actuel des choses, l’or est exclu. En espérant que ce sera encore mieux la prochaine fois.

La qualité est au rendez-vous

Aujourd’hui nous revenons au restaurant « Le Rendez-vous », 5 ans plus tard, « déjà » oui. Ce dernier avait à cette époque récolté une bien insignifiante fourchette en inox pour l’ensemble de son œuvre du jour. Il était temps de faire une mise à jour.

Les lieux n’ont guère changé. Toujours les mêmes locaux qui, de l’extérieur, se fondent parfaitement dans le paysage industriel de la cité portoise étant fait en modules type Algeco, avec le parquet qui ondule. Nous prions les saint patrons de toutes les corporations des métiers de bouche qu’il n’en soit pas de même pour le contenu des assiettes. L’accueil, pour sa part, reste aimable et professionnel. Nous nous installons, commandons les boissons, puis la patronne nous présente le menu du jour. Celui-ci est riche. 9 entrées, 17 plats de cuisine réunionnaise (à tel point que la place manque même sur l’ardoise pour les écrire), 6 plats plus « métros » et deux formules dont une végétarienne. C’est considérable, et pas fait pour nous rassurer. Pourquoi tout ça ? Ratisser large ? Contenter tout le monde ? Cette stratégie ne laisse pas de nous interroger.

Nous demandons la salade de palmiste et quelques fritures créoles pour commencer. La salade est fraîche et croquante, avec un assaisonnement correct. Le goût du palmiste a tenté de survivre. L’œuf mimosa proposé par-dessus est délicieux. Les samoussas sont bons mais maigrement remplis. Les accras de morue aussi, concernant la morue, mais ils se défendent beaucoup mieux.

Nous demandons le rougail graton, qui, dans le tas, a le mérite d’être peu courant, et le rougail chevaquine, que l’on rencontre presque aussi rarement. Le sempiternel rougail saucisses pourrait sauter, le boucané bringelle itou, et aussi la sauce sardine par exemple, pour faire de l’air, quitte a revenir le lendemain à la place d’autres plats.

La salle se remplit au fur et à mesure. L’intérieur est plus sympathique que l’extérieur en tout cas.

Deux bonbons piments font figure d’amuse-bouche. Ceux-là ne renient pas leurs origines malbar, bien au contraire. Ils le crient sur tous les toits. L’explosion de cumin, curcuma, cotomili, avec une chaleur pimentée largement supportable mais bien présente nous passe les papilles à l’essorage. Mangez une dizaine de ces choses et c’est sûr, le cumin vous sort par les aisselles pour embaumer vos collègues tout l’après-midi. En ce qui nous concerne, on adore ça.

Le rougail graton est « fait à la minute », nous informe la patronne. Tant mieux. La couleur est déjà prometteuse. Un beau rouge, sur l’orange-marron du graton, qui fait son effet. En bouche, la sauce épaisse et délicieusement épicée emballe le riz comme il faut. Ce dernier en a bien besoin : les grains, cuits mais un peu durs, refluent cette typique odeur de renfermé des riz standards, fussent-ils même basmati. Le graton lui-même donne dans le croustillant d’abord, dans le moelleux ensuite et envoie sans rechigner ses belles saveurs de cochon grillé, avec un dosage de sel en équilibre parfait et les notes douces de la sauce. Une merveille. Le rougail est proprement ratiboisé.

Les chevaquines sont encore un peu « humides » à notre goût, mais leur saveur inimitable, mélange de transpiration musquée sur un coup de chaud musclé, et d’un côté sauvage d’eaux vives, ne déçoit pas. La mâche croustille également, à sa manière, et la sauce très réussie vient maîtriser les élans brut de décoffrage des minuscules crustacés. Ces derniers font en revanche moins bien le travail que le graton avec ce riz-ci, qui n’absorbe pas ce côté humide pour laisser l’assaisonnement s’exprimer pleinement.

Les lentilles sont assez crémeuses, et très parfumées. Cela change de certains endroit où l’on les voit régulièrement nager la brasse coulée dans la flotte. Trois rougails piment sont proposés : un rougail dakatine parfait, une sauce citron oignon éclatante, et un piment vert « krasé » qui a en même temps le bonheur d’être mélangé aux chevaquines directement, pour leur donner une claque. Alors là bravo. Le choix est ainsi permis et les associations certainement plus intéressantes.

Le repas a commencé malbar, il se termine indien. Nous demandons le crémeux de patate douce à la cardamome, tiède, accompagné d’une boule de glace vanille. L’association de texture et le contraste de température sont intéressants. Nos craintes d’une cardamome gustativement expansive se révèlent infondées. Elle est présente, mais ne joue pas les gros bras pour autant. La patate n’en acquiers que davantage de patate ! A tel point que la glace vanille (notre choix) est quand même un peu éteinte. Si vous avez l’occasion de commander ce dessert, préférez un autre parfum, plus fort.

Deux boissons, deux entrées, deux plats, un dessert et deux cafés dont un accompagné de cannelés, addition : 95,50 euros pour deux personnes, soit 47 euros et des poussières par tête. Le rapport qualité prix est perfectible.

Ce retour au restaurant le Rendez-vous est une bonne surprise. 5 ans plus tard, les plats dégustés sont clairement plus conformes à ce que l’on est en droit d’attendre d’une cuisine réunionnaise de qualité. Mais quelques détails, et non des moindres, restent à peaufiner selon nous, en commençant par un choix plus judicieux du riz. Ce dernier doit être plus gourmand, offrir une meilleure mâche, mieux absorber les sauces, si tant est que le choix des riz disponibles sur le marché pour les pros le permette bien entendu. Des chevaquines un peu plus grillées et moins humides auraient donné pleinement leur potentiel. Enfin, une bonne cure d’amaigrissement du menu serait salutaire. Un menu resserré évite d’abord de solliciter les chambres froides plus que de raison, en privilégiant une cuisine du jour et des produits frais, voire ultra frais. L’excellent rougail graton en est le parfait exemple. Cela permet aussi au chef de s’investir sur des plats plus travaillés, plus aboutis. Si aujourd’hui le repas fut très correct, il pourrait être encore meilleur, et ainsi mieux faire passer l’addition.

Chez Moustache garde l’or

Notre dernière visite chez Moustache date de 2019. Avant la chienlit. Depuis la configuration des lieux a notablement changé. Toute la partie restauration a été basculée vers l’arrière, la petite case créole étant dévolue au rôle d’épicerie de quartier, autant pratique que touristique, avec des produits de consommation courante ou artisanaux. La collection de rhum arrangé est toujours là, avec le fameux rhum couleuvre.

Les tables sont disposées de manière à respecter une certaine distanciation. Au fond à droite, le feu de bois crépite, à gauche une paillasse carrelée accueille quelques ustensiles. Entre les deux, une porte donne vers l’arrière cuisine d’où fusent quelques réflexions cinglantes. Il faut dire qu’aujourd’hui, le chef doit se démultiplier. Deux employés sont portés pâles.
La patronne nous accueille poliment mais semble un peu tendue. Elle inscrit le menu à l’ardoise et commence doucement la valse entre les tables qui se remplissent au fur et à mesure, pour prendre les commandes. Le fonctionnement du restaurant est assez atypique comparé à la grande majorité des établissements de cuisine réunionnaise : la cuisine se fait au feu de bois, devant le client. Et la dextérité du chef, Speedy Gonzalès de la poêle et du couteau, laisse pantois. Tandis que nous sirotons l’un des cinq cocktail proposés, le « Ti vanille Moustache » (rhum, jus de banane, sirop de vanille), le chef dépiaute un tronc de palmiste et entreprend un découpage pour la salade au menu du jour. Les plats de résistance : cari canard à la vanille, cari porc palmiste, cari camarons, filet de perroquet, cari poulet aux 4 épices. Nous commandons ce dernier, plus le cari porc à emporter.

La salade est servie par le chef lui-même, à l’assiette. La quantité est correcte sauf peut-être pour les grands mangeurs. Nous nous enquerrons sur le saupoudrage vert très visible sur le blanc cassé du palmiste. Il s’agit de bigarade. L’agrume nous laissera sur la longueur une légère amertume râpeuse. Elle donne une touche fraîche supplémentaire au plat, lequel est assaisonné avec précision pour permettre au délicat palmiste de s’exprimer, dans la mesure du possible. Cette croquante entrée est nettoyée.

Il faut lever son fondement, invité par le chef qui se saisit d’une assiette et fait le service, derrière les marmites. Riz jaune, riz chauffé etriz blanc, un choix royal, accompagnent les caris. Une cuillerée de zambériques d’abord, puis le poulet. Un petit piment oignons bigarades. Et nous repartons avec notre assiette, puis lui faire un sort. Le poulet frais vient du grossiste local, D&G, pour changer. La couleur est appétissante, la sauce est convenablement épaisse et ne laisse plus voir les ingrédients qui la composent. L’odeur laisse poindre quelques accents chauds et fumés du quatre épices, qui se retrouvent en bouche en donnant du corps à la chair. La texture est acceptable même si on est loin de celle d’un poulet la cour, que les formatés à la bouffe industrielle trouvent « trop dur ». Dans 20 ans, le cari poulet sera servi dans un verre avec une paille à ce train là.
Nous nous retrouvons vite à sucer les os et à finir le riz jaune imprégné de sauce. L’excellent riz, cuit comme il faut, n’avance aucune humeur curcumatée exagérée, tout en laissant dans le nez son parfum. Son cousin riz chauffé fait tout aussi bien, avec des bouchées ni trop sèches, ni trop collantes, et cette note salée, délicate en fin de bouche. Les zambériques, arrangées avec du caloupilé, sont fondantes et veloutées. Un délice. Un touriste non local se lève et dit quelques mots au chef. « Non, ici c’est cari de poisson, pas de snackage, ni de poêlage », lance ce dernier, avec un sourire amusé. L’autre a dû se méprendre sur la nature des filets.


Le porc palmiste est un ton en dessous nous semble-t-il. La faute sans doute à des morceaux un peu trop charnus et secs, mais dont le travail ne souffre d’aucun reproche par ailleurs. Le palmiste de ce cari est encore légèrement croquant, tout en envoyant ses salves aromatiques. La sauce est arrondie par sa saveur transformée à la cuisson.
Le piment à la bigarade est efficace. Le rougail margoze lui dame quand même le pion. Rien de tel que cette amertume typique pour fouetter un poulet ou domestiquer un cari plus gras que d’ordinaire. L’assiette de poulet est sifflée.

Nous demandons le gâteau de banane du dessert, plus un café. La pâtisserie nous surprend. Nous nous attendions à mordre dans une pâte plutôt épaisse et consistante. Que nenni. Le gâteau est léger, spongieux même, et sans doute trop car nous avons l’impression qu’il a perdu en goût de banane au passage. La sauce de grenadelle, acidulée, répond aux lichettes de chocolat qui habillent le dessert, redonnant un peu d’éclat gustatif au gâteau. Le café est excellent. Le vrai café parfumé des familles créoles d’autrefois.

Le chef Sydney a gagné en assurance, et a fait montre aujourd’hui de sa capacité à gérer tout le menu presque tout seul. Même si plusieurs jours à ce régime semble difficilement tenable. Sa cuisine, traditionnelle et teintée d’une certaine originalité, d’un coup de patte particulier pourrait on dire, ne déçoit toujours pas. Elle pourrait même se bonifier encore, ce nous semble, ce qui montre une capacité à s’améliorer pour peu qu’il soit moins bousculé. La maîtrise du sel, des roussis, des assaisonnements,
du feu de bois, bref, des fondamentaux de la cuisine locale se ressent dans l’assiette qu’on ne peut faire autrement que de nettoyer scrupuleusement. Les clients ne s’y trompent pas, il est prudent de réserver si l’on veut avoir de la place. Attention toutefois a ne pas se laisser submerger par le succès. D’autres s’y sont cassé les râteliers, à trop vouloir embrasser pour mal étreindre et se laisser tenter à utiliser des produits bons marchés et à bâcler le travail pour faire du chiffre. La fourchette d’or n’est pas éternelle. Pour le moment, du moins, elle est toujours méritée et nous la décernons à Chez Moustache avec plaisir.

Au « Saint-Benoît », les saveurs prennent de la hauteur

Le marché couvert de Saint-Benoît est comme un cœur battant d’activités dans la sous-préfecture de l’Est, avec ses marchands de légumes, ses artisans, sa poissonnerie… « Le Saint-Benoît » s’offre un balcon, au-dessus de cet espace protégé par une belle bâtisse, où nous décidons de poser notre séant. Nous sommes très aimablement reçus alors que nous montons les dernières marches, avec des mots de bienvenue, ce qui, disons-le, nous surprend agréablement. Cette hospitalité fait plaisir à voir. Nous nous plaçons tout au bord du balcon, profitant des bruits du marché dont les « bips » incessants des tiroirs caisses qu’on finit par ne plus entendre.

On nous dépose la carte. Un QR code posé sur la table permet d’avoir le menu sur smartphone, mais il n’est pas identique. La technologie, c’est bien, mais c’est encore mieux quand on prend la peine de faire les mises à jour. Pour l’heure, la carte présente 5 plats « traditionnels », trois plats qualifiés « d’élégance » dont un camaron à la crème d’ail qui titille notre curiosité, ainsi qu’un « croquembouche à la perche et crevette crème au Champagne ». Nous leur préférons un plus ordinaire cabri massalé, un de nos plats test préférés.

En entrée, nous laissons les « tapas créoles » pour une salade de palmiste, autre plat test révélateur du savoir faire des bons chefs qui savent l’arranger. Point de doute, ce chef-ci sait. Ça se sent. Il propose la vinaigrette à part, sage précaution de laisser le client assaisonner lui même sa salade selon son goût. Le palmiste est présenté effilé avec des lamelles larges provenant à vue de nez de la partie centrale du tronc, plus croquante et plus chargée en saveur lactée que la partie supérieure. Sous la dent, c’est une réussite, et la vinaigrette toute simple apporte son poivre pour relever élégamment la salade. Celle-ci disparaît en quelques bouchées, laissant une impression de « pas assez ».

Le cabri s’avance, précédé de son odeur de massalé qui a chauffé suffisamment pour lui faire exsuder ses humeurs musquées, complexes, un peu sauvages. Dans ce festival olfactif, un caloupilé éclatant mène la danse. Coup de fourchette. La viande est tendre et moelleuse, si on excepte quelques morceaux plus secs. La poudre de massalé recouvre le cabri d’une pellicule parfumée, la mastication envoie des charges de parfum dans le nez. Du cotomili frais hâché par dessus en quantité suffisante aurait fait de ce plat une quintessence de malabarité !

Le riz, bien servi, n’est pas mauvais. Juste un peu sec peut-être. Les lentilles dégagent une odeur de quatre-épices, baignant dans une sauce qui manque un peu d’épaisseur. Elles font leur office. Le petit citron confit est un éclat de soleil, son acidité atténuée vous laisse le croquer tel quel pour davantage de plaisir pur, mais il se marie mal avec le massalé. Ce dernier aurait en effet été plus content de la compagnie d’une salade de concombre pimentée (une salade, pas un simple rougail) servie généreusement pour que son croquant frais réponde au cabri.

Il est assez courant que les restaurants nous proposent des rougails trop standards, passe-partout, comme le sempiternel « rougail zognon ». En proposer de plus originaux est apprécié, et plus encore quand ils accompagnent avantageusement le plat principal.

Un café gourmand termine le repas. Mention spéciale pour le gâteau patate, explosion de saveur dans une texture fondante et vanillée qui donne une envie soudaine d’être glouton. Vade retro.

La visite se termine sur une note de 47 euros pour un repas complet, entrée, plat et dessert, entamé après un jus de fruit frais savoureux et achevé avec un café. Le rapport qualité prix est bon. Nous ne regrettons pas les 19 euros payés pour le massalé.

« Le Saint-Benoît » n’a plus rien à voir avec « Le Régal Est » qui l’a précédé. Aujourd’hui nous avons profité d’un accueil et d’un service de haute volée. Sourire, attentions, efficacité, réserve professionnelle, tout y était. Certains établissements devraient en prendre de la graine. Dans l’assiette, la qualité est présente. La cuisine du chef Fabien Balthazar, qui confirme aimer travailler les plats authentiques de notre gastronomie, transpire de son amour des bons produits et de la recherche des saveurs traditionnelles. La fougue de ses 30 ans et ses dispositions certaines à la cuisine lui préparent un bel avenir. Pour l’heure, elles offrent au « Saint-Benoît » une entrée dans le prochain guide des restaurants créoles.