La Villa Angélique

[Visite en novembre 2012]

[à apprécier sur la Marche de Radetzky, Johan Strauss]

Saint-Denis, 20h00. Nous passons le portail de La Villa Angélique, petit hôtel-restaurant de charme de la rue de Paris, où une soirée «créole revisitée» est organisée. La belle case en bois est illuminée. Nous sommes accueillis par de charmantes hôtesses qui nous proposent un petit punch et des mignardises à grignoter : tubercules divers hachés menus et frits. Nous sommes ensuite dirigés vers la terrasse où plusieurs convives sont déjà attablés, le nez dans leur assiette ou écoutant d’une oreille distraite le chanteur-guitariste de service qui entonnera toute la soirée un best of du répertoire local, avec du Souchon, du Brassens et du Cabrel, de fameux compositeurs créoles comme chacun sait.

Oops. Nous médisons déjà, en oubliant qu’il s’agit d’une soirée créole revisitée ! Voilà pourquoi les jeunes messieurs de service sont déguisés en Antoine de carnaval ! 

[à apprécier sur Casse-noisette, Danse des Mirlitons, Piotr Illicht Tchaikovsky] 

Nonobstant le respect dû au travail nécessaire pour organiser la soirée, tout ce flonflon artificiel pour touristes habitués des hôtels étoilés un peu partout dans le monde nous laisse de marbre (excepté peut-être le sourire des hôtesses !). Nous nous installons dans un coin et attendons le pied ferme et les papilles sur les starting-block, de voir arriver les mets proposés pour cette soirée à savoir : un «ti cornet» de palmiste au Piton Maïdo (l’intitulé déjà nous fait froncer le sourcil), de la légine au gingembre mangue et ses «ravioles de Ti-Jack» et un «Mille-feuilles de magret et ananas Victoria en son gratin lontan». Pour clore le repas, ce sera une «mousse de patates douces sur biscuit des îles et glace vanille bourbon». Nous mettons en veilleuse nos ADN yab et malbar pour laisser s’exprimer davantage le charentais, histoire d’être convenablement disposés à déguster avec impartialité ces plats «zoréoles». Très vite, on nous apporte les cocktails avec la mise en bouche. Et là que faire ? Rire aux éclats ou pleurer ?

[à apprécier sur Adagio for Strings, Samuel Osborne Barber] 

La mise en bouche est constituée d’un samoussa accompagné d’une «sauce au curcuma péi». Un samoussa. Pas trois, pas deux : un, miséricorde ! L’affaire ressemble à ces tableaux d’art minimaliste qui se vendent à prix d’or chez les gens de la haute société. Minimaliste, le samoussa l’est aussi par le goût : il a un goût de friture. Point. Sa présentation suggère qu’il soit dégusté avec la sauce, et celle-ci est bonne, fort heureusement.  Quant aux cocktails, leur composition est simple : 90% de glace pilée ! Autant dire qu’ils ne nous ont apporté qu’un plaisir très limité, à part celui d’étancher notre soif.

L’entrée est très jolie à regarder mais ne nous consolera guère. Hélas. Quelle idée saugrenue de mélanger palmiste et notre très goûteux (et caractériel) Piton Maïdo ? Déjà que nous avions toussé, il y a quinze jours, sur la salade trop assaisonnée du Vieux Port. Mais là ! Ce n’est plus un mariage, c’est du viol. Foutez-lui la paix, au palmiste ! C’est un peu facile, voire grotesque, de toujours l’associer à tout et n’importe quoi pour faire «genre». Le seul détail intéressant : la capucine qui orne le plat. Deux tables plus loin, une touriste l’a mise dans ses cheveux, comme Ernestine qui, batifolant dans les champs, affichait ainsi la fleur afin de signifier à son bouillant fiancé de modérer ses ardeurs pour cause d’invasion anglaise imminente. Les assiettes sont enlevées et nous croyons sentir comme une vague odeur de fourchette en plastique… c’est de mauvaise augure. La soirée semble se réchauffer un peu. Le chanteur aborde des airs antillais. Le service a l’air de se dérouler comme du papier à musique. Les Antoines (et Antoinettes) sont efficaces.

[à apprécier sur la 5e symphonie en C mineur (pom pom pom pom !), Ludwig Van Beethoven]

Et voici le magret et la légine. Et voici la lumière. Le mille-feuilles se présente comme succession de tranches de magret et d’ananas, posées sur le gratin «lontan» : de fines lamelles de patates douces. La belle viande de canard, saignante comme nous l’avions demandé, est tendre, poivrée, goûteuse, et se mélange superbement avec l’ananas, poussant parfois la courtoisie jusqu’à le laisser passer devant. Le moelleux gratin, avec la texture légèrement poudrée de la patate douce vient calmer ces élans gustatifs et cela se traduit au palais par un équilibre savant entre le sucré et le salé et un plaisir à la mastication qui en devient presque bestial. Le verre de Chinon rouge proposé est le bienvenu.

[à apprécier sur la Suite pour orchestre BWV 1068 «Air on the G string», Johann Sébastian Bach] 

Pour sa part, la légine joue plutôt dans le registre du raffinement, de l’élégance et de la simplicité. Elle est ainsi présentée dans son plus simple appareil, nue comme Eve avant la pomme ; le gingembre-mangue se distinguant à peine, de loin en loin, pour préserver cette virginité de saveurs des mers glacées. On apprécie donc avec moult délectations la chair odorante du poisson blanc, qui se laisse glisser derrière les molaires en nous donnant des frissons (ça y est, nous sommes convertis à la légine!). Le ti-jacque est presque de trop. «Presque» parce qu’il est lui aussi sur son trente-et-un. Un brin croquant, très parfumé mais pas trop épicé, le ti-jacque rivalise avec celui de Chez Alice, à Hell-bourg, qui l’avait tantôt sauvée de la fourchette en inox. Nous louons ici le respect du produit, et eussions souhaité qu’il en fût de même à l’égard du palmiste servi en entrée comme valet de pied à un fromage trop fort pour lui. Les assiettes sont nettoyées au pain, et remplacées trois chansons plus tard par le dessert.

[à apprécier sur Les noces de Figaro, ouverture, Wolfgang Amadeus Mozart]

Encore une fois, la présentation est soignée. Quelle ne fut pas notre surprise de découvrir que l’élément décoratif est…de la colle-pistache ! Après une prière pour notre taux de glycémie nous enfournons la nougatine, la croquons goulûment. C’est les années 70. Nous avons huit ans, et de la colle plein les dents ! La mousse de patates douce brille davantage par sa texture que par son arôme, trop subtil, surtout après la colle-pistache, mais fait merveille mélangée à la glace où la vanille se révèle dans toute sa splendeur. Le «biscuit des îles», au coco, nous semble presque de trop.  Le jeu des sensations est fort réussit et le dessert vient clore avec bonheur un repas pourtant bien mal entamé. Addition de la soirée : 103 euros pour deux personnes. Correct si on tient compte du repas, de l’ambiance et du standing, mais le rapport qualité-prix de cette soirée est «limite».

[à apprécier sur Casse-noisette, la valse des fleurs, Piotr Illicht Tchaikovsky]

La Villa Angélique mérite visite, ne serait-ce que pour ses atours. L’ambiance qui se dégage de cette maison créole entièrement refaite invite au repos et à la sérénité. Nous jugeons ici les plats qui nous ont été proposés au cours de cette soirée, qui ont le mérite de révéler le talent et la créativité de la jeune et dynamique Chef, ci-devant Kelly Jean-Baptiste. Comme quoi la valeur n’attend pas le nombre des années, et le talent non plus, du reste. Il est indubitable que si ce talent s’exprime ainsi tous les jours que Dieu fait (et à cette condition seulement, nous n’excluons pas, d’ores et déjà, une contre-visite l’année prochaine), La villa Angélique est l’une des meilleures table du chef-lieu. Mis à part quelques erreurs de concept au début du repas, le reste tient parfaitement la route, ce qui justifie amplement, pour l’heure, l’octroi à ce restaurant d’une très jolie fourchette en argent.

Pour résumer : 
Accueil : très bien • Cadre : très bien • Présentation des plats : très bien
Service : très bien • Qualité des plats : bons dans l’ensemble • Rapport qualité-prix : perfectible
Notre impression globale : Bonne table
Fourchette en argent