Un repas de chefs !

Dimanche 24 avril 2022 est un jour qui est entré dans l’histoire ! Et non, aucun rapport avec les élections présidentielles. Ce jour est celui où des chefs réunionnais, des artisans et des épicuriens se sont réunis pour une journée d’échanges, et de partage, autour de bon caris au feu de bois.

Le Far Far Kréole, Bagatelle, Sainte-Suzanne, chez Jacky Aroumougom, est plus habitué à recevoir les touristes pour un atelier découverte de nos produits et de notre cuisine traditionnelle. Ce jour là, Jacky n’était pas le seul cuisinier de la bande.
Sandie Banon, Ulrich Chamand, Thomas Carrère, Xavier Elizéon, chefs de cuisine créole étaient assis à la même table que Jofrane Dailly, Larissa Rajaonarivelo et Nicolas Rivière, qui travaillent davantage la cuisine créolonomique. Laurent Encatassamy, boulanger récompensé au national était en compagnie de Bertrand Maillot, son voisin du Guillaume Saint-Paul, saucisse d’or 2021. Freddy Rivière, épicier et caviste, a retrouvé Pascal Corbière, collectionneur de Whisky et cuisinier créole amateur. Jean-François Dally, professeur de cuisine au lycée de La Renaissance, et fervent défenseur de la cuisine réunionnaise traditionnelle, a pu échanger avec tout ce petit monde en compagnie d’Olivier Husson-Pirnay, un collègue professeur de pâtisserie et de Thierry Kasprowicz, critique culinaire et directeur du Guide Kaspro, inventeur de l’expression « cuisine créolonomique ».

L’événement a été marqué par la remise officielle de deux fourchettes d’or à Pépé do Fé et à la Case de l’Oncle Tom, plus une discussion autour de la recette du rougail saucisse, le plat réunionnais emblématique, qui a conquis la France Hexagonale plus efficacement que n’importe quelle invasion militaire du passé !

Cet événement convivial a donc permis de faire se rencontrer différents acteurs de la cuisine réunionnaise, la traditionnelle comme la contemporaine, les deux parties de l’arbre de notre culture culinaire : les racines et les branches. Pas de branches sans racines, et les racines finissent pas pourrir si elles ne reçoivent pas l’énergie du soleil capté par les feuilles des branches.
Ce repas m’a permis, personnellement, d’être tout à fait convaincu de la nécessité de publier un ouvrage sur la cuisine réunionnaise. Non pas un livre de recettes de plus, mais un ouvrage qui examinerait notre cuisine de ses origines à nos jours, analyserait les produits, les techniques, les astuces, et tout ce savoir faire empirique que possèdent nos anciens. Un livre à la fois culinaire, anthropologique, pratique et pédagogique qui devra servir de base pour la transmission de notre cuisine aux générations futures.

Je vous propose de retrouver ici les réactions des différents participants.

Jacky, cuisinier, guide touristique et culinaire

« S’il fallait résumer la journée, c’est échange, convivialité et partage. C’est exceptionnel d’avoir pu réunir toutes ces personnes et faire ensemble un repas, le partager et le manger. C’est vrai qu’on a du mal à faire ce genre d’événement et je crois que c’est une des premières fois qu’on le fait et pas avec du frou-frou. Tout le monde rigole, tout le monde est content. La cuisine c’est que du bonheur, quand on sait partager et partager sa passion. C’est pour ça qu’il y a huit ans et demi j’ai changé de vie. C’était aussi un moment de transmission, indispensable
pour que la cuisine réunionnaise vive et perdure.« 

Jean-François, professeur de cuisine

« C’est un moment d’échange, de convivialité et de partage. C’est aussi un moment de réflexion avec des personnes qui connaissent le sujet. Ca fait du bien d’échanger et même se confronter sur des pratiques ou la vision que l’on peut avoir sur tel ou tel recette. Surtout quand on est tous un petit peu dans notre quotidien, la tête dans le guidon. On a pu aussi déguster des plats réalisés avec amour, et manger plus que de raison, parce que là mon ventre sa péter. Ca devrait être comme ça régulièrement. On doit pouvoir se rencontrer, s’entraider, se confronter, créer des contacts, élargir le groupe. Il faut vivre et faire vivre cette identité réunionnaise qu’on défend partout. « Une cuisine qui n’évolue pas est une cuisine qui se meurt », je répète cette phrase. J’ai la conviction qu’il faut qu’on détermine nos bases pour pouvoir grandir. J’aimerais me dire que j’ai essayé d’apporter une pierre à l’édifice, comme mes grands-parents, mes oncles et mes tantes l’ont fait. Je suis amoureux de cette cuisine. Si je peux aider à faire en sorte que mes arrières petits enfants cuisinent le rougail saucisses, le cari poulet, la patte cochon, etc, comme leur arrière grand père le faisait ce serait génial. C’est en faisant ce genre d’événement qu’on réussira à se mettre d’accord sur une base acceptable qu’on pourra transmettre.« 


Thierry, critique gastronomique, Directeur du guide Kaspro

« Il était intéressant de retrouver la parole, l’échange et le partage de chefs, d’artisans impliqués et engagés dans la culture culinaire locale. Au moment où la cuisine à La Réunion évolue, il est bon de statuer sur des bases traditionnelles, et si elles peuvent être référentes, ce sera tant mieux. La liberté de cuisiner permet à chacun d’ajouter sans « grain de sel » sans pour autant dénaturer la recette originelle, ce sera à l’appréciation de chacun. La cuisine, qui plus est réunionnaise, doit rester un acte rassembleur et non l’objet de discordes. La cuisine est un acte d’amour et non un divorce…

Concernant l’évolution de la cuisine à La Réunion, je vais parler de ce qui me tient à cœur, et dont je porte la paternité, la « créolonomie ». Donner une dimension gastronomique à un produit du quotidien ou d’un plat de la cuisine traditionnelle locale ( ce n’est pas de la revisite mais de la création !), grâce à un savoir-faire technique acquis le plus souvent dans de grandes maisons ou auprès de chefs étoilés. La créolonomie s’appuie concrètement sur des bases de cuisine traditionnelle réunionnaise associées aux techniques de la cuisine française. C’est via ce chemin de la créolonomie que la cuisine à La Réunion sera davantage reconnue en métropole et qu’on pourra enfin la retrouver dans des guides de pneumatiques. Cette cuisine « moderne » pratiquée par ces chefs réunionnais n’est pas un désaveu ni un manque de respect à la cuisine traditionnelle, bien au contraire, c’est l’honorer. Hier, on a vu sur la table au moment de l’apéritif, des samoussas zarabs, du boudin mais aussi de la créolonomie avec cette sphère sous forme de tomate à base de dakatine, du maquereau avec un condiment goyavier, un foie gras en cylindre avec une gelée et un chutney de papayes…

En Alsace, ce n’est pas avec la choucroute que les restaurants deviennent ou sont étoilés mais avec des plats où on peut trouver des ingrédients de la choucroute et des produits locaux.« 


Laurent, boulanger, meilleure baguette de tradition française 2018

« C’était un moment très convivial, venu avec le cœur. C’est dans ces moments là qu’on peut échanger. C’est le début de quelque chose pour la transmission aux générations qui arrivent. La rencontre de ces personnalités atypiques et bien ancrées dans leur marmite, c’est magique. Rien que de parler de ce que j’ai mangé, les saveurs qui viennent en bouche, je me dis que le savoir faire du Réunionnais est magnifique.« 


Ulrich, cuisinier et gérant de « Nout’ Zarlor »

« Super moment. Très convivial, très simple, de partage et d’apprentissage. J’ai fait de très belles rencontres de pointures de la cuisine. Ca va m’apporter plus de sagesse et de patience. Ca fait seulement un an que je suis là et pour moi c’est un peu tôt encore pour aller jouer dans la cour des grands, il me manque de l’expérience.« 

Bertrand, charcutier, saucisse d’or 2021

« Une très bonne journée très enrichissante avec la découverte
de plein de choses ! j’ai bien aimé. J’ai plus l’habitude de voir des chefs d’exploitations agricoles
que des chefs cuisiniers !
C’est exceptionnel.« 

Freddy, gérant d’épicerie fine et cave « La Petite Rivière »

« Très convivial ! J’ai rencontré beaucoup de gens. C’était assez hétéroclite même si tout le monde se rejoint sur la cuisine au feu de bois et traditionnelle. Je connais un peu tout le monde, certains sont clients à la boutique. J’ai eu le plaisir de constater qu’on s’est rejoints avec Thierry Kasprowicz sur l’accord mets vin, en venant tous les deux avec un petit Cahors. Je reviendrai !« 


Nicolas. Chef et consultant en cuisine.

« J’ai trouvé ce moment agréable, très intéressant et avec du fond …(enfin). Il y a tellement de « Réunion » « Association » « Groupement » … Avec des étiquettes, des idées sur tout …. Et surtout des idées… Ce RDV a permis, à ma grande surprise de faire quelque chose de profond et qui a du sens … où la Réunion était réellement à l’honneur. Avec un panel de personnes de divers horizons, parcours, histoires, projets etc….ayant UN point commun ENORME… Un amour sincère et inconditionnel pour leur île et leur héritage. Je me suis reconnu dans ces échanges qui n’étaient pas feints… La Réunion, dans sa culture culinaire fait la part belle aux beaux produits, locaux, de saison, cuisinés avec respect, avec goût et avec amour. On le sait et c’est ce qu’on aime… ce qu’on prône au quotidien.

Mais on sait aussi que la transmission, par la fuite des campagnes, par la mondialisation, par notre époque…a pris du plomb dans l’aile… mais il nous reste la cuisse ! Plus sérieusement, les constats faits au quotidien chacun de notre côté, convergent et confirment cette urgence de reprendre nos rôles de « passeurs », de « témoins », de « gardiens » bien ancrés dans nos traditions en cherchant à en apprendre toujours plus mais tournés vers l’avenir, la modernité, l’actualité , la cuisine de nos enfants…

Pour tenter de tisser ensemble ….La reconnaissance mondiale de notre cuisine réunionnaise d’hier et la naissance de celle de demain (à faire reconnaitre en même temps ) . Car, pas d’évolution puissante, sans histoire incroyable… En gardant comme fondation ces valeurs, ce goût & ses sentiments qui nous sont si chers… Ce dimanche m’a vraiment donné l’espoir d’une discussion apaisée pour des actes non manqués.

Florebo quocumque ferar ! »


Xavier, chef de cuisine et traiteur à domicile

« J’ai ressenti le mélange de culture. On a tous sa méthode, sa technique. Je constate que la Réunion n’est pas morte et qu’on peut mettre en avant nos savoirs faire ancestraux. Je n’en tire que du positif.
Ca me permet de me projeter pour l’avenir proche. Travailler les recettes, aller rechercher les recettes avec nos anciens tant qu’ils sont encore là, pour transmettre ça au monde de demain.
J’aimerai créer un événement d’ici l’année prochaine, avec plusieurs chefs pour montrer la diversité de La Réunion et travailler ensemble dans les mêmes assiettes.
« 

Larissa, cheffe, consultante culinaire et formatrice

« J’ai été agréablement surprise. C’était très enrichissant. Ca fait plaisir de rencontrer des personnes de différents métiers et différentes cultures culinaires dans un lieu aussi convivial : Jofrane qui est dans la gastronomie, un boulanger, des chefs de cuisine réunionnaise traditionnelle, et qui défendent leur savoir faire de manière aussi intense. Le thème du jour, le rougail saucisse, paraît très simple, mais ça n’est pas si simple que ça. On a débattu sur le choix des produits en poussant très loin l’exercice. Ce qui est important c’est le choix des produits. Sur la table il y avait plein de produits de La Réunion dont certains que j’ai découvert. Une belle expérience. A refaire !« 


Thomas, cuisinier et gérant du restaurant « La Case de l’Oncle Tom »

« Plénitude ! Y’a que des personnes qui sont sympas. J’ai bien mangé. J’ai beaucoup parlé et écouté.
Ca m’arrive assez rarement de rencontrer autant d’autres chefs

de cuisine créole. On a toujours quelque chose à apprendre. J’ai découvert la saucisse d’or. J’ai découvert la poitrine salée cuisinée d’une autre façon, pas comme je le fais moi. Et je suis super heureux de ma fourchette d’or !« 

Pascal, épicurien, cuisinier amateur, spécialiste en whisky.

« De belles rencontres, un moment d’échange, de partage, à l’initiative d’un épicurien, à l’issu de laquelle a vu s’esquisser une recette phare de notre culture réunionnaise : le rougail saucisses. En tant que cuisinier amateur,cette journée qui serait à renouveler, m’a permis de faire la connaissance de chefs, qui comme moi, mettent un point d’honneur à mettre en avant la cuisine réunionnaise. Les différents plats apportés pour le partage, a permis à chacun de pouvoir découvrir de nouvelles saveurs et ainsi d’échanger sur la cuisine en générale.« 

Sandie, cuisinier et gérant du restaurant « Pépé do Fé »

« Une expérience extraordinaire. Autant de talents réunis, du boulanger au charcutier en passant par un druide du rhum arrangé. Rencontrer autant de gens passionnés permet de se gaver de bonnes énergies et de relativiser sur le sens de la vie. J’ai rencontré des alchimistes qui portent haut la gastronomie kréol. Merci à tous. Ni artrouv pli lwen, en form !«