La dernière fois que nous avons été du côté du Tour des Roches, c’était en 2016, pour tester le petit restaurant situé peu avant le moulin à manioc. Il avait eu une bonne note. Visité de nouveau l’année dernière, il n’a pas offert toutes les qualités requises pour figurer dans notre sélection des meilleurs restaurants créoles. Nous avions programmé une nouvelle visite, quand un de nos « indics » retrouva, à quelques encablures de là, un lieu de restauration pour le moins original, qui avait déjà fait l’objet d’un article en 2018 (toujours disponible sur Clicanoo) de notre gourmand collègue J.P. Lutton : Chez Monmanzé.
L’endroit, qu’on trouve facilement en suivant les panneaux, est niché au bout d’un chemin bétonné, dans un jardin à l’ancienne. Passé le « baro », on est tout de suite dans l’ambiance. Et naît immédiatement le sentiment de se trouver dans l’un de ces endroits artificiels prisé des touristes, avec son exposition d’artisanat et la collection de rhum arrangé. L’accueil, sincère et chaleureux, nous rassure. Une dame en tenue colorée nous fait l’article de ses rhums, dont des curiosités dont celui confectionné avec des grains de café et une orange, et cet autre aux fleurs de flamboyant.
Nous allons mettre à table en compagnie d’un rhum-citron péi, qui nous claque la glotte et nous tourneboule les gencives, avec son acidité parfumée, pour notre plus grand plaisir.
Les « tapas » ne nous emballent pas des masses, d’ordinaire. Nous retrouvons ici beignet de manioc, de carotte, de cresson, de fruit à pain, un bonbon piment et un samoussa aux brèdes chouchou qui nous évoque ceux du couple Dalleau, du côté de l’Anse des cascades. Ceux des Dalleau sont clairement meilleurs. Ici la pâte est molle, et les brèdes manquent de piquant. Les beignets relèvent le niveau, surtout celui au cresson. Le bonbon piment, très moulu, est aussi délicieux. Il aurait été préférable tout de même de réchauffer ces amuse-bouches au tout dernier moment, et éviter qu’ils soient froids. Quand nous avons téléphoné pour réserver (démarche obligatoire), nous n’avons exprimé aucun désir particulier en terme de plat, laissant le cuistot nous faire la surprise. Un cari de poulet nous est proposé.
La cendre du « bois d’cassia » est encore chaude. Quelques centimètres au dessus, la marmite noire diffuse cette chaleur. A l’intérieur, quelques éclats rouge foncé subsistent, attachés à la chair du poulet coloré de safran qui a cuit dans son jus, après avoir attaché au fond « selon son temps », suintant son propre gras naturel où ail, oignon, sel, poivre, thym et tomates mûres ont confit jusqu’à disparaître entièrement dans une pellicule collante, devenue presque noire. Le poulet est commun. Il a peu vu la lumière du jour et n’a connu de la vie que les murs de l’élevage industriel avant de suivre et précéder des milliers d’autres, mais aujourd’hui, arrangé à l’ancienne sur le feu de bois par la main experte de Laurent Pallas, le poulet a rejoint ses ancêtres sans rougir. Si la chair est blanche parfois, la peau est dorée partout. Les humeurs d’épices ont pénétré les ailes et les cuisses en profondeur, et profitent de leur tendreté pour allonger sur la langue une légère amertume acidulée contrebalancée par la douceur diffuse des tomates bien mûres. Sous la dent, ça colle juste ce qu’il faut pour apprécier ce confit divin, en atours fumés et caramélisés, qui vous laisse au fond du nez la charge odorante nécessaire pour appeler la bouchée suivante. Que le diable nous patafiole si nous avons mangé un cari aussi bon et bien préparé depuis notre passage à l’Atelier Béton. Nous voilà la peau du ventre tendue comme celle d’un roulèr.
Une crème à la pistache grillée, excellente, et gâteau patate viennent clore le repas. Une belle finale pour le palais, même si, là encore, le gâteau patate est froid, et donc un peu compact. Un café grillé « la cour », coulé à la grègue, ainsi qu’une infusion d ‘ayapana, cannelle et verveine citronnelle descendent tout seuls. L’infusion est une merveille qui nous met tout à fait en disposition pour un « bis », s’il était possible.
Chez Monmanzé n’est pas vraiment un restaurant. L’établissement tient davantage de la table d’hôte, et plus précisément d’une table familiale, et amicale en l’occurrence. Dans un décor comme celui-là, avec un accueil comme celui de Julicia Barlieu, c’est toute la tradition créole authentique qui s’exprime. On s’y sent à l’aise, et le couple fait tout pour, très enclin à disserter avec vous de tradition culinaire. Il faut dire que Julicia organise aussi des ateliers, à la manière de Jacky Amouroudom à Sainte-Suzanne. C’est un passage incontournable après une balade dans cet endroit magique qu’est le Tour des Roches. Pour profiter pleinement, et pour une somme modique, de la bonne cuisine et de l’accueil de Laurent et Julicia, voici un conseil de misanthrope : allez-y quand il y a le moins de monde possible. D’une certaine manière, les conditions sanitaires actuelles y contribuent. Un mal pour un bien !