La Table d’Emma, créole et éclectique

L’arrière de la case créole peinte de toutes les couleurs a été aménagé en terrasse couverte, avec assez de distance entre les tables pour se protéger des miasmes des voisins. Au fond, on devine une cuisine ouverte, où deux personnes s’activent. Il n’est pas tout à fait midi, il n’y a pas foule, mais les clients vont arriver au fur et à mesure.

Aujourd’hui, au menu : agneau rôti au fumoir, sauce romarin et olives, pintade rôtie aux raisins, rougail morue, blanquette de veau et salade de saumon. L’accueil est poli. Nous choisissons la table du fond, pour la vue d’ensemble. On oublie de nous proposer de l’eau. Le souvenir d’une « à peu près » blanquette datant de quelques mois, gustativement éteinte avec une texture de carton, nous dissuade de renouveler l’expérience. Nous optons plutôt pour l’agneau et la morue, en version barquette pour cette dernière. Trois toasts aux rillettes de poisson, ou de crustacés, nous sont proposées en guise de mise en bouche. Ils sont croquant et plutôt bons.

Nous n’attendons pas très longtemps l’agneau. Voilà une viande que l’on a peu l’occasion de trouver dans les restaurants de cuisine réunionnaise, ce que la Table d’Emma n’est pas totalement. L’agneau est en effet peu ou pas représenté dans notre culture culinaire. C’est sans doute dommage. 

Cet agneau n’est donc pas un cari, mais un lointain cousin issu de la cuisine méditerranéenne et nous lui sommes gré de nous offrir cet exotisme, ce d’autant plus qu’il est bon. La viande, légèrement résistante sous la dent, affiche une cuisson presque à point, juste assez pour rester juteuse. Elle est même croquante par endroit. Si cela peu effrayer les carencés des dents, nous nous en satisfaisons parfaitement. La sauce épaisse, un chouïa gélatineuse, magnifie la semoule fine et bien cuite pour de belles sensations en bouche. Elle porte les beaux arômes de romarin et la saveur exquise des olives qui se marient parfaitement à la viande. 

Le rougail morue, plus local, est à ranger dans la catégorie des bons, sans que nous soyons tout à fait sûr que ce soit bien un rougail morue. Nous sommes un peu étonnés d’y voir quelques morceaux de patates s’y promener. Celles-ci épaississent la texture, pas désagréablement d’ailleurs. 

La morue elle même se pare d’atours très gingembre, avec un côté fumé et grillé. Le sel est maîtrisé, le roussi des épices aussi, mais le poisson aurait été plus présentable, et délectable, s’il avait été émietté avec davantage de soin. Les gros morceaux ont sans doute l’intérêt d’offrir de la mâche, mais tout cela n’est pas très harmonieux. Ce détail mis à part, ce rougail morue pommes de terre se défend suffisamment pour être mangé sans grimace.
Les gros pois sont veloutés, et tout empreints d’un fumet prononcé. Le feu de bois revendiqué n’est donc pas du flanc!Le riz grain long n’est pas très absorbant mais il a la politesse d’être bien cuit et se fait tolérer. Le rougail bringelles est correct, et surprenant. Nous y détectons une humeur de gingembre mangue, ce qui est assez inhabituel.

En dessert, nous demandons la tatin de pommes présente avec une panacotta aux fruits rouges, un crumble pommes ananas et framboises, et un croustillant au chocolat, entre autres. La tarte est très gourmande, pas trop sucrée, avec une pâte délicieuse, un appareil réussi où se glisse la glace. Nous nous régalons.

Addition : 32,50 euros pour deux plats dont un à emporter, un apéritif, un dessert et un café. Le rapport qualité prix est assez correct.

Disons le tout net, si nous nous étions arrêtés à notre première impression, lors de notre visite de début d’année, avant les fermetures préfectorales, la Table d’Emma serait passée aux oubliettes. La cuisine, très éclectique, surfe sur une tendance fusion avec la créolité, et celle-ci n’est pas oubliée, certains jours nos bons caris sont même privilégiés, tels que le poulet dakatine, le cari crevettes, le civet canard ou le zandouilles bringelles. Le moins que l’on puisse dire est que la Table d’Emma propose de l’originalité et de la surprise. Pour autant, même si notre repas du jour nous a donné globalement satisfaction, il manque un je-ne-sais-quoi de finesse à tout cela. Il nous reste comme une frustration, un manque. Ce manque d’un « petit quelque chose » qui pourrait donner à cette cuisine un éclat supplémentaire. Une nouvelle visite, un jour où les caris seront majoritaires, sera nécessaire pour valider l’inscription de la Table d’Emma sur la liste des meilleurs restaurants créoles, et peut-être obtenir la plus belle des fourchettes.

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